×

Les grèves dures, ça marche !

Uruguay. Première victoire des enseignants contre l’austérité

Elise Duvel Depuis le 17 août, en pleine période scolaire d’hiver austral, les enseignants en Uruguay se sont mis massivement en grève contre les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement « de gauche » du Frente Amplio de Tabaré Vázquez et pour lui réclamer des augmentations de salaire. Les lycéens et les étudiants se sont bientôt joints aux mobilisations pour réclamer ensemble une augmentation des moyens pour de meilleures conditions d'études. Instits et profs uruguayens ont pu compter sur le soutien d’autres secteurs en grève avec le slogan « Nous sommes tous des enseignants » car la lutte pour une éducation publique de qualité est la lutte de l'ensemble des travailleurs.

Facebook Twitter

Face à la pression d’enseignants ayant choisi la voie d’une grève dure et qui constituent sa base sociale et électorale, Tabaré Vázquez s’est vu obligé de revenir sur son plan austéritaire. Mais la lutte se poursuit sur les questions salariales, en dépit des accords scellés avec les directions syndicales sur le dossier des augmentations des traitements.

Un gouvernement « de gauche » qui cajole les entreprises et axe sa politique sur l’austérité

En Uruguay, à la suite de la grande crise bancaire en 2002, c’est la gauche qui est arrivée au pouvoir en 2005. Après avoir connu une décennie de croissance économique, le pays est entré dans un ralentissement économique comme plusieurs pays d’Amérique Latine faisant les frais de la crise économique internationale. Aujourd’hui, le gouvernement met en place l’austérité. Ce sont les travailleurs victimes de fermetures d’usines dans plusieurs secteurs (notamment agroalimentaire) qui payent les frais de la crise capitaliste, alors que le chômage augmente. Coté patronat, la situation est moins inquiétante. Alors que le gouvernement de gauche annonce des restrictions budgétaires dans les services publiques, notamment l’éducation, il offre les meilleures garanties d’investissement pour les entreprises.

La lutte pour l’éducation publique : la lutte de tous les travailleurs.

L’annonce de nouvelles restrictions budgétaires dans l’éducation a été la goutte qui a fait déborder le vase. Non seulement, les enseignants uruguayens touchent des salaires qui figurent parmi les plus bas en Amérique latine, mais l’austérité aurait signifié une dégradation ultérieure de leurs conditions de travail et ainsi que des conditions d’études pour les élèves.

Refusant cette nouvelle mesure, ce sont d’abord les enseignants de Montevideo, la capitale du pays, qui, réunis en Assemblée générale, ont appelé à une journée de mobilisation de 24 heures, le 17 août avec des blocages d’établissements. La grève a été reconduite les jours suivants. Rapidement les débrayages se sont étendus dans d’autres villes. Les enseignants en grève réclamaient alors une augmentation du budget alloué à l’éducation nationale et une augmentation de leur salaire.

Le 24 et le 27 août, deux journées de mobilisation en défense du service public d’éducation ont rassemblé 50.000 manifestants à Montevideo. Les enseignants, rejoints par les étudiants et les lycéens, directement victimes des mesures austéritaires, sont sortis massivement dans la rue pour réclamer une augmentation de 6% du budget pour l’éducation nationale. De l’argent, il y en a, dans l’Uruguay du président Tabaré, mais pour le ministère de la défense ou le ministère de l’intérieur qui ont vu leur budget augmenter. Il y en a aussi pour les patrons qui reçoivent des aides à l’investissement.

La deuxième revendication principale des enseignants était centrée sur la valorisation salariale, le slogan phare des manifestants étant "¡A ver, a ver, señor présidente, si ud puede vivir con el sueldo de un docente, indencente !" (Voyons, voyons, monsieur le président si vous pouvez vivre avec un salaire d’un enseignant, indécent !)

Très vite ce mot d’ordre a été repris contre la caste politicienne et a été accompagné du slogan « Qu’ils s’en aillent tous », en référence aux grandes manifestations qui avaient secoué l’Argentine, pays voisin, en décembre 2001. Le mot d’ordre, très populaire, remet en cause les privilèges de la caste politicienne qui gouverne l’Etat au service du patronat et des finances.

