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Tribune libre

Un crime hideux et classiste en Colombie (et l’impératif de justice)

En Colombie, un homme de 38 ans, issu d’une famille au sommet du pouvoir, a kidnappé une fille de 7 ans, « déplacée » par le conflit dans la capitale. Il l’a emmenée chez lui, violée et tuée. Le crime a ému de larges secteurs de la population, qui réclament justice. Ils craignent, à juste titre, que l’auteur ne soit pas puni. Radiographie.

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Par Olga L. Gonzalez
Blog : Le blog de Olga L. Gonzalez

Le crime nauséabond s’est passé à Bogota, dans les quartiers du « nord », les quartiers huppés de la ville. Le matin du dimanche 4 décembre, Rafael Uribe Noguera, architecte, a pris sa voiture et s’est dirigé dans un quartier pauvre situé à flanc de montagne. Il a obligé une fille de 7 ans qui jouait dans la rue à rentrer dans sa voiture et est reparti aussitôt, laissant les passants stupéfaits. Huit minutes plus tard, il était dans son appartement avec la fille.

La police a réussi à arriver sur les lieux du crime vers 19 heures. Dans cet appartement gisait le corps de la fillette, mais il avait été lavé. On apprit par la suite que la scène du crime avait été altérée par le frère et la sœur de l’assassin. Les légistes savent avec certitude que la fille a été violée. Ils ont établi les causes de sa mort : asphyxie, probablement par strangulation.

Yuliana Samboní était arrivée il y a 4 ans avec sa famille à Bogota, en provenance d’une communauté rurale du Cauca, une région très appauvrie et touchée par les problèmes d’insécurité. La famille s’était installée dans la seule zone « pauvre » de ce quartier riche de Bogota.

La Colombie est un pays très violent (il fait partie des 20 pays les plus violents au monde) ; la violence contre les femmes y est très élevée (c’est un des pays du monde avec les niveaux les plus élevés en termes de féminicides) ; enfin, les violences sexuelles contre les enfants sont quotidiennes et terribles (tous les jours, 21 mineurs sont agressés sexuellement).

Ce crime est donc intervenu dans un contexte d’extrême violence, et ce en dehors du « conflit armé ». Alors que la confrontation politique prend fin après de longues années de guerre, les Colombiens sont confrontés à d’autres « guerres », en l’occurrence à des violences plus proches, plus fréquentes, et qui ont cours tous les jours.

Le meurtre de la petite Yuliana Samboní émeut et suscite la révolte parce qu’il s’agit d’un crime perpétré par quelqu’un issu de la haute société, et que les Colombiens savent que ces personnes se situent au-dessus des lois.

En effet, Rafael Uribe Noguera appartient à un milieu social très favorisé. Il a fait sa scolarité au Gimnasio Moderno, une des écoles privées les plus réputées de l’élite de Bogota. Il a fait des études d’architecture à l’Universidad Javeriana, une des plus importantes universités privées, dirigée par les jésuites.

Aujourd’hui, grâce aux caméras de surveillance, on sait qu’il se rendait de temps en temps au quartier pauvre Bosque Calderon, et, moyennant un billet de 2000 pesos, réussissait à faire monter les enfants dans sa voiture. Il est pratiquement certain qu’il les agressait sexuellement. On sait également qu’il fréquentait la « zone de tolérance » de la ville où des très jeunes femmes, venues de régions pauvres de la Colombie, s’exposent dans la rue pour le plaisir de clients fortunés.

La famille Uribe Noriega est au centre du pouvoir économique et politique. Présente dans l’industrie du bâtiment, elle possède plusieurs immeubles à Bogota. Un des fils appartient à une des compagnies d’avocats les plus prestigieuses de la Colombie (la compagnie De Brigard, dont un des actionnaires principaux était jusqu’à il y a peu, ambassadeur à Washington).

Fernando Uribe, frère de Rafael, est déjà connu par ses agissements pour dépouiller les paysans « déplacés » et favoriser de très grandes compagnies. Ces dénonciations avaient été faites en 2013, preuves à l’appui, par un sénateur de l’opposition (Jorge Robledo) et par un journaliste (Daniel Coronell). Aujourd’hui, il s’avère que ce même avocat a manipulé la scène du crime dans l’après-midi de dimanche.

La famille a essayé de faire passer le suspect pour un consommateur de drogues, incapable de répondre de ses actes. Dimanche, elle l’a emmené dans une clinique privée pour y être interné. Cependant, la pression des citoyens a joué contre cette mascarade. Devant l’hôpital, les manifestants exigeaient justice. Notons que les appels à manifester ont circulé dans les réseaux sociaux, alors que les médias traditionnels hésitaient à nommer le principal incriminé.

Aujourd’hui, une avocate féministe s’est saisie de ce dossier. L’inculpé s’est déclaré innocent, tandis que les juges ont établi quatre motifs pour le poursuivre : torture, féminicide, kidnapping, et viol. Parallèlement, les juges appellent au barreau les membres de la famille accusés d’avoir effacé des traces du crime.

Il y a encore une dizaine d’années, il est fort possible qu’un crime de ces caractéristiques ait réussi à rester impuni : les puissants se sentent au-dessus des lois et profitent du système d’ « apartheid social » qui y règne. Heureusement, les choses sont en train de changer : la mobilisation citoyenne, ainsi qu’une plus grande conscience des droits des femmes modifie la donne.

Il reste que, au vu de cas semblables survenus dans les années récentes, il est important de maintenir une vigilance sur les dossiers judiciaires de ces tristes faits.


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