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La Izquierda Diario
7 de février de 2018 Twitter Faceboock

"Aujourd’hui nous ne sommes plus que 266 salariés"
Licenciements massifs chez Free : interview d’Anousone UM, délégué SUD Télécom

Nous souhaitions revenir avec Anousone UM sur ce rapport du CE accablant qui fait le tour des rédactions depuis ce début de semaine. Ce rapport fait état du licenciement de 310 téléopérateurs sur le site de Colombes dans le 92, depuis le débrayage en octobre 2014 de la plupart de ses salariés. Ce n’est pas la première fois que Free apparaît dans les médias pour son management violent à l’encontre de ses salariés : un reportage réalisé par Elise Lucet dans l’émission Cash Investigation avait suscité en septembre beaucoup de réactions d’indignation à l’encontre de cette entreprise.

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Révolution Permanente : Bonjour Anousone, peux-tu nous raconter un peu plus l’historique de ce rapport ?

Anousone : En fait, suite à un débrayage que nous avions lancé en octobre 2014 pour dénoncer les conditions de travail des salariés, les licenciements abusifs, ainsi que pour revendiquer des augmentations salariales ou encore des tickets restaurants, la direction de FREE a entamé une opération de licenciements massifs pour réprimer les salariés contestataires. Entre le mouvement de grève en 2014 et décembre 2017, c’est une moyenne de 10 licenciements par mois. C’est en tout 310 licenciements dans cette période, avec 266 licenciements pour fautes graves. Depuis le début avec la CGT on essaye dans chaque réunion de CE de demander le recours à une expertise, mais la CFDT qui est majoritaire dans l’entreprise s’est toujours opposée au vote de cette demande d’expertise, jusqu’à la diffusion du reportage de Cash Investigation où les choses ont changé.

RP : C’est donc Elise Lucet qui a permis de débloquer la situation ?

Anousone : Le reportage a eu l’effet d’une bombe dans l’entreprise, il aura permis d’ouvrir les yeux des délégués de la CFDT, qui en septembre ont finalement décidé de voter ce recours à l’expertise, qui nous permet aujourd’hui d’avoir ce rapport détaillé. Moi-même qui ai participé en étroite collaboration avec l’équipe d’Elise Lucet, j’ai vécu une répression anti-syndicale sans précédent suite aux informations que je transmettais.
 
RP : Quelle forme a pris cette répression que tu as vécu ?

Anousone : Le moment où la direction de Free a appris que je collaborais avec l’équipe de Cash Investigation, vers la fin octobre 2016, j’ai subi un acharnement terrible. On a cherché à me licencier avec des prétextes, tous farfelus, comme le manque de déontologie, un grand classique lorsqu’on a le malheur de dénoncer les méthodes du patron. Les élus CFDT avaient même voté pour mon licenciement, c’est dire la pression. Presque 12 accusations en tout, mais mon licenciement a été refusé systématiquement par l’inspection du travail, étant donné que je suis salarié protégé par mon engagement syndical. Mais au delà des sanctions, j’ai eu le droit à un management agressif, par moment on me claquait la porte au nez, certains chefs refusaient de me serrer la main, ou encore une fois on m’a limite séquestré dans un bureau. C’était clairement de la répression anti-syndicale, pour me faire payer mon engagement, mais je ne lâcherai jamais. J’ai envie de dire à tous les travailleurs de ne jamais baisser les bras et de ne pas avoir peur de leurs méthodes ; j’espère réellement que les salariés vont commencer à se syndiquer massivement, pour ne plus laisser faire ces choses.

RP : Que dit ce rapport ?

Anousone : Ce rapport témoigne en tout cas de tous ce qu’il y’a de pire dans les méthodes d’une direction jusqu’auboutiste, prête à tout pour réprimer une lutte. Il montre clairement en comparaison aux autres sites du groupe, que le site de Mobipel, juste après le débrayage d’octobre 2014, a subi un plan de licenciement massif déguisé. Lorsqu’on voit les motifs des licenciements pour fautes grave, c’est suite parfois à des retards de 3 minutes, après une pause cigarette. C’est environ 1 millions d’euros d’économie par an que réalise l’entreprise pour ne pas assumer les indemnités pour des procédures de licenciements à l’amiable. Car la procédure pour faute grave à un caractère spécifique qui empêche de donner toutes indemnités au salarié. Aujourd’hui avec le passage des ordonnances c’est encore pire, on leur a donné un permis de licencier gratuitement. Sur les 310 licenciements en 2 ans c’est 90% du personnel de l’exécution, et à 10% des cadres qui ne rentraient pas dans le moule de la direction. Le rapport donne un autre chiffre accablant, à savoir qu’il y’a eu entre 2012 et 2017 plus de 2 200 salariés qui sont passés sur le site en CDI, un turn over incroyable. Aujourd’hui nous ne sommes plus que 266 salariés et l’avenir est loin d’être serein.

