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La Izquierda Diario
14 de décembre de 2017 Twitter Faceboock

Interview du grand historien de la colonisation sioniste à propos de son dernier ouvrage
« Palestine, prison à ciel ouvert », selon Ilan Pape
Mustafa Abu Sneineh – Middle East Eye

C’est à une histoire de l’occupation israélienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza que se livre le grand hitsorien Ilan pape dans son dernier ouvrage, « The biggest prison on earth, A History of the Occupied Territorys », et sur laquelle il revient dans cette interview publiée à l’origine sur Middle East Eye le 24 novembre.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Palestine-prison-a-ciel-ouvert-selon-Ilan-Pape

Le résultat de la guerre des Six Jours de 1967 entre Israël et les armées arabes fut l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Israël a voulu présenter l’histoire comme si c’était une guerre imposée, mais de nouveaux documents historiques et des des archives montrent qu’Israël était bien préparé pour cela.
En 1963, des autorités militaires, juridiques et civiles se sont inscrites à un cours à l’Université Hébraïque de Jérusalem pour établir un plan global sur la façon de prendre soin des territoires qu’Israël occuperait quatre ans plus tard et gérer le million et demi de Palestiniens qui y vivaient. Motivait cette formation, l’échec de la manière dont Israël avait pris en charge les Palestiniens de Gaza durant leur courte occupation pendant la crise de Suez en 1956.
En mai 1967, quelques semaines avant la guerre, les gouverneurs militaires israéliens ont reçu des des instructions sur la manière de contrôler les villes et villages palestiniens. Israël allait transformer la Cisjordanie et la bande de Gaza en une méga-prison sous régime et surveillance militaire.

Middle East Eye : En quoi ce livre est-il basé sur votre livre précédent, Le nettoyage ethnique de la Palestine , sur la guerre de 1948 ?

Ilan Pappe : Sans aucun doute, c’est la continuation de mon livre précédent, Le nettoyage ethnique de la Palestine, qui décrit les événements de 1948. Je considère que tout le projet du sionisme est une structure et pas simplement un événement. Une structure de colonialisme au moyen de laquelle un mouvement de colons colonise une patrie. Jusqu’à ce que la colonisation soit achevée et que la population originelle résiste à travers un mouvement de libération nationale. Chacune des périodes que j’étudie n’est qu’une phase au sein de la même structure.
Bien que The Biggest Prison soit un livre d’histoire, nous continuons dans le même chapitre historique. Ce n’est pas encore fini. Donc, en ce sens, il devrait probablement y avoir un troisième livre analysant plus tard les événements du 21ème siècle et comment la même idéologie du nettoyage ethnique et de la dépossession est mise en œuvre dans la nouvelle ère, et comment les Palestiniens s’y opposent.

MEE : Vous dites qu’en juin 1967 un nettoyage ethnique a eu lieu. Qu’est-il arrivé aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza à cette époque ? En quoi était-il différent du nettoyage ethnique de la guerre de 1948 ?

IP : En 1948, il y avait un plan très clair pour essayer d’expulser autant de Palestiniens que possible, Le projet de colonialisme par le peuplement a cru qu’il avait le pouvoir de créer un espace juif en Palestine dans lequel il n’y aurait aucun Palestinien du tout. Au moment de vérité, cela n’a pas si bien fonctionné, mais c’était plutôt réussi. Quelque 80% des Palestiniens vivant dans ce qui allait devenir l’État d’Israël sont des réfugiés.
Comme je le montre dans le livre, il y avait des politiciens israéliens qui pensaient que peut-être nous pourrions faire en 1967 ce que nous avons fait en 1948. Mais la grande majorité d’entre eux comprenait que la guerre de 1967 était une guerre très courte. Il y avait la télévision et beaucoup de ceux qu’ils voulaient expulser étaient déjà des réfugiés de 1948. Par conséquent, je pense que la stratégie n’était pas le nettoyage ethnique tel qu’il a été mis en place en 1948. C’était ce que j’appellerais un nettoyage ethnique progressif. Dans certains cas, ils ont expulsé beaucoup de gens de certaines régions telles que Jéricho, la vieille ville de Jérusalem et la périphérie de Qalqilya. Mais dans la plupart des cas, ils ont décidé qu’un régime militaire et un siège pour emprisonner les Palestiniens dans leurs propres régions seraient aussi efficaces que de les chasser. De 1967 à aujourd’hui, il y a un nettoyage ethnique très lent qui s’étend probablement sur une période de 50 ans et qui est si lent que, parfois, il ne touche qu’une personne par jour. Mais si vous considérez toute la période, de 1967 à aujourd’hui, nous parlons de centaines de milliers de Palestiniens qui ne sont pas autorisés à retourner en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.

