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La Izquierda Diario
21 de décembre de 2017 Twitter Faceboock

Témoignage d’un délégué CGT
Interview. Carrefour se gave comme des oies, mais les salariés refusent d’être des moutons
Flora Carpentier

Les conditions de travail ne cessent de se dégrader dans la grande distribution, comme l’avait dévoilé le reportage de Cash Investigation sur LIDL en septembre. C’est la même rengaine dans les enseignes du groupe Carrefour, où la politique de réduction drastique des coûts engagée depuis quelques années connaît une accélération depuis qu’Alexandre Bompard a pris la tête du groupe en juillet dernier, après avoir fait la misère aux travailleurs de la FNAC dont il était le PDG depuis 2011. A la veille des fêtes de fin d’année, la CGT Carrefour a décidé de hausser le ton en organisant des actions sur 11 magasins à l’échelle hexagonale, pour donner de la visibilité aux mauvaises conditions de travail. Nous avons interviewé Laurent Lamaury, délégué syndical national de la CGT Carrefour Market.

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Photo : CGT CarrefourMarket, mobilisation au siège de Carrefour à Massy le 7 décembre

Révolution Permanente : La CGT Carrefour dénonce les mauvaises conditions de travail des salariés du groupe. De quoi s’agit-il exactement ?

Laurent Lamaury  : Il faut savoir qu’il y a beaucoup de diminution d’heures travaillées, parfois jusqu’à 15000 heures de travail par magasin en moins sur l’année 2017 ! Ce ne sont pas des baisses massives d’effectifs, mais petit à petit ils réduisent de partout : les départs en vacances ne sont plus remplacés, ni les arrêts maladies, ni les congés parentaux, ils ne remplacent plus personne. Du coup ceux qui restent travaillent encore plus, et arrivé un moment ils s’arrêtent parce qu’ils n’en peuvent plus. On est sans arrêt en sous-effectif : la marchandise est en réserve et il n’y a personne pour la mettre en rayon, les rayons ne sont achalandés qu’à partir de 11h-midi. Du coup les clients arrivent devant des rayons vides donc ils s’en vont, il y a des palettes partout… On dénonce ça depuis un an et la direction ne fait rien, donc on a l’impression qu’ils sont en train de laisser couler des magasins pour pouvoir les passer en location-gérance.

R.P. : Justement, on constate que Carrefour est peu à peu en train de passer ses magasins sous franchise ?

L. L. : Oui, c’est la mode actuelle : ils louent le magasin à un repreneur. Pendant ce temps-là Carrefour se contente de toucher un loyer et c’est le repreneur qui gère les salariés. La location-gérance, c’était fait dans des cas exceptionnels de magasins peu rentables. Aujourd’hui ils font ça sur des gros magasins, par exemple celui de la place d’Italie à Paris, ils sont en train de le passer en location-gérance. Bompard a annoncé qu’ils allaient même franchiser les hypermarchés, alors que ça ne se faisait pas. Carrefour, ils deviennent de plus en plus des financiers et c’est tout. Leur but c’est de faire de la finance, et le commerce passe après.

R.P. : Quelle est la conséquence de la mise sous franchise des magasins pour les salariés ?

L.L. : Le repreneur met encore plus la pression sur les salariés, pour être plus compétitif, et petit à petit ils perdent le peu d’avantages qu’on a. Ils font tout pour réduire les effectifs, et les salariés perdent les accords d’entreprise au bout de 15 mois. Normalement au bout de 15 mois le repreneur est censé renégocier les conditions de travail avec les syndicats, mais généralement les salariés perdent tout. Surtout que généralement il y a très peu de présence syndicale chez les franchisés. Nous par exemple on n’a plus le droit d’aller dans ces magasins, on a uniquement le droit d’aller dans les magasins qu’on appelle « intégrés ». Pour les magasins franchisés, c’est uniquement les délégués du magasin qui peuvent y aller. Pour eux c’est une façon d’essayer de nous empêcher de nous organiser. Ils font tout pour nous isoler, ils mettent la pression sur les salariés combatifs et ils finissent par partir.

