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Frédéric Lordon, les Goodyear, les cheminots, lycéens et étudiants à Paris 1

[Vidéo] Une ambiance de convergence des luttes à Tolbiac avec Lordon, à la veille du 31

L'ambiance était effervescente ce soir au centre Tolbiac de l'Université de Paris 1 où plus de 900 personnes ont répondu présentes pour le grand meeting de convergence de luttes, « Tou.te.s ensemble », organisé par le comité de mobilisation de Paris 1. A l'affiche se trouvaient des étudiant-e-s mobilisé-e-s de Paris 1 et de Paris 8, un lycéen, des cheminots de la gare d'Austerlitz et de la gare Saint Lazare, l'avocat des Goodyear, un étudiant sud-africain ayant participé aux grandes mobilisations qui ont traversé son pays l'année dernière, et l'économiste Frédéric Lordon. Le premier jalon, donc, d'un « tous ensemble » qu'il faudrait désormais traduire massivement demain dans la rue et approfondir dans les semaines à venir !

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Université alternative et de convergence des luttes : réinvestir la fac pour aller vers le tou.te.s ensemble

L’amphithéâtre N était plein à craquer lorsque le meeting a commencé vers 19h. Fait fort rare dans ce centre universitaire, y compris pour des cours, comme l’a rappelé l’une des membres du comité de mobilisation. La salle brandissait les symboles d’une mobilisation contre la loi travail qui est née voilà bientôt un mois à Paris 1. Sur les grandes banderoles qui pendaient des murs, on pouvait lire : « Grève générale », « Facs – Usines – Lycées – A Tolbiac on contre-attaque », « Pour une université gratuite, populaire et émancipatrice – Paris 1 en lutte » ou encore « Etudiant-e-s solidaires des travailleur-se-s en lutte ». Des pancartes et des affiches fabriquées peu à peu pendant la mobilisation ont également orné la salle.

C’est Elsa, militante du comité de mobilisation de Paris 1, qui a ouvert le meeting. En organisant celui-ci, le comité tenait à envoyer un message fort à la vieille de la journée nationale de grève générale du 31 mars : la nécessité d’être « tou.te.s ensemble ». « Ce ’tous ensemble’, a-t-elle affirmé, c’est certes ce qu’on va faire demain, la démonstration de notre force et notre nombre. » « Mais c’est aussi ce qu’on fait en rendant la grève vivante, en rompant avec la pression des cours, des examens pour réinvestir l’université » a-t-elle poursuivi. C’est effectivement ce que les étudiant-e-s mobilisé-e-s de Paris 1 ont fait ce soir en ouvrant leur université aux différents secteurs de la jeunesse et du monde du travail en lutte avec l’objectif d’étendre la dynamique de mobilisation de la jeunesse au monde du travail. Et au fur et à mesure de la soirée, les différentes interventions ont effectivement posé les bases de cette convergence des luttes si nécessaires pour construire un mouvement capable de gagner.

Les universités et les lycées mobilisés, le poumon de la mobilisation (jusque-là...)

La parole était d’abord aux différentes universités et lycées mobilisés, lesquels sont jusque-là, comme l’ont rappelé de nombreux intervenants salariés, le véritable « poumon de la mobilisation ».

Layla était la première à intervenir au nom du comité de mobilisation de Paris 1 afin de raconter le mouvement depuis le début. Elle est revenue sur la première assemblée générale à laquelle ont participé plus de 700 étudiant-e-s, sur l’activité du comité de mobilisation qui s’est consacré ces dernières semaines à faire vivre la grève en organisant des cours alternatifs, des projections de film (comme celle de Merci Patron ! mardi soir au centre Tolbiac qui a réuni plus de 500 personnes), mais surtout en « mettant des actes derrière le mot d’ordre de convergence des luttes ». En effet, les étudiant-e-s mobilisé-e-s de Paris 1 sont allé-e-s à plusieurs reprises à la rencontre des personnels et des professeurs de l’université, des cheminot-e-s de la gare d’Austerlitz ou encore des salarié-e-s de l’hôpital Pitié-Salpêtrière.