MEE : Vous faites la différence entre deux modèles militaires qu’Israël utilise : le modèle de prison ouverte en Cisjordanie et le modèle de prison de haute sécurité dans la bande de Gaza. Comment définissez-vous ces deux modèles ? S’agit-il de termes militaires ?

IP : J’utilise ces termes comme des métaphores pour expliquer les deux modèles qu’Israël offre aux Palestiniens dans les territoires occupés. J’insiste pour utiliser ces termes parce que je crois que la solution des deux États est en fait le modèle de la prison ouverte.
Les Israéliens contrôlent les territoires occupés directement ou indirectement et essayent de ne pas pénétrer dans les villes et villages palestiniens densément peuplés. Ils ont divisé la bande de Gaza en 2005 et divisent encore la Cisjordanie. Il y a une Cisjordanie juive et une Cisjordanie palestinienne qui n’est plus une zone territoriale continue.
A Gaza, les Israéliens sont les gardiens qui gardent les Palestiniens enfermés loin du monde extérieur, mais ils n’interviennent pas dans ce qu’ils font à l’intérieur. La Cisjordanie est comme une prison à ciel ouvert dans laquelle des délinquants mineurs sont envoyés et où ils ont plus de temps pour sortir et travailler à l’extérieur. A l’intérieur le régime n’est pas difficile, mais c’est toujours une prison.
Même le président palestinien Mahmoud Abbas a besoin que les Israéliens lui ouvrent la porte s’il passe de la zone B à la zone C. Et à mon avis, il est très symbolique que le président ne puisse pas bouger sans que le geôlier israélien n’ouvre la porte de la cage.
Bien sûr, il y a toujours une réponse palestinienne à cela. Les Palestiniens ne sont pas passifs et ne l’acceptent pas. Nous avons vu la première et la deuxième Intifada, et peut-être verrons-nous une troisième Intifada. Dans leur mentalité de gestionnaires de prison, les Israéliens disent aux Palestiniens que s’ils résistent, ils leurs enlèveront tout, comme ils le font en prison. Ils ne pourront pas travailler à l’extérieur. Ils ne pourront pas se déplacer librement et seront punis collectivement. C’est le côté punitif, la punition collective comme représailles.

MEE : La communauté internationale condamne timidement la construction ou l’expansion des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés. Elle ne semble pas considérer cela comme une partie fondamentale de la structure coloniale israélienne que vous décrivez dans votre livre. Comment les colonies israéliennes ont-elles commencé, leur base était-elle séculaire ou religieuse ?

IP : Après 1967, il y avait deux cartes des colonies ou de colonialisme. Il y avait une carte stratégique qui a été conçue par la gauche en Israël. Le père de cette carte était Yigal Allon, le stratège en chef, qui a travaillé avec Moshe Dayan en 1967 sur un plan de contrôle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Leur principe était stratégique et pas tellement idéologique, même s’ils croyaient que la Cisjordanie appartenait à Israël.
L’idée était d’éviter des établissements de colons dans les zones arabes densément peuplées. En revanche, partout où les Palestiniens ne vivaient pas concentrés, nous pourrions nous installer. Ils ont donc commencé avec la vallée du Jourdain parce qu’il y avait de petites villes, mais qu’elle n’est pas aussi densément peuplée que d’autres régions.
Le problème pour eux fut qu’en même temps qu’ils élaboraient leur carte stratégique, un nouveau mouvement religieux messianique émergea, Gush Emunim, un mouvement religieux national de Juifs qui ne voulaient pas s’installer selon la carte stratégique. Ils voulaient s’installer selon la carte biblique. Ils avaient l’idée que la Torah est un livre qui vous dit exactement où sont les anciennes villes juives. Et il arrive que cette carte signifie que les Juifs doivent s’installer au milieu de Naplouse, Hébron et Bethléem, au milieu des zones palestiniennes.
Au début, le gouvernement israélien a essayé de contrôler ce mouvement biblique afin qu’ils s’installent de façon plus stratégique. Mais plusieurs journalistes israéliens ont montré que Shimon Peres, le ministre de la Défense au début des années 1970, a décidé d’autoriser les colonies bibliques. Les Palestiniens de Cisjordanie ont été exposés à deux cartes de la colonisation, la première stratégique et la second biblique.
La communauté internationale considère que selon le droit international, il n’est pas important que les colonies soient stratégiques ou bibliques, elles sont toutes illégales.
Mais le problème est que, depuis 1967, la communauté internationale a accepté la formule israélienne selon laquelle « les colonies sont illégales, mais elles sont provisoires ; une fois qu’il y aura la paix, nous veillerons à ce que tout soit légal. Mais tant qu’il n’y a pas de paix, nous avons besoin des colonies parce que nous sommes toujours en guerre avec les Palestiniens. "

MEE : Vous affirmez que le mot « occupation » n’est pas adéquat pour décrire la réalité en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Et dans votre dialogue avec Noam Chomsky, On Palestine, vous critiquez le terme « processus de paix ». Tout ceci est controversé. Pourquoi ces termes ne sont pas adéquats ?

