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FNSEA, gouvernement et crise agricole

Un été de colère pour les éleveurs

Il y avait eu les mobilisations des Bonnets Rouges, en Bretagne, qui avaient placé le gouvernement en difficulté au cours de l’automne 2013. La colère, cette fois-ci, a explosé du côté des éleveurs. Partie de Normandie, le mouvement a pris une nouvelle ampleur, mardi, en s'étendant sur toute la région Ouest. La visite du ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll dans le Calvados n'y a rien fait. Les blocages de la rocade de Caen, ainsi que l'accès du Mont-Saint-Michel ont été maintenus et ils se sont étendus à de nouveaux axes routiers et d’autres sites touristiques comme celui de la Grotte de Lascaux. Initié par les éleveurs de la filière bovine, le mouvement de protestation a vite été rallié par les éleveurs porcins et de vaches laitières. En cause, des prix de vente insuffisant, en dessous des coûts de production, qui placent près de 10% des exploitations, toute filière confondue, au bord de la faillite.

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Yano Lesage

Les négociations sur la revalorisation des prix du 17 juin sont restées lettre morte. Dans la chaîne de l’agroalimentaire, la guerre au prix cassé se répercute prioritairement sur les éleveurs et les consommateurs : des prix faibles au départ et élevés à l’arrivée. Les déclarations du gouvernement, ainsi que les grandes lignes de son plan d’urgence épargnent les principaux fautifs que sont les marges réalisées par l’industrie agroalimentaire et la distribution, tandis que la FNSEA, puissant syndicat agricole trusté par les gros exploitants et éleveurs, ceux qui pompent la majeure partie des subventions et des aides, compte bien tirer son épingle du jeu et profiter des mobilisations, exprimant une détresse réelle des petits exploitants, pour dérouler un programme en faveur d’une réduction des charges et du « produire français ».

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Une mobilisation d’ampleur en période estivale

La colère des éleveurs a surpris par son caractère explosif et radical : en Normandie, d’où est partie la mobilisation, les principaux barrages se sont maintenus depuis dimanche, jour et nuit. Plusieurs axes routiers de la région Ouest ont été bloqués par des barrages d’éleveurs, à Quimper et à Brest en Bretagne, l’accès à Saint-Malo ainsi que l’axe Rennes-Nantes. Ce mercredi 22 juillet, ce sont près de 200 tracteurs qui bloquent l’accès à Lille par l’A1 dans les deux sens. A cela s’ajoutent des manifestations et des blocages d’entreprises comme à Saint-Brice en Cogles, où sont implantés un abattoir et une laiterie, et des mobilisations en Vendée, où les producteurs sont entrés en action et ont annoncé le blocage de l’entreprise Sodebo. Dimanche dernier, au sud de Caen, des producteurs ont bloqué et déversé du fumier devant une zone industrielle comprenant un abattoir, un distributeur et un transformateur de viande de porc. Plusieurs actions ont également été menées au sein des grandes enseignes de distribution, les éleveurs sortant des rayons les produits étiquetés « étrangers » pour les utiliser, par la suite, dans leurs actions.

Un gouvernement pris de cours

Face à la peur d’une contagion bien réelle du mouvement et avec le souvenir des mobilisations des Bonnets Rouges de l’automne 2013 encore à l’esprit, le gouvernement a changé de stratégie et est passé à la vitesse supérieure. Une rencontre avait été convenue avec les représentants des filières et le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, à Paris pour jeudi après-midi. Face à la multiplication des actions coups de poing, ce dernier a dû chambouler son emploi du temps et s’est rendu sur place mardi après-midi. Arrivé à Caen, préfecture du Calvados, en hélicoptère, pour une rencontre avec deux délégations composées des responsable de fédérations locales des syndicats d’exploitation agricoles du Calvados, de l’Orne et de la Manche, de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) et des JA (Jeunes Agriculteurs), Le Foll a précisé qu’il n’était « pas là pour négocier », mais bien pour calmer le jeu, et renvoyer au plan d’urgence de la filière agricole annoncé par le président François Hollande qui doit être discuté lors du Conseil des ministres ce mercredi.

