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Crise migratoire en Europe

Merkel et les réfugiés : solidarité ou hypocrisie ?

« L’Allemagne donne l’exemple, et le bon exemple. Face à la poussée migratoire dont l’Europe est le théâtre, Angela Merkel a eu, lundi 31 août, les mots les plus justes. La chancelière a convoqué ce qui est au cœur de l’Union européenne – « les droits civils universels », selon ses mots – pour appeler à un sursaut commun de ‘solidarité’ ». C’est avec ces mots que Le Monde présentait la politique de l’Allemagne vis-à-vis de l’énorme crise humanitaire que traverse l’Europe dans un édito récent. Avec un tel éloge, on oublierait presque qu’il s’agit du même gouvernement qui impose une politique criminelle contre les conditions de vie des masses en Grèce et dans bien d’autres pays à travers le continent. Mais que Le Monde se lance dans la promotion de la politique du gouvernement allemand n’est pas aussi surprenant. Par contre, ce qui est étonnant c’est que cette tendance gagne même des secteurs du journalisme « indépendant » comme Médiapart où, dans un article intitulé « Crise des réfugiés : l’hypocrisie française, l’exemple allemand », on affirme : « Dans cette cacophonie où les égoïsmes nationaux tiennent lieu de boussole, il est un pays, l'Allemagne, qui s'organise et est en train de démontrer à l'Europe entière ce que peut être une politique d'accueil conforme aux valeurs européennes. Depuis deux semaines, il n'est pas une journée sans que des ministres allemands, de droite comme de gauche, expliquent à leur opinion publique la gravité de cette crise et ses enjeux, la nécessité d'un accueil massif de réfugiés et la capacité de leur pays à pouvoir le faire ». Mais, la politique de Merkel est-elle vraiment en train de créer une opinion favorable aux migrants dans son pays ?

Philippe Alcoy

3 septembre 2015

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Polarisation de la société allemande face à la crise migratoire

Comme expliquent nos camarades de l’Organisation Internationaliste Révolutionnaire (RIO) d’Allemagne dans les pages d’Izquierda Diario : « la ‘crise migratoire’ polarise la société. Dans un sondage récent 77% des répondants ont choisi le thème de « l’immigration » comme leur principale inquiétude dans la situation actuelle. (…) Il y a de plus en plus de personnes qui cherchent à échapper à la famine, à la guerre et à la persécution en mettant en danger leur vie. Alors qu’en 2008 seulement 28.000 personnes ont demandé l’asile en Allemagne, en 2014 il y a eu 202.800 demandes et en 2015 on en est déjà à 179.500. Le ministre de l’intérieur s’attend à 800.000 demandes d’asile cette année. A cela il faut rajouter les milliers de personnes qui arrivent sans être registrées ».

Selon le même article, cette situation est en train de provoquer une augmentation du nombre d’agressions contre les étrangers : « ces derniers mois, la déjà habituelle campagne de diffamation contre les immigrés de la part du gouvernement a été accompagnée d’attaques directes. Entre 2013 et 2014 le nombre de ces attaques a triplé, atteignant l’année dernière le chiffre de 203. Pendant les six premiers mois de 2015 on enregistre déjà 202 cas d’agressions contre des immigrés (…) Et cela sans parler des chiffres « non officiels » qui seront beaucoup plus élevés étant donnée la complicité entre la police, les services d’intelligence et des groupes d’extrême droite ».

Il faudrait signaler aussi les attaques de ces groupes xénophobes contre les activistes, médecins et membres d’associations solidaires des migrants. Peut-être l’évènement le plus grave en ce sens a été enregistré à la mi-août dans la ville de Heidenau où des groupes de néo-nazis ont attaqué pendant plusieurs jours un centre d’accueil pour les réfugiés.

Mais il y a aussi une autre partie de la société allemande qui s’exprime clairement en faveur des migrants, comme la manifestation du 29 août dernier dans la ville de Dresde où 10.000 personnes se sont mobilisées pour dire « Refugees Welcome ». On peut citer encore les supporteurs des clubs de football les parmi les plus populaires qui ont manifesté leur soutien aux réfugiés.