Les enseignants ont pu compter sur le soutien des travailleurs de Supergas, dans l’industrie pétrolière, en grève également contre des suppressions de postes et qui se sont solidarisés avec les enseignants.Comme le pointait Gonzalo Scotti, travailleur et dirigeant du syndicat unique de Supergas, interviewé pendant la manif du 27 août, « aujourd’hui, nous sommes tous des enseignants. Nous nous indignons, comme tous les travailleurs, comme tous les Uruguayens, de la situation que sont en train de vivre les enseignants et les professeurs. Cela nous indigne et nous sommes ici car nous sommes tous des enseignants ».

C’est tous ensembles, donc, qu’ils ont réclamé de réels moyens pour l’éducation publique, pour l’amélioration des conditions d’études, pour l’augmentation des bourses à l’université ou encore pour obtenir des cours du soir pour que les étudiants-salariés puissent aller à l’université. C’est tous ensembles qu’ils ont lutté pour offrir une éducation publique de qualité pour l’ensemble des enfants des classes travailleuses et des classes populaires.

Contre les bureaucraties syndicales, complices du gouvernement : l’auto-organisation par en bas

Pour organiser la lutte et aller jusqu’au bout, les enseignants n’ont pu compter que sur leurs propres forces. Ils ont dû pour cela s’affronter à des directions syndicales liées au Frente Amplio, au gouvernement, qui négociaient les plans d’ajustement budgétaire dans les salons en étroite collaboration avec Tabaré. Alors que les directions syndicales se contentaient de se féliciter d’avoir réussi à faire revoir à la baisse les mesures de restrictions budgétaires et d’avoir obtenu une infime augmentation de salaire (3,5% en 2016 et en 2017), les enseignants, eux, à la base, ne l’entendaient pas de la même oreille. Les assemblées générales ont permis aux enseignants de décider d’aller jusqu’au bout et de refuser les propositions du gouvernement. Les enseignants et les étudiants ont renforcé les cadres d’auto-organisation dans des assemblées générales massiveset ont alors renforcé les occupations d’écoles et des établissements, contraignant le gouvernement à revenir sur son décret austéritaire du 24 août.

La lutte des enseignants en Uruguay donne l’exemple que c’est en s’organisant par en bas, en assemblées générales, en appelant à des mobilisations rapprochées, en descendant massivement dans la rue, en affrontant les directions syndicales qui négocient dans les salons et en leur imposant un agenda de mobilisations que l’on peut gagner. C’est aussi en organisant une riposte de l’ensemble du monde du travail et étudiante. C’est la seule voie pour faire plier un gouvernement.

Si les enseignants ont obtenu satisfaction des revendications contre les restrictions budgétaires, la lutte se poursuit pour obtenir une augmentation des salaires dignes. Un combat qui, aujourd’hui, se poursuit.


Facebook Twitter
Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Palestine : 49 étudiants de Yale interpellés, la colère s'étend à de nombreuses facs américaines

Palestine : 49 étudiants de Yale interpellés, la colère s’étend à de nombreuses facs américaines

Criminalisation des militants pour la Palestine : l'autre face du soutien au génocide d'Israël

Criminalisation des militants pour la Palestine : l’autre face du soutien au génocide d’Israël

Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

Argentine : la jeunesse entre massivement en lutte contre Milei et l'austérité

Argentine : la jeunesse entre massivement en lutte contre Milei et l’austérité

Les milices de colons et l'armée israélienne mènent plusieurs raids sanglants en Cisjordanie

Les milices de colons et l’armée israélienne mènent plusieurs raids sanglants en Cisjordanie

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

Veto à l'adhésion de la Palestine à l'ONU, ou l'hypocrisie des Etats-Unis sur les « deux États »

Veto à l’adhésion de la Palestine à l’ONU, ou l’hypocrisie des Etats-Unis sur les « deux États »