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La Izquierda Diario
30 de janvier de 2018 Twitter Faceboock

Une radicalité autre que le néoréformisme
Argentine. Pourquoi la presse nationale craint le trotskysme ?
Philippe Alcoy

Après les mobilisations massives du 14 et 18 décembre dernier contre la réforme des retraites, qui a eu un coût politique immense pour le président Macri, la presse argentine commence à s’inquiéter de l’influence politique et syndicale de l’extrême gauche trotskyste.

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« Les organisations de la gauche trotskyste sont une curiosité de notre système politique. Tant qu’elles occupent un espace marginal elles sont seulement cela, une curiosité particulière et même sympathique. Une voie de canalisation romantique pour l’énergie des jeunes qui regardent encore le système depuis l’extérieur. Mais si elles commençaient à avoir du poids dans la réalité, ne deviendraient-elles pas un danger pour la démocratie ? ». Voilà comment est posée la question que l’on retrouve dans un article de l’un des principaux journaux nationaux argentins, le pro-gouvernemental Clarín dans son édition du 29 janvier.

En effet, bien que depuis 2011 les partis de la gauche trotskyste, regroupés notamment au sein de la coalition électorale le Front de Gauche et des Travailleurs (FIT) ont gagné une notoriété importante par leurs résultats électoraux mais aussi par les luttes ouvrières et populaires qu’ils ont menées, depuis les mobilisations massives du 14 et 18 décembre dernier contre la réforme des retraites du gouvernement, la presse argentine semble s’inquiéter de plus en plus de la progression de ces forces.

Ainsi, l’article de Clarín continue en pointant cette continuité : « dans d’autres endroits du monde il y a des groupes antisystème, anti mondialisation, écologistes ou anarchistes, mais c’est rare qu’ils tiennent dans la durée et encore plus rare que ceux qui combinent tout cela dans une soupe idéologique cimentée dans la lutte de classes, avec une lecture marxiste, et pariant sur la radicalisation de tous les conflits ponctuels pour déclencher une situation révolutionnaire qui ne pourrait être résolue que par la classe ouvrière, pèsent dans la réalité. Pourquoi ceci est différent chez nous ? ».

L’auteur de l’article essaye de répondre à cette question en pointant en quelque sorte la force et la faiblesse de l’un des piliers du régime politique argentin : le péronisme. En effet, le péronisme donnant une importance centrale à la question syndicale a su coopter une grande partie du mouvement ouvrier, devenant le courant politique dominant parmi les travailleurs malgré son caractère bourgeois. Ainsi, le péronisme, en absorbant les ailes politiques et syndicales modérées mais aussi les plus radicalisées, laissait peu de place au surgissement de courants de type social-démocrate ou réformistes indépendants.

Pendant les 12 ans de gouvernement des Kirchner, le péronisme a justement su coopter une partie de ces tendances « modérées », réformistes, notamment avec le discours sur la « défense des Droits de l’Homme » et quelques concessions clientélistes faites aux mouvements sociaux. Cependant, les organisations trotskystes, au moins les principales (le Parti des Travailleurs Socialistes et le Parti Ouvrier), ont su garder leur indépendance politique. Par exemple, lors de la dispute entre le gouvernement de Cristina Kirchner et les grands propriétaires terriens et agro-exportateurs en 2008, ces partis trotskystes ont constitué un pôle ouvrier, indépendant de ces deux camps capitalistes en dispute.

A cela il faut ajouter la construction patiente au sein de la classe ouvrière, dans les principaux centres ouvriers, augmentant l’influence des trotskystes dans les syndicats. Cela a été notamment le cas du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS). Cette implantation ouvrière leur a permis de mener des luttes importantes contre les multinationales, contre les attaques du gouvernement, de faire face à la répression policière mais aussi de faire face aux bureaucraties syndicales. La politique du PTS a aussi permis de créer à plusieurs reprises la convergence entre la jeunesse et les luttes ouvrières. Une autre politique importante a été celle de l’unité entre le mouvement féministe, notamment à travers l’organisation de femmes Pan y Rosas, et les luttes ouvrières.

Cette politique indépendante face aux gouvernements « progressistes » en Amérique latine et la politique au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse sont pointées également par un autre grand journal national argentin, le conservateur La Nación. Dans un article datant de la fin décembre, très antitrotskyste, l’auteur écrit : « les différentes tribus trotskystes ont progressé dans les usines et universités […] au cours de la lutte contre le populisme latino-américain de la dernière décennie ».

Ces éléments, face à une situation sociale et politique qui se tendent de plus en plus, deviennent aujourd’hui un grand atout pour les partis trotskystes. Comme on peut lire dans l’article de Clarín cité plus haut : « un gouvernement ‘de riches pour les riches’ obligé de mettre en place l’austérité ; un péronisme dans l’opposition divisé et affaibli électoralement, dont la seule perspective est de continuer à perdre de l’influence ; une économie médiocre et des niveaux très élevés de pauvreté et d’exclusion. A tout cela s’ajoute le fait que le syndicalisme péroniste fait face, comme jamais auparavant, à de graves accusations de corruption et une partie de ce parti joue aussi la carte de la rébellion antisystème, face à son rapide déclin et ses problèmes avec la justice. Pour le trotskysme il ne pourrait y avoir un meilleur terreau ».

