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La Izquierda Diario
28 de novembre de 2017 Twitter Faceboock

Maternité du Mans
« On veut que tout le monde sache à quel point la qualité des soins s’est dégradée faute de personnel »
Dom Thomas

Cadences infernales, heures supplémentaires qui s’accumulent, jours de congé supprimés : à la maternité du Mans, les personnels soignants n’en peuvent plus.

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Depuis les récentes et brutales suppressions d’effectifs à la maternité du Mans, la situation est en effet devenue intenable pour ces soignants qui ont, pendant des années, accepté sacrifice sur sacrifice, au nom de la qualité des soins délivrés aux patientes. Ces trois dernières semaines, face à une situation qui n’a fait que se dégrader, la majorité du personnel soignant a décidé de dire stop. Révolution Permanente a rencontré certains d’entre eux, qui ont souhaité conserver l’anonymat par crainte des mesures de répression provenant de leur direction

Révolution Permanente - Pouvez-vous commencer par décrire la situation dans laquelle vous vous trouvez aujourd’hui ?

Si on se mobilise aujourd’hui, c’est parce qu’on est vraiment inquiètes pour nos collègues. Plusieurs d’entre nous sont vraiment mal, on les voit s’assombrir de jour en jour du fait de la fatigue et des tensions qui s’accumulent. Plusieurs sont au bord du burn-out. Et pour cause ! Prenant le prétexte d’une baisse conjoncturelle d’activité, notre DRH a réduit nos effectifs ; mais les effectifs supprimés vont bien au-delà de la baisse d’activité. Les chiffres dont on dispose montrent qu’entre l’an dernier et cette année, il y a bien eu 342 accouchements en moins – soit un peu moins d’un par jour. Et face à ça, la direction a supprimé pas moins de 9,5 équivalents temps plein ! En plus de ça, les personnes qui ont été envoyées ailleurs ont été informées par un coup de téléphone, un vendredi soir à 18h, disant que dans 10 jours elles ne travailleraient plus dans le service et qu’il fallait qu’elles passent à la DRH pour voir où on pouvait les recaser. C’est d’un mépris total pour des personnels qui se sont investis dans le service, ont essayé de mettre des choses en place et se projetaient ici.

Du coup forcément, celles et ceux qui restent ne sont pas assez nombreux pour faire le boulot. Dans ces cas-là, on nous rappelle sur nos temps de repos, sur nos RTT, tout le temps dès qu’ils le peuvent. Hier par exemple : j’étais du matin, j’ai donc travaillé de 6h20 à 13h40. Pendant mon service, on a appris qu’une collègue de l’après-midi allait être absente pour cause d’arrêt maladie. La cadre est venue nous voir, on était cinq, et son discours ça a été : « X est absente, laquelle de vous reste ? » Dans sa tête, c’est une obligation, il fallait que l’une d’entre nous reste. Sauf que non, ça ne l’est pas ! On a le droit de se reposer, et on en a besoin ! Le problème c’est qu’on sait que si on refuse de revenir sur un pic d’activité, ou pour pallier à l’absence d’un collègue, on met nos collègues, celles et ceux qui travaillent ce jour-là, dans la merde. Mais ça revient à mettre en permanence des petits pansements, à résoudre le problème à très court terme, et à l’aggraver à long terme, car la direction laisse la situation perdurer et qu’en plus, avec l’épuisement que ça génère, les arrêts maladie des collègues se multiplient.

Quand on est au travail, sur nos 7h20 de service en continu, on a le droit à une seule pause de 10-15 minutes, qu’on n’a pas toujours le temps de prendre. Ça veut dire, en pratique, qu’on n’a pas forcément le temps de manger, ou même d’aller aux toilettes. Il y a toute une partie de notre travail qui est difficilement quantifiable, et qui n’est donc pas comptée : par exemple, quand une mère a perdu son enfant, ou a vécu un accouchement très difficile, c’est important qu’elle soit accompagnée, qu’on ait le temps de discuter avec elle pour atténuer le traumatisme. Mais rien de tout ça n’est pris en compte. Et dès qu’on est une de plus, que l’activité est un peu moins sous tension, on nous rajoute des tâches : par exemple on nous dit qu’il faut brancarder plutôt qu’appeler les brancardiers, dont c’est le métier, ou bien il faut rattraper toutes les tâches en retard qu’on n’a pas eu le temps de faire pendant le pic d’activité. Du coup, même si on nous a fait faire des formations intéressantes sur l’allaitement, les positions pour l’accouchement etc, on n’a jamais le temps de mettre en place quoi que ce soit. Franchement, l’impression qui se dégage de tout ça, c’est que pour la direction, tout ce qui compte c’est que le couple mère-enfant soit vivant.
Cette logique de réduction des coûts, de pressurisation des personnels et de dégradation de la qualité des soins touche tous les soignants. Par exemple, notre collègue psychologue s’est entendu dire qu’il fallait qu’elle « définisse ses priorités » : dans la pratique, ça veut dire choisir entre accompagner un couple dont l’enfant de 10 ans est en fin de vie, une dame qui vient de perdre son bébé ou un réfugié politique sans famille. Franchement, comment peut-on définir des priorités entre ces trois situations dramatiques ?