Elle a surtout mis l’accent sur la stratégie mise en œuvre par la présidence de l’université et le gouvernement pour briser le mouvement. D’abord, il y a eu les modifications cosmétiques apportées par le gouvernement au projet de loi travail qui ont été massivement rejetées par les jeunes déjà en mouvement. Puis, est venu le temps de la répression administrative sous la forme de fermetures administratives de l’université pour empêcher la tenue d’assemblées générales à Tolbiac, à René Cassin, au Panthéon et en Sorbonne, mais qui n’a fait qu’étendre le mouvement du quartier des Olympiades au Quartier latin. Répression administrative qui s’est très rapidement transformée en répression policière lorsque 250 CRS ont évacué manu militari quelques dizaines d’étudiant-e-s occupant un amphithéâtre pour tenir une assemblée générale et d’autres dizaines encore à l’extérieur du centre Tolbiac à coups de matraque et gaz lacrymogène. « Mais on ne va pas en rester là, a-t-elle martelé, si la fac est fermée, on fera nos AG dehors ! »

Ensuite Claire et Bryan, tou-te-s deux étudiant-e-s à Paris 8, ont pris la parole pour raconter comment se passe la grève dans leur université. La mobilisation est rythmée par deux AG par semaine et a commencé à se structurer plus profondément avec l’entrée en grève de nombreuses UFR. Elle est également ponctuée depuis le 17 mars par des blocages qui permettent de faire grossir les assemblées générales et de faire participer celles et ceux sur qui les pressions universitaires pèsent les plus. Les étudiant-e-s mobilisé-e-s ont entrepris un travail interprofessionnel depuis quelques temps, et ont notamment prévu pour la manifestation du 31 un départ commun regroupant l’université, les lycées et les secteurs du travail en lutte de Saint-Denis.

Enfin, c’était au tour des lycéens d’enflammer la salle. Nathan, lycéen mobilisé depuis le 9 mars, a commencé son intervention en annonçant la décision du gouvernement de fermer administrativement au moins 25 lycées parisiens demain. « Qu’est-ce que le gouvernement cherche à freiner en faisant ça ? Un mouvement beaucoup plus large que le 9, le 17, le 24... La jonction qui se fait ce soir, le ’tous ensemble’ ! » a-t-il martelé. Depuis le début, la ministre du Travail et celui de l’Economie ne cessent de répéter à longueur de journées que les lycéens qui bloquent sont des branleurs qui ne veulent pas aller en cours, qu’ils n’ont rien compris à la loi. Au contraire, ils ont très bien compris. « Je suis né en 1998. La plupart des lycéens sont nés à la fin des années 1990 ou au début des années 2000. C’est-à-dire qu’ils ont 8 ans quand la crise éclate » rappelle-t-il. « On n’a rien à voir avec leur crise ! On refuse de se serrer la ceinture pour les patrons et leurs profits ! » a-t-il conclu sous un tonnerre d’applaudissements.


Le monde du travail doit faire éruption aux côtés des jeunes

La parole est passée ensuite aux cheminots de la gare d’Austerlitz et de la gare Saint Lazare, qui sont venus partager leurs expériences avec le public. Actuellement, les cheminots sont en lutte à la fois contre la loi travail et le décret socle, conséquence de la réforme ferroviaire de 2014 et sorte de loi travail interne à la SNCF. Ce décret, s’il passe, enlèvera entre 10 et 20 jours de repos par an aux cheminots et aggravera considérablement leurs conditions de travail, la direction étant dorénavant obligée de fournir les plannings seulement trois jours à l’avance ! « Ils cherchent plus de flexibilité pour augmenter la productivité. Pour baisser le coût du travail » selon l’un d’entre eux. « C’est le même combat dans le public que dans le privé ! ».

Si le 9 mars a été une journée de mobilisation massive à la SNCF contre la loi travail et le décret socle avec des taux de grève s’élevant jusqu’à 80, voire 90 %, les directions syndicales ont prévu un calendrier de mobilisation comprenant des journées d’action espacées jusqu’en mai. « Les états-majors syndicaux ont prévu un calendrier jusqu’en mai. Malgré l’ampleur de la mobilisation, ils n’ont pas changé ce calendrier. » Ce qu’il faut, selon eux, c’est « la grève générale reconductible à la SNCF » comme partout. Et c’est surtout ça qu’il s’agit de préparer à partir du 31 mars.