IP : Je pense que le langage est très important. La façon de poser une situation peut affecter les possibilités de la changer.
La situation telle qu’elle est analysée en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et en Israël, l’est avec un dictionnaire et des mots erronés. L’occupation signifie toujours une situation provisoire.
La solution pour l’occupation est la fin de l’occupation, l’armée d’invasion retourne dans son pays, mais ce n’est pas la solution en Cisjordanie, en Israël ou dans la bande de Gaza. Je suggère qu’il s’agit d’une colonisation, même si l’expression semble anachronique au XXIe siècle. Je pense que nous devrions comprendre qu’Israël colonise la Palestine. Il a commencé à la coloniser à la fin du 19ème siècle et continue à la coloniser aujourd’hui.
Il y a un régime de colonisation qui contrôle toute la Palestine de différentes manières. Dans la Bande de Gaza, Israël la contrôle de l’extérieur. En Cisjordanie, le contrôle est différent dans les zones A, B et C. Israël a différentes politiques concernant les Palestiniens dans les camps de réfugiés, où il ne permet pas aux réfugiés de revenir. C’est une autre façon de maintenir la colonisation, de ne pas permettre aux personnes expulsées de revenir. Tout cela fait partie de la même idéologie.
Donc, je pense que lorsque les termes de processus de paix et d’occupation sont réunis, ils créent la fausse impression que tout ce qui est nécessaire est que l’armée israélienne quitte la Cisjordanie et la bande de Gaza, que c’est de faire la paix entre Israël et la future Palestine.
Actuellement, l’armée israélienne n’est pas dans la bande de Gaza ni dans la zone A. Elle est à peine dans la zone B, où elle ne devrait pas l’être. Mais il n’y a pas de paix. Il y a une situation bien pire que celle d’avant les Accords d’Oslo en 1993.
Le soi-disant processus de paix a permis à Israël à coloniser davantage, mais cette fois avec le soutien international. Par conséquent, je suggère de parler de la décolonisation et non de la paix. Je suggère de parler de changer le régime juridique qui régit la vie des Israéliens et des Palestiniens.
Je pense que nous devrions parler d’un état d’apartheid. Nous devrions parler de nettoyage ethnique. Nous devrions trouver un moyen de remplacer l’apartheid et nous avons un bon exemple en Afrique du Sud. La seule chose qui peut remplacer l’apartheid est un système démocratique, une personne, un vote ou, au moins, un État binational. Je pense que c’est le genre de mots qui devraient être utilisés parce que si nous continuons à utiliser les mêmes vieux mots, nous continuons à perdre du temps et de l’énergie, et nous ne changerons pas la réalité sur le terrain.

MEE : Que réserve l’avenir du régime militaire israélien aux Palestiniens ? Allons-nous voir un mouvement de désobéissance civile comme en juillet dernier à Jérusalem ?

IP : Je pense que nous verrons la désobéissance civile non seulement à Jérusalem mais dans toute la Palestine, y compris chez les Palestiniens qui vivent en Israël. La société civile elle-même n’acceptera pas ce genre de réalité pour toujours. Je ne sais pas quels moyens ils vont utiliser. Nous pouvons voir ce qui se passe quand vous n’avez pas de stratégie claire d’en haut : les individus décident de faire leur propre guerre de libération.
Le cas de Jérusalem a été, en effet, impressionnant, personne ne croyait qu’une résistance populaire pouvait forcer les Israéliens à retirer les mesures de sécurité qu’ils avaient imposées à Haram al-Sharif, sur l’Esplanade des Mosquées. Je crois que cela peut être le modèle, une résistance populaire pour l’avenir qui n’est pas partout mais surgit en différents endroits.
La résistance populaire continue tout le temps en Palestine. Les médias n’en parlent pas. Mais les gens manifestent tous les jours contre l’apartheid, les gens manifestent contre l’expropriation de la terre, ils font la grève de la faim parce qu’ils sont des prisonniers politiques. La résistance palestinienne continue par en bas. La résistance palestinienne par en haut reste en suspens.

Trad. Michel Rosso

 
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