Du coup, quelles sont vos revendications ?

C’est simple en fait : on veut que la direction embauche du personnel correspondant au nombre réel d’accouchements et à tout ce travail non reconnu, pour qu’on arrête d’être constamment en pic d’activité et de faire des heures sup’. On a plein de propositions, par exemple on est en train d’élaborer des fiches de poste à partir de nos besoins. Ça serait tout simplement très utile d’avoir une sage-femme de terrain, c’est-à-dire polyvalente, qui soit capable de gérer les crises en cas de pic d’activité. C’est pas grand-chose, mais ça ferait déjà tellement ! On veut que l’argent soit mis dans les embauches, qu’on arrête de nous faire croire à des améliorations avec des dispositifs absurdes. La direction met de l’argent dans des conneries : le programme « Vis ma vie à l’hôpital », qui permet au personnel de suivre un autre corps de métier pendant une journée pour voir son quotidien ; ou encore le programme « Bien manger pour mieux travailler », qui repose donc sur notre responsabilité individuelle pour être plus productifs. Sauf que de toutes façons, vu nos horaires, on ne peut pas aller au self… L’autre jour, il y a eu un appel à faire des propositions d’amélioration dans le service : on nous faisait miroiter qu’on gagnerait peut-être un fauteuil massant pour le service. Mais on court tout le temps partout : quand est-ce qu’on poserait nos fesses dedans ? De la même manière, face à nos revendications récentes, la direction a élaboré un joli schéma reprenant la procédure à suivre en cas de pic d’activité, qui solliciter, etc. Le problème, c’est qu’une fois de plus c’est totalement inutilisable : on nous demande d’appeler d’autres services qui sont eux aussi sur-occupés. C’est encore une fois un pansement sur une jambe de bois.
En plus des embauches, on voudrait que la direction rouvre officiellement les lits qui ont été fermés, mais qui sont physiquement toujours là et qui servent sans qu’on ait le personnel correspondant. Pour la direction, ce sont des lits-fantômes : leur coût en personnel est nul, puisqu’ils ne sont pas censés exister. Mais pour nous, ce sont des lits réels, avec des vraies patientes et de vrais bébés dont il faut vraiment prendre soin. Sans parler du fait qu’ils permettent à la direction de facturer de vrais actes et d’être vraiment payés… En fait, il faudrait que l’ensemble des règles de comptage des lits correspondent à la réalité. Actuellement, quand les dames doivent sortir dans la journée, elles ne sont pas comptées ; pourtant elles peuvent ne sortir qu’à 18h, donc avoir tous les soins dans la journée, sans compter le temps de sortie qui a besoin d’être pris avec chacune, quelle que soit l’heure de la journée à laquelle elle sort.

Quels moyens de pression est-ce que vous envisagez pour mettre fin à cette situation ?

Déjà on a commencé par retirer nos numéros de téléphone de la liste de notre cadre. C’est un droit qu’on a, mais qu’on exerce jamais ! Désormais, seul le directeur a notre numéro, il peut nous appeler en cas de plan blanc (plan d’urgence, NDLR). Parce que sinon, c’est l’angoisse à chaque fois que le téléphone sonne, on crie aux enfants : « surtout ne réponds pas ! » Les cadres vont jusqu’à nous appeler en numéro masqué ou avec leur numéro personnel pour qu’on réponde sans se méfier. On a souvent deux ou trois appels en une semaine pour nous rappeler sur nos temps de repos. Et le discours est toujours mielleux ou culpabilisant, genre « tu es ma dernière ressource, je sais que je t’en demande beaucoup, je sais que c’est pas facile, je sais que vous êtes mal, mais j’ai vraiment besoin que tu reviennes »… Du coup, on a fait ça, et la plupart de nos collègues sont en train de le faire également. Ces derniers temps, on est quelques-unes à avoir appris à dire non sans culpabiliser (ou le moins possible !).