En plus, nous on n’a aucune visibilité sur le personnel des magasins repreneurs. Quand on dénonce qu’ils baissent les effectifs et qu’ils nous répondent que non, on leur demande des chiffres et Carrefour refuse de nous les communiquer. Ils disent que c’est top secret, mais nous on sait que petit à petit il y a de moins en moins de salariés.

Après ça dépend des repreneurs, il y en a qui sont moins durs que d’autres, mais pour beaucoup, ils ne font pas de cadeaux, leur but c’est gagner toujours plus d’argent.

R.P. : Les salariés finissent par craquer ? Quelle est la situation dans les magasins ?

L.L. : C’est de plus en plus dur. On commence à voir des salariés faire des tentatives de suicides. Une journaliste de France Culture a fait une émission par exemple sur une salariée qui s’est aspergée d’essence il y a 2 ans, une autre sur Paris a fait une tentative il y a peu de temps. Et il y a beaucoup d’arrêts maladie, de dépressions, les gens n’en peuvent plus. Ils mettent la pression pour qu’on finisse le boulot alors que les équipes sont réduites, mais ce n’est pas tenable. Ils se gavent sur les salariés mais au bout d’un moment les salariés craquent.

Alors avec les fêtes n’en parlons pas, c’est très mal géré, il y a de la marchandise partout, les magasins sont encombrés. A peine la foire aux vins est finie, ce sont les chocolats qui arrivent, après on nous met autre chose… les magasins n’ont pas le temps de vider les stocks, les réserves sont encombrées, il y a des palettes qui gênent, il n’y a pas de place pour circuler, ça devient n’importe quoi. Toute cette mauvaise gestion conduit à l’épuisement des salariés, ça entraîne des accidents du travail, etc. Dans les magasins plus grands les conditions de travail sont un peu meilleures, mais dans certains petits magasins, les conditions de travail sont vraiment dramatiques.

R.P. : Et le fameux « plan Bompard » que Carrefour s’apprête à dévoiler, vous savez de quoi il s’agit ?

L.L. : Bompard devait l’annoncer au mois de novembre mais comme ça a fuité et qu’ils avaient peur des mouvements sociaux pendant les soldes, il a repoussé l’annonce officielle. Mais on sait que des restructurations sont prévues, avec des baisses d’effectifs, y compris dans les sièges… ils veulent aussi supprimer les stations-services dans les hypermarchés, instaurer l’automatisation dans les entrepôts, etc. On a estimé qu’ils allaient supprimer environ 5000 postes. Même si par exemple les salariés en CDI des stations-services sont basculés vers les magasins, ils vont supprimer les CDD en échange, donc ça revient au même pour nous.

R.P. : Du coup vous avez prévu des actions les 2 jours à venir. Tu peux nous en parler ?

L.L. : A l’initiative de la CGT du groupe Carrefour, on a choisi 11 magasins répartis sur toute la France dont 3 en région parisienne, et on va réunir des salariés de toutes les enseignes : les Carrefour Hypermarché, les entrepôts, ce qu’ils appellent la « proxi » : les Carrefour City, Carrefour contact, Carrefour Banque, etc. C’est la première fois qu’on fait des actions communes, pour avoir plus de poids. Le but c’est de mettre la pression sur Bompard, en cherchant à médiatiser nos mauvaises conditions de travail, mais aussi de sensibiliser les clients, qui en pâtissent aussi. On va leur distribuer des tracts, faire signer des pétitions. On sait que Carrefour va aller mettre la pression sur les salariés pour qu’ils ne se mobilisent pas, en faisant croire qu’ils ne toucheront pas de prime d’intéressement collectif, alors que dans beaucoup de magasins ils ne toucheront rien de toute façon. Donc on invite vraiment les salariés à se mobiliser et les gens à venir nous soutenir !

 
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