Tandis qu’un rapport d’un médiateur, très attendu par les agriculteurs, portant sur les prix agricoles et les responsabilités des intermédiaires sur la baisse des prix d’achat de la viande en début de chaîne a été rendu au gouvernement, les éleveurs pointent le silence des autorités concernant les responsabilités des secteurs de la transformation et de la distribution agro-alimentaire. En effet, les éleveurs dénoncent notamment le non-respect des accords mis en place sous la houlette du gouvernement du 17 juin dernier entre exploitants, agro-industrie et distributeurs : l’accord conclu exclusivement pour la filière bovine devait relever le prix d’achat à 5 centimes d’euros par carcasse sur plusieurs semaines consécutives, jusqu’à l’arrivée à un prix d’achat aux éleveurs permettant de couvrir le coût de production. Jusque là, le coût de production d’environ 4,5 euros le kilo n’était pas couvert par le prix d’achat situé à 3,7 euros. Un mois après, les accords n’ont été que très partiellement respectés avec une hausse de seulement 7 centimes d’euros en un mois, ce qui a été l’élément déclencheur de la mobilisation.

Une crise agricole réelle et profonde

Les filières porcines et laitières, qui ont commencé à se joindre au mouvement, sont confrontées à des difficultés similaires. En ce qui concerne la production porcine, en juin dernier, déjà, des mobilisations avaient eu lieu pour protester contre la baisse des prix. En Bretagne, l’une des principales régions productrices en Europe, 200 élevages seraient au bord du dépôt de bilan. En quinze ans 10% des élevages ont disparu. A la concurrence très forte pratiquée avec l’Etat espagnol ou l’Allemagne, dont les exportations de viandes ont augmenté, s’ajoute l’élément conjoncturel de l’embargo russe qui a restreint des parts de marché déjà âprement disputées.

Le mouvement des Bonnets Rouges de l’automne 2013 en Bretagne, fronde contre l’instauration de l’éco-taxe, dénoncée pour son poids sur l’activité économique dans région enclavée, couplée aux mobilisations contre les fermetures et les licenciements des abattoirs Gad et Doux, montre bien que cette crise de l’économie agricole française s’inscrit dans la durée et touche l’ensemble de la filière. Du côté de la production laitière, avec la suppression des quotas laitiers à l’horizon 2015, axe porté par la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union Européenne, elle n’arrive pas à s’écouler, avec comme conséquence une forte baisse du prix de vente. La situation est catastrophique dans le Grand Ouest, avec des ventes à perte sur plusieurs mois pour certains exploitants, la hausse des prix du fourrage et des engrais n’étant pas compensée par des prix de ventes en baisse.

La grande distribution responsable ?

L’analyse des fondements de cette crise résulte d’une équation complexe : tandis que les enseignes de la grande distribution et les intermédiaires de transformation se battent entre eux pour casser les prix, tout en maintenant leurs marges, cela se concrétise par une mise en concurrence des éleveurs entre eux, à l’échelle européenne. En effet, la position dominante des grandes enseignes de la distribution et de l’agro-industrie, sur le marché, dont le nombre est relativement restreint, facilite une véritable dictature des prix, qui se répercute en amont, sur le prix d’achat au producteur.

Si les plus gros exploitants, qui sont ceux qui trustent la majorité des subventions et des aides européennes et hexagonales, parviennent à mieux résister à cette baisse des prix, ce sont les plus petits et les plus fragiles qui payent les pots cassés. Incapables d’investir dans des équipements à même de réduire leurs coûts de production et rester compétitifs, beaucoup d’exploitants se retrouvent en difficulté financière, peinent à vivre de leurs activités et disparaissent. Cet effet de disparition-concentration produit par la concurrence est effectivement renforcé par la mise en concurrence de l’ensemble des productions agricoles à échelle européenne sur laquelle la filière agro-alimentaire s’appuie largement pour faire pression à la baisse sur les prix. Tandis que certains éleveurs disparaissent, le revenu moyen d’un éleveur tourne autour de 12 000 euros par an, un revenu inférieur au SMIC annuel, une moyenne qui cache néanmoins d’énormes disparités, encore une fois, entre gros et petits. Beaucoup d’exploitants ruinés, forcés de vendre leurs exploitations, sont contraints à retrouver un travail salarié... dans ces mêmes usines agro-alimentaires qui ont causé leurs pertes. Du mouvement des Bonnets Rouges, expression contradictoire d’une détresse face aux licenciements dans les abattoirs bretons, à la crise agricole actuelle, c’est toute une logique de surexploitation d’un bout à l’autre de la filière qui s’exprime, malade d’un concurrence capitaliste acérée.