Devenu un véritable symbole de la colère et de la résistance ouvrière depuis plusieurs mois, c’est Fiodor Rilov, l’avocat des ex-syndicalistes de l’usine Goodyear, condamnés à de la prison ferme pour leur lutte contre la fermeture de leur usine, qui est ensuite intervenu. Pour lui, la convergence des luttes est la condition nécessaire pour le mouvement si on veut éviter un retour à l’âge de pierre social. En effet, « cette loi a pour toile de fond une chose : la baisse des salaires. Et ils ont inventé une mécanique d’une efficacité redoutable... Soit on accepte à l’intérieur de l’entreprise la mise en place d’un accord d’entreprise qui réduit les salaires, qui augmente la durée du travail, qui casse les conditions de travail. Soit on est licencié du jour au lendemain sans aucune justification. C’est un rapport de force auquel très peu de monde sera capable de résister » a-t-il expliqué. « C’est une longue bagarre qui s’engage, a-t-il poursuivi, et on ne peut pas gagner les uns sans les autres ! ».


Leçons de #RhodesMustFall

Le meeting a pris des couleurs internationalistes avec la présence de Niall Reddy, étudiant sud-africain ayant participé au mouvement étudiant #RhodesMustFall en 2015. Ce mouvement est parti à l’Université du Cap en Afrique du Sud en mars dernier de la revendication du démantèlement de la statue du colonisateur Cécile Rhodes. Au cours des mois qui s’en sont suivis, ce mouvement a posé le problème du racisme structurant qui continue à diviser la société sud-africaine. La présidence et le gouvernement ont répondu par un mélange savant de réforme – ils ont enlevé la statue sans se préoccuper des autres revendications – et de répression – exclusions, coups de matraques, etc.

Très rapidement, le mouvement s’est répandu aux différents campus à travers le pays et les revendications se sont multipliées : contre l’augmentation des frais de scolarité, pour la décolonisation de l’université, contre la sous-traitance et la précarité. Peu à peu, et notamment face à la décision du gouvernement d’augmenter les frais de scolarité et à la répression brutale des policiers, ce mouvement est devenue une contestation de masse. 7 000 étudiants ont protesté devant le Parlement, 15 000 devant le siège de l’exécutif. Devant l’ampleur du mouvement et des liens tissés entre les étudiants et les travailleurs, le gouvernement s’est vu obligé de satisfaire les revendications : l’augmentation programmée des frais de scolarité a été abandonnée et les salaires et conditions de travail des travailleurs des universités seraient améliorés. Une démonstration très concrète et tout récente, alors, de la puissance de l’action et de l’organisation collectives et de la convergence des luttes.

Le « tous ensemble », cette hantise du pouvoir au carré

Enfin, c’était à l’économiste Frédéric Lordon de prendre la parole. Comme on le répète souvent, « une mobilisation de jeunesse est un cauchemar des ministres, une hantise du pouvoir. Le contact de la jeunesse avec les salariés, c’est la hantise du pouvoir au carré. » L’économiste a même souhaité adresser ses remerciements à la ministre El Khomri car « il manquait un petit quelque chose pour faire exploser tout ce qui était jusque-là en suspension. » Il a notamment appelé les jeunes et les salarié-e-s à sortir de l’enfance politique dans laquelle l’État les enferme depuis leur tout jeune âge, à ne pas réclamer, ou à revendiquer le retrait sans négociation de la loi, mais à en affirmer haut et fort leur rejet et leur volonté d’en découdre. Car ce moment, selon lui, pose une question fondamentale : « Qui a le plus besoin de qui ? » C’est cette prise de conscience qu’il faut faire progresser dans les semaines à venir. « La France exporte des produits de très haute valeur. Pas seulement des produits de luxe. En 2010, Cameron est arrivé au pouvoir et annoncé une augmentation des frais de scolarité, déclenchant des manifestations importantes dans Londres » a-t-il rappelé. « Qu’est-ce que les étudiants mobilisés chantaient ? Tous ensemble, tous ensemble... » C’est ce tous ensemble qu’il s’agit de cultiver, d’approfondir dans les jours et les semaines à venir.


A la fin de la soirée, les murs de Tolbiac résonnaient sous les cris euphoriques de « grève générale ! ». Des cris qui doivent se concrétiser le 31 et continuer à se concrétiser « le 32 » si on veut emporter une véritable victoire pour notre camp social !


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