Ces manifestations de solidarité s’inscrivent dans un contexte où, l’année dernière, l’Allemagne a connu le plus grand mouvement démocratique pour les droits des réfugiés, duquel des centaines de jeunes et militants d’extrême gauche ont pris partie. La situation actuelle de plus grande polarisation autour de la question des migrants pourrait effectivement redynamiser le mouvement qui s’était essoufflé face à l’intransigeance du gouvernement.

Une politique humaniste de Merkel ?

Mais les politiques allemandes sont-elles aussi accueillantes vis-à-vis des migrants ? Il y a un aspect en effet de ces politiques justement qui n’est pas du tout mentionné dans l’article de Médiapart cité plus haut. Quand les membres du gouvernement de Merkel parlent d’accueillir 800.000 réfugiés cette année, ils parlent bien des personnes fuyant la guerre en Syrie et un peu moins en Afghanistan et en Irak.

De cette façon ils procèdent à faire un « tri » entre les « bons » et les « mauvais » migrants. Les « bons » seraient les réfugiés fuyant les conflits armés et les « mauvais » lesdits « réfugiés économiques », notamment les populations venant des Balkans. En effet, 40% des demandeurs d’asile dans les premiers six mois de 2015 venaient de pays des Balkans comme le Kosovo (18%), Albanie (14%), Serbie (6%), etc.

Ainsi, tous les partis capitalistes allemands défendent l’idée d’une restriction du droit d’asile pour les pays de cette région. En plus d’établir des listes de pays « sûrs » (qui ne sont pas en état de guerre), on est en train de construire des centres de rétention pour les migrants dans les régions du sud de l’Allemagne et dans les pays dans les frontières européennes. L’objectif, c’est faire une présélection des migrants pour pouvoir renvoyer plus facilement les « réfugiés économiques ».

Ici, on doit faire justice à l’édito du Monde qui mentionne cet élément de la politique allemande… pour la soutenir : « Les pays-frontières de l’UE que sont la Grèce, l’Italie, la Hongrie, tous débordés, ont moins besoin de leçons de morale que d’une aide conséquente pour créer dans l’urgence des centres d’accueil où opérer une première sélection entre candidats au statut de réfugié et migrant économique (souvent venus des Balkans) (…)Cela suppose de s’entendre sur une liste de pays dits « sûrs », dont les ressortissants n’ont pas vocation au statut de réfugié politique ».

Mais même dans sa politique d’accepter certains réfugiés venant des pays en guerre, qui soit dit en passant ne sauve la vie de personne car l’Allemagne ne fait rien pour faciliter le transit des migrants jusqu’à son territoire, Merkel et le patronat allemand trouvent leur compte. Il s’agit d’une part de se refaire une image de pays respectant les « valeurs européennes », après leur attitude criminelle dans le dossier grec ; et d’autre part de répondre à un problème démographique qui pourrait avoir des conséquences économiques pour le pays. Ainsi, le président de la Chambre de l’industrie et du Commerce allemand (DIHK) Eric Schweizer a condamné les attaques contre les migrants et revendiqué une « culture de l’accueil » en affirmant : « je fais cela dans mon propre intérêt car les entreprises allemandes dépendent d’experts venus de l’étranger ».

Bref, face à un faible taux de natalité, le patronat allemand compte exploiter la main d’œuvre étrangère, formée et bon marché arrivée de pays en guerre. Même si le chiffre de 800.000 réfugiés qui arriveront en 2015 semble complètement exagéré, il est clair que ces nouveaux travailleurs désespérés vont être utilisés par le patronat pour faire baisser les salaires de l’ensemble de la classe ouvrière.

C’est en ce sens qu’il est une illusion de croire à la « bienveillance » de dirigeants impérialistes comme Angela Merkel vis-à-vis des migrants. La tâche de solidarité internationaliste avec l’ensemble des migrants, qu’ils fuient la guerre ou la misère, retombe donc entièrement dans les mains des exploités et des opprimés de l’Allemagne.


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