Un plan d’urgence qui épargne l’industrie agro-alimentaire....

Pour Stéphane Le Foll, il n’est cependant pas question de citer les responsables. « Je ne participerai pas à la désignation de quiconque dans ce débat, nous ne sommes pas là pour désigner à la vindicte qui que ce soit ». C’est ce qu’il a déclaré à la suite de la rencontre de Caen, voulant avant tout préserver l’unité de la filière pour sortir de la crise. L’attitude du gouvernement qui continue à couvrir les pratiques des intermédiaires est flagrante. Dans les campagnes aussi, François Hollande a choisi son camp. Si samedi dernier, l’Elysée a appelé les acheteurs de l’agro-industrie et de la distribution à respecter l’accord du 17 juin, tout porte à croire que les effets d’annonce sont totalement conjoncturels et n’engagent à rien. Mettre de côté les responsabilités de l’agro-industrie, c’est effectivement les grands axes du plan d’urgence, dévoilé mercredi en amont du Conseil des Ministres : le gouvernement a annoncé une aide de 600 millions d’euros en faveur des exploitations en difficulté, sous forme d’allégement de charges. Afin de pallier au problème d’endettement, de possibles restructurations de dettes pourraient avoir lieu, ainsi que des reports de paiement d’impôt et de cotisations sociales. Enfin, un troisième volet, l’instauration d’un nouveau label « viande de France », ainsi que la concession de 10 millions d’euros visant à cette promotion, est censé complété ce plan.

….et fait appel au « patriotisme du consommateur »

On peut en rire ou en pleurer, mais tout porte à croire que, pour le gouvernement le principal responsable de cette crise agricole, soit... le consommateur. C’est du moins ce que porte à croire l’annonce de la création d’un nouveau label « viande de France » lancé par le président Hollande, pour sauver la filière, et son interpellation du « consommateur français » pour qu’il soit plus regardant sur la qualité que sur le prix.

Alors que rien dans le « made in France » de l’agro-industrie ne présage de la qualité du produit, c’est une véritable une plaidoirie en faveur d’un patriotisme économique que sert Hollande et son gouvernement.« Dans la crise actuelle, chacun est responsable, du consommateur à l’élu local, qui doit privilégier les produits français dans la restauration collective »a expliqué M. Le Foll. Culpabiliser les consommateurs victimes d’une baisse du pouvoir d’achat et emprunter les chemins de traverses du FN pour défendre la production agricole française, voilà à quoi s’en remet le gouvernement face aux contradictions que génère la concurrence capitaliste à l’intérieur de l’espace européen et pour préserver les profits des géants de l’agro-industrie.

Comme dans le cas du « Pacte d’Avenir pour la Bretagne » de l’automne 2014, destiné à étouffer la colère des Bonnets Rouges,avec le Plan d’urgence de mercredi, le gouvernement fait les yeux doux aux gros exploitants, à ceux qui tirent les ficèles au sein de la FNSEA et des syndicats de catégories, en promettant des réductions de charges, lâchant quelques miettes aux petits éleveurs, là où la seule solution à la crise structurelle que traversent les campagnes françaises et le monde agricole passerait par une refonte complète des filière, sous contrôle d’une agriculture paysanne, des travailleurs de l’agro-industrie et des consommateurs.

On l’aura compris : pour éviter de poser les questions de fond, le gouvernement et la FNSEA, tout en poursuivant des objectifs parfois divergents, sont en parfait accord. Il ne s’agit ni d’une question de « patriotisme économique », ni de « production de chez nous » : défendre une agriculture paysanne de qualité, la seule alternative à la disparition progressive à laquelle sont condamnés les petits exploitants, impliquerait de renverser la donne. Quoi qu’il en soit, les petits éleveurs n’en ont pas moins raison de se battre, mais leurs ennemis, ce ne sont pas les agriculteurs du reste de l’UE mais les banques qui les condamnent à l’endettement, une grande distribution qui les pressurisent et un gouvernement qui se situe du côté des deux premiers. En ce sens, il n’est pas sûr que les quelques mesures qui ont été annoncées par Hollande et Le Foll et la pression qui se fait déjà sentir au sein des Fédérations départementales pour faire lever les barrages seront suffisants pour calmer la colère des paysans.


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