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Répression contre les étudiants mobilisés contre la loi travail

[Vidéo] Interview de Sébastien, étudiant interpellé violemment à Besançon en fin de manifestation

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Depuis le 9 mars, la mobilisation contre la loi travail s’organise et se renforce à Besançon, en Bourgogne-Franche-Comté, notamment au sein des universités et des lycées. Comme dans d’autres villes de France, c’est sans doute en raison de sa structuration croissante que le mouvement a été scandaleusement réprimé par la police jeudi 24 mars. Celle-ci n’a pas hésité à interpeler brutalement Sébastien, étudiant et militant à Solidaires Etudiant-e-s, en pleine rue alors même que la manifestation était terminée. Devant de nombreux témoins, Sébastien a été embarqué par les pieds et les mains, escorté « par une douzaine de policiers armés de flashballs et de gazeuses », comme le dénonce le communiqué du comité de mobilisation de Besançon publié le soir de son interpellation. Le rassemblement qui s’est organisé en soutien à Sébastien le 24 au soir devant le commissariat a également été réprimé, et deux militants dont le secrétaire général départemental de la CGT ont été arrêtés, avant d’être relâchés plus tard dans la nuit. Aujourd’hui, Sébastien fait l’objet d’une convocation en mai devant le tribunal de Grande Instance. Son cas s’ajoute à la liste des étudiants réprimés dans le cadre de la mobilisation contre la loi El Khomri, et fait écho à la criminalisation du mouvement social qui sévit depuis de longs mois et en particulier depuis l’instauration de l’état d’urgence. Nous nous solidarisons pleinement avec Sébastien, que nous avons interviewé.

Propos recueillis par Flora Carpentier

Peux-tu nous raconter comment tu as été interpelé ?

Le jeudi 17 mars, on a fait une manifestation en passant aux abords des lycées du centre-ville de Besançon. L’idée c’était de faire sortir nos camarades lycéens. Mais au premier lycée où on est passé, l’administration avait verrouillé l’établissement. Elèves, enseignants et personnels étaient séquestrés à l’intérieur. Moi et d’autres, on a pris l’initiative d’une intrusion dans l’établissement. Au moment où je suis rentré, il y avait des caméras de France 3 qui étaient là. La vidéo est bidon, on ne me voit pas vraiment entrer à l’intérieur mais les flics disent que c’est la preuve. En tout cas, je me suis vite retrouvé dans une cour minuscule fermée d’une grille très haute, donc je suis ressorti immédiatement, je ne suis resté que quelques instants à l’intérieur.

Une semaine plus tard, jeudi 24, on a refait une manifestation et en fin de manif, alors qu’on se rendait à la fac de lettres pour y faire une AG, le chef de la BAC me tombe dessus en me demandant mes papiers. Je lui demande pourquoi, il me répond « parce que vous faites l’objet d’une convocation, il y a une plainte qui a été déposée contre vous ». Je lui dis « ah bon, où est la convocation ? Montrez-la moi ». « Je ne l’ai pas avec moi ». Je lui dis « Comment vous pouvez savoir que c’est moi qui suis convoqué si vous n’avez pas mon identité ? ». Il me répond « On a des photos de vous qu’on a tirées d’une vidéo de France 3 ». Je lui dis « Alors montrez-moi les photos ». « Je ne les ai pas avec moi ». Et moi : « Bon alors voilà, vous n’avez rien du tout, donc moi je ne vous suis pas ». Il me répond : « ça serait quand même bien qu’on puisse vous voir ». Je lui dis « je ne suis pas un forcené, je parle avec tout le monde. Là j’ai une assemblée générale, ça va durer jusqu’à 15 heures, peut-être un peu plus longtemps, j’y vais et quand je sors, je viens vous voir ». Il me dit « OK, pas de souci ». Son collègue dit « 15h30, on vous attend ». Pas de problème, ils me laissent repartir, on tient l’assemblée générale.

En sortant, la secrétaire départementale de l’Union syndicale Solidaires les appelle, on était un peu en retard, il était 16h-16h15. Elle leur demande : « Est-ce que vous voulez toujours que Sébastian vienne ? ». « Oui oui, pas de problème, on l’attend ». Et en fait en se rendant depuis la fac jusqu’au commissariat, c’est pas loin, il y a 500 mètres entre les deux… là au coin d’une rue, il y a un colosse d’1 mètre 90, d’au moins 100 kilos, qui me tombe dessus, sans un brassard, sans rien, on ne pouvait pas savoir que c’était un flic. Il me prend par la manche en me disant « toi tu me suis ». Je lui dis « mais comment ça, t’es fou, je ne te suis pas, t’es qui déjà ? » Et là ses collègues sont arrivés, les camarades m’ont agrippé pour qu’ils ne m’embarquent pas, et on a essayé de discuter avec eux en leur disant que ça ne servait vraiment à rien ce qu’ils étaient en train de faire, qu’on venait de s’entendre 2 secondes plus tôt avec leur chef par téléphone que j’y allais. Les mecs n’ont rien voulu savoir, ‘les ordres c’est les ordres’, ils recommençaient à bourriner, j’ai pris 2 coups de matraque dans l’épaule, ils m’ont entrainé par les pieds, par les mains, et dès que j’ai été mis dans la caisse, ils m’ont passé les menottes. Franchement c’était un sacré bordel, les passants n’en revenaient pas, c’était du grand n’importe quoi. Tout ça a été filmé. Arrestation en pleine rue scandaleuse, humiliation publique gratuite, alors que j’y allais.