Effectivement, après les mobilisations du 14 et 18 décembre dernier ce n’est pas seulement le gouvernement « qui y a laissé des plumes ». Les directions syndicales, notamment de la CGT par leur passivité aussi. Mais ce discrédit a commencé bien avant. Les directions syndicales ont en effet eu un rôle fondamental pour permettre à Macri de faire passer ses attaques contre les travailleurs, la jeunesse, les retraités, les classes populaires depuis 2015. Aujourd’hui, face aux premiers signes de prise de distance de la bureaucratie vis-à-vis d’un gouvernement en pleine perte de popularité, le président Macri et la justice mènent une campagne contre la corruption de ces dirigeants syndicaux mafieux pour les obliger à soutenir les réformes du gouvernement.

Mais, comme l’affirme le dirigeant national du PTS, Christian Castillo dans une interview récente sur la situation politique et sociale en Argentine : « si l’attaque contre la bureaucratie peut avoir un certain sens d’un point de vue électoral, étant donné son image publique dégradée et qu’il s’agit d’un secteur qui va aider à la reconstruction du péronisme, stratégiquement pour le gouvernement c’est jouer avec du feu, car les bureaucrates jouent un rôle fondamental pour contenir le mouvement ouvrier ».

Étant donné que le trotskysme a toujours dénoncé ces bureaucraties syndicales, dans la presse on exprime la crainte que cet affaiblissement du syndicalisme péroniste ne le renforce. Mais plus encore, alors que le péronisme kirchneriste n’arrive pas à attirer la base électorale du macrisme, au moins pour le moment, on craint que l’extrême gauche trotskyste soit capable d’attirer la base du kirchnerisme. Ainsi, toujours selon l’article de Clarín : « [le trotskysme] a compris que sa position s’est renforcée après les évènements de décembre, qu’il a gagné en visibilité dans le rôle d’opposition et que cela lui convient de se coller au kirchnerisme pour récolter ses morceaux et de dénoncer la CGT qui gronde mais ne lutte pas. Dans cet effort il est possible qu’il rencontre un écho […] d’autres acteurs de la gauche qui ne voient pas d’autre alternative pour faire face au macrisme ».

Dans ce contexte les forces politiques trotskystes ont de grands défis devant elles. La situation qui s’ouvre pourrait être très favorable à l’avancée des idées révolutionnaires et communistes et de la nécessité de s’organiser politiquement. Comme l’explique Christian Castillo : « la gauche anticapitaliste et socialiste, comme celle que nous représentons dans le PTS et le Font de Gauche et des Travailleurs, possède un capital politique très important qui s’est renforcé lors des élections d’octobre dernier, où nous avons obtenu 1,2 millions de voix. Nous avons aussi une importante implantation militante parmi les travailleurs et la jeunesse. Bien que nous soyons encore une force minoritaire, ce que nous faisons ou ne faisons pas a en quelque sorte une influence sur le cours des évènements, et comme résultat de cette intervention notre influence sur les travailleurs et la jeunesse peut augmenter, et c’est à cela que nous aspirons ».

L’exemple des organisations trotskystes en Argentine est très riche en termes d’expériences pour les courants révolutionnaires dans le monde, notamment en Europe. En effet, alors que les phénomènes néoréformistes comme Syriza, Podemos ou encore le Front de Gauche/France Insoumise prenaient de l’ampleur dans le continent, plusieurs courants se revendiquant trotskystes s’y sont adaptés, voire y sont rentrés, pensant avoir trouvé un raccourci pour influencer les travailleurs et la jeunesse. Cette adaptation se révèle aujourd’hui être un échec total, notamment après la capitulation de Syriza face à la Troïka.

Au contraire, les principaux courants trotskystes en Argentine ont su aller à contre-courant, résister aux tentatives de cooptation des années Kirchner, en gardant une position de classe aussi face aux oppositions bourgeoises. Aujourd’hui face à la crise du péronisme et aux attaques du macrisme, les trotskystes apparaissent comme une alternative pour une partie de plus en plus importante de la jeunesse et de l’avant-garde ouvrière. Pour le PTS notamment, la construction patiente au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse s’est révélée être le meilleur « raccourci » pour augmenter son influence politique, dans les échéances électorales mais surtout dans la lutte de classes. C’est de cette politique dont nous devons nous inspirer en Europe pour faire face aux attaques des capitalistes mais aussi pour éviter les illusions réformistes qui amènent à des échecs désastreux comme ceux de Syriza en Grèce.

 
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