Après, au-delà de ça, on a fait pas mal de réunions, soutenues par la CGT du centre hospitalier, et on a défini un plan d’action collectif. On sait que sur les 80 sages-femmes de la maternité, il y en a une quarantaine qui sont d’accord avec nous et qui veulent que ça change ; parmi les 20 aides-soignantes et auxiliaires puéricultrices, c’est une quinzaine.

Depuis le 20 novembre, les collègues qui sont partie prenante n’enregistrent plus les actes de soin dans l’ordinateur. En pratique, ça veut dire qu’on continue les soins, mais que l’hôpital ne peut pas les facturer à la sécu. C’est important, parce que ça fait perdre – au moins temporairement – pas mal d’argent à l’hôpital. Les cadres peuvent le faire à notre place, mais ça va leur prendre un temps fou, et leur faire mesurer, si nécessaire, la réalité de notre travail.

On a aussi décidé de faire remonter et de signaler officiellement tous les incidents, sans exception, que la direction sera obligée de traiter. On a aussi mis en place un cahier de suivi par service, pour qu’on puisse objectiver et nous rendre compte par nous-mêmes du taux d’occupation des lits, et ainsi le prouver à la direction. On veut aussi leur montrer tous les cas de patientes qui ne sont pas dans le bon service, notamment parce qu’elles ont une grossesse à risque mais qu’on n’a pas la place de les prendre dans le service adéquat.

De la même manière, on commence un suivi des heures supplémentaires. Actuellement, sur l’ensemble des sages-femmes, il y a un reliquat de 7 ans d’heures sup’ ! Ça signifie que pour que toutes les collègues puissent prendre leurs récup’ dans l’année à venir, il faudrait embaucher 7 personnes à temps plein sur l’année. C’est complètement dingue !

Depuis qu’on s’est mis en lutte, on a aussi commencé un groupe de travail avec la psychologue, pour établir une traçabilité du niveau de souffrance au travail parmi nous. Les termes qui ont été employés par les collègues sont vraiment éloquents, et font peur pour leur santé.

Inversement, on a décidé de refuser de participer à tous les groupes de travail qu’on nous propose pour soit-disant nous former, améliorer des choses etc, parce qu’on a bien vu que ça ne servait à rien et que c’était même de l’argent jeté par les fenêtres.

On a aussi rendez-vous avec le médecin du travail, et on a saisi le CHSCT par écrit ; on compte aussi voir avec d’autres maternités dans la région et saisir l’Agence Régionale de Santé, voire le ministère.

Enfin, ce qu’on veut, c’est que n’importe quelle femme qui accouche à l’hôpital du Mans soit informée de tout ça, et de comment va être sa prise en charge. S’ils veulent couper les budgets, il faut que tout le monde le sache ! Pendant le dernier pic d’activité, qui a duré 15 jours, il n’aurait franchement pas fallu qu’il y ait un contrôle sanitaire. Pour prendre un exemple de plus : officiellement, la péridurale, c’est un droit. Mais chez nous, il n’y a qu’un seul anesthésiste : donc s’il y a une césarienne à faire pour un autre accouchement qui se déroule en même temps, c’est logiquement ça qui va primer, et la dame qui accouche par voie basse n’aura personne pour lui poser une péridurale… Il faut que ça se sache largement pour faire cesser cette situation qui détruit les personnels et dégrade nettement la qualité des soins dispensés aux patientes.

Quelle est la réaction de la direction face à tout ça ?

Suite à notre mobilisation, une partie des suppressions de postes (pour mémoire, 9,5 ETP) ont été reportées. Au départ, on nous avait dit jusqu’en janvier – mais comme on a augmenté la pression, la direction a annoncé que ces quelques postes seraient conservés jusqu’au 1er avril. Ça ne change pas grand-chose en fait : tout ce qu’on a obtenu pour l’instant, c’est un calendrier des échéances, mais ça n’enlève pas que les postes seront supprimés. Ça a l’air de suffire à la direction, mais clairement pas à nous !

Au niveau des 10 lits-fantômes dont on parlait tout à l’heure, on n’a rien obtenu pour l’instant : même si les syndicats ont voté contre la baisse des capacités au comité technique de vendredi dernier, le directeur a maintenu sa décision.

C’est pour ça qu’on pense qu’il faut augmenter la pression, parce qu’on ne gagnera rien sinon.

Propos recueillis par Dom Thomas

Crédits photo : www.archi-guide.com

 
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