RP : Quel est l’avenir pour les travailleurs de votre site ?

Anousone  : Ce que l’on peut dire, c’est que tous les indicateurs sont au rouge, les accords que Mobipel avait avec la ville de Colombes pour bénéficier d’avantages fiscaux va prendre fin, comme le bail des locaux qui n’a toujours pas été renouvelé. La direction nous a annoncé qu’elle va commencer à utiliser de plus en plus la sous-traitance offshore au Maghreb et un nouveau site sur Paris accueillera vraisemblablement une partie infime des salariés du site. On s’attend dans les prochains mois à l’annonce d’un plan social, qui sera surement fait a travers les nouvelles ordonnances Macron des ruptures conventionnelles, comme c’est le cas chez un autre centre d’appel du groupe Teleperformance. Les salariés sont vraiment au bout du rouleau, il y a de plus en plus de démissions, pour éviter de continuer à travailler dans ces conditions, avec l’avenir qui s’assombrit de jour en jour. Certains arrivent à trouver du travail ailleurs, et d’autres finissent au chômage à vivre dans la précarité, plutôt que de continuer à subir ce management agressif.

RP : Quel type de management il y a chez Free ?

Anousone : Le lean management fait fureur auprès de la direction, ce sont les méthodes qui existe chez France Télécom et dans la plupart des centres d’appel, à savoir un management par la terreur et la surproduction. Il y’a énormément de salariés en arrêt maladie pour burn out, ou qui décident de démissionner, car il n’en peuvent plus. On voit des scènes horribles, où parfois les managers insultent des salariés, ou les menacent de licenciement pour « rigoler ». Il y’en a même qui subissent des agressions physiques, ou d’autres encore à qui on refuse de dire bonjour parce qu’ils n’ont pas fait leur chiffre. Depuis le rapport qui a été médiatisé, l’inspection du travail vient faire des contrôles sur le site, et n’arrête pas de critiquer le management agressif de la direction.

RP : Que dit la direction suite à tous cela ?

Anousone : « Circulez il n’y a rien à voir », voilà en gros ce que nous répond la direction, qui a refusé de commenter le rapport. Ils expliquent que les chiffres ne reflètent pas la réalité. Que c’est surtout dû au gel des recrutements, un réel déni de la réalité.

RP : Le rapport va-t-il déclencher une lutte chez vous ?

Anousone : C’est encore trop tôt pour le dire, on sent beaucoup de colère et de frustration chez les salariés. Mais il y a une sorte de « routinisme » qui s’est installé chez les salariés du site, qui acceptent leur sort, sans faire trop de vagues. La situation politique joue aussi sur le moral, comme s’il n’y avait pas d’autre solution pour s’en sortir. Je pense que le management répressif qu’on a subi pendant ces deux dernières années a énormément joué sur les esprits, et que ce n’est pas étonnant aujourd’hui que les salariés ne se rebellent pas face à cela. Il y a pourtant tous les ingrédients pour partir en lutte, car même nos conditions salariales sont au minimum de ce que prévoit le code du travail. Nous n’avons aucun aménagement horaire possible, pas de panier repas, pas de prime d’ancienneté peu importe les années.

Pour l’heure, notre rôle en tant que représentants du personnel, c’est d’essayer d’interpeller les médias, et les différents partis politiques pour mettre la pression sur la direction de Free. Je vais continuer à être au coté des salariés pour les défendre comme je l’ai toujours fait, mais il n’y a qu’une solution pour arrêter le rouleau compresseur, et on le sait tous, c’est une grève dure pour dire stop à tout cela.

Crédits photo : @ Abaca

 
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