Vidéo de la journée de mobilisation du 24 mars, réalisée par le comité de mobilisation de l’Université de Franche-Comté, où l’on voit l’arrestation de Sébastien à partir de la minute 2:10 :

Quand la police t’a embarqué, tu as été très vite soutenu ?

Oui, les camarades ont organisé immédiatement un rassemblement de soutien devant le commissariat. Ils sont restés une heure devant, de façon pacifique, en criant des slogans mais c’est tout. Au bout d’une heure, les flics sont sortis, ils ont demandé à ce qu’ils reculent. Le problème c’est qu’il y avait la route juste derrière avec des voitures qui passaient, donc c’était pas facile de reculer. Les flics ont gueulé « dispersez-vous », ils ont eu le temps de ne rien faire, deux secondes plus tard « dispersion ! Deuxième somation », et là ils ont chargé, matraqué, gazé.

Et ils ont embarqué deux mecs qui étaient au rassemblement, pour violence et rébellion. Manque de chance, sur les deux il y avait le secrétaire départemental de la CGT, du délire, donc ils se sont pris toute la CGT sur le dos en 10 minutes. J’ai terminé ma déposition et la flic m’a dit : « tu ne seras pas étonné, deux de tes camarades viennent d’arriver ». On a pu se parler un peu de cellule à cellule, je ne les ai pas vus mais ils ont pu sortir dans la nuit sans chef d’inculpation.

Après ton interpellation, tu fais l’objet de poursuites ?

Oui, je suis convoqué devant le juge début mai pour intrusion dans un établissement scolaire. Mais je considère que j’ai déjà été assez puni comme ça, étant donné qu’on m’a arrêté brutalement, sans convocation, etc. En plus ce week-end j’ai découvert que je faisais l’objet de diffamation de la part de la police puisque dans un article de France 3 sur le net, ils ont écrit « Selon la police, l’homme était recherché dans le cadre d’une plainte pour violence ». Mais c’est faux, j’ai été interpelé pour intrusion dans un établissement scolaire, donc là ça commence à faire beaucoup.

Comment tu interprètes cette convocation ?

Au moment où je me suis introduit dans le lycée, il y a un conseiller d’éducation qui a essayé de me faire barrage. Le problème, c’est qu’il y a eu un mouvement de foule derrière moi, il a été déséquilibré et il est tombé devant ses élèves qui étaient aux fenêtres. Je pense que c’est en partie pour une question d’honneur que l’administration de ce lycée a déposé plainte.

Et la deuxième raison c’est que je pense que les forces de l’ordre essayent de briser l’élan de la mobilisation en vue du 31. Parce que nous ça fait depuis le 9 mars qu’on est sur le terrain. On bosse comme des cinglés, on fait des trucs tous les jours. Le 17 on était 400 en manif, une semaine plus tard on était presque le double, donc ils ont vu grossir le truc.

Et je pense aussi que ce qui a compté c’est que 2 jours plus tôt, mardi 22, on avait réussi à organiser une AG de plus de 120 personnes sur le campus, qui est en périphérie de Besançon alors que la faculté de Sciences Humaines est en plein centre. Ca faisait 10 ans que ça n’était pas arrivé sur le campus.

Et comme le 17, il y a plusieurs lycées où les élèves se sont retrouvés séquestrés, la semaine suivante ils ont compris que s’ils voulaient pouvoir sortir au moment de la manif, il fallait se préparer avant. Donc ça a permis de faire grossir les effectifs. Et puis on le sait, on l’a entendu à droite à gauche, que ce soit chez les salariés ou les étudiants et personnels dans les facs, il y en a beaucoup qui attendent la journée du 31. Donc il est possible que jeudi on ait la plus grosse manifestation depuis une dizaine d’années.

Comment vous organisez-vous pour le 31 et la suite ?

Aujourd’hui [mardi 29] s’est tenue une AG où on a voté l’occupation d’un amphi, il va s’y tenir pas mal de choses ce mercredi (ateliers créatifs, conférence, débat facs-lycées, projection sur le CPE...) et on prévoit d’interpeller étudiant-e-s, personnels et enseignant-e-s jeudi matin pour ramener un max de monde en manif. Une AG citoyenne aura lieu ensuite sur une place publique qu’on souhaite occuper jusque dans la nuit en réponse à l’appel lancé par Fakir "Nuit debout" avec animations diverses. Bref, on lâche rien comme dirait l’autre.


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