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La Izquierda Diario
26 de février de 2018 Twitter Faceboock

Un logement contre une fellation ?
Plainte pour « abus de faiblesse » contre Gérald Darmanin. La jeune femme livre son récit
Jade Ruiz

Le 13 Février dernier, une habitante de Tourcoing portait plainte contre Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, pour abus de faiblesse. Celle-ci accuse l’ancien maire de la ville d’avoir profité de sa position d’élu pour obtenir des faveurs sexuelles alors que la jeune femme était à la recherche d’un logement et d’un emploi. Interviewée par Médiapart, elle livre un récit glaçant qui témoigne du sentiment de domination et d’impunité totale dans lequel baignent les hommes de la classe politique.

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Cette seconde plainte fait écho à l’enquête ouverte le 22 Janvier à l’encontre de Gérald Darmanin, accusé de viol par Sophie Spatz. Cette dernière, sympathisante de l’UMP au moment des faits alors que Darmanin en était le chargé de mission au service des affaires juridiques, lui avait demandé d’intervenir dans une affaire judiciaire qui l’incriminait. Elle l’accuse par la suite d’avoir sollicité en échange des faveurs sexuelles. Au moment de l’accusation, la classe politique s’était érigée en défenseuse de Gérald Darmanin qui avait reçu une standing-ovation à l’Assemblée Nationale. L’affaire était classée sans suite dès le 16 Février.

Cette fois-ci, c’est une habitante de Tourcoing qui a porté plainte contre le Ministre de l’Action et des Comptes publics pour abus de faiblesse. Alors que celle-ci sollicitait son aide dans la recherche de logement et d’emploi, elle l’accuse de lui avoir demandé des faveurs sexuelles. Encouragée par le témoignage de S. Spatz, elle a décidé de porter plainte à son tour. « Je me présente à vous car j’ai vu à la télé qu’une femme avait déposé plainte contre Gérald Darmanin pour des faits de viol. Moi aussi, j’ai été abusée par M. Darmanin. C’était en 2016. [...] Je pense qu’il a abusé de moi, de ma faiblesse. »

« Il m’a pris la main et il l’a posée sur son sexe. J’avais compris ce qu’il voulait. »

Dans une interview donnée à Mediapart, cette dernière livre le récit des faits. « Sarah » -nom emprunté- est une habitante de Tourcoing. La jeune femme explique être sans emploi et vivre avec moins de 500 euros par mois. Des conditions de vie à l’image de nombreux habitants de la ville dont Gérald Darmanin était maire avant son ascension au poste de ministre de l’Action et des Comptes publics. En effet, un quart des tourquennois vivent en dessous du seuil de pauvreté et le chômage avoisine les 23%. Les logements HLM sont extrêmement demandés.

Entre 2016 et 2017, ne parvenant pas à changer de logement ni à trouver d’emploi, elle sollicite le maire de la ville dans l’espoir de trouver une solution à sa situation. Alors qu’elle se rend à la mairie pour retirer son passeport, elle rencontre Gérald Darmanin (dont elle affirme au début ignorer l’identité) et lui demande un entretien afin de lui faire part de sa situation. Il lui donne sa carte et son numéro personnel. Lors de son rendez-vous dans son bureau, à la mairie de Tourcoing, celui-ci la questionne. « Il m’a demandé si j’étais célibataire, si je me faisais embêter et si j’avais des frères et sœurs », « Puis il a coupé court car une femme lui a apporté des papiers. Il m’a dit “OK, très bien », coupant court au rendez-vous, comme en témoigne la jeune femme à Médiapart. Dans les mois qui suivent, ceux-ci échangent plusieurs SMS dont certains au ton « séducteur ». En février 2016, « il m’a dit qu’il était fatigué et je lui ai dit qu’il méritait un massage. Il m’a demandé de montrer des photos de mon appartement et après il m’a proposé de venir voir mon appartement », déclare-t-elle dans sa plainte.

« Il est rentré et il a fait le tour de mon appartement et il a regardé partout. » Elle affirme par la suite lui avoir parlé de sa situation et de sa recherche d’emploi. Il aurait alors posé la main sur sa cuisse et elle se serait « reculée ». Il lui propose de la recommander à Auchan ou dans une école de la ville. « Je lui ai dit que j’accepterais tout travail parce que j’étais à la recherche d’emplois », explique Sarah qui affirme être par la suite allée chercher son CV. « Il a jeté mon CV. Après, il l’a ramassé et il a commencé à regarder de haut en bas mes cuisses. Il m’a dit : “OK, je vais partir”. » Puis, dans l’entrée « il a commencé à se masser la nuque en disant “ah, j’ai mal” », affirme Sarah. Elle lui aurait fait un massage. « Après, il s’est retourné vers moi et il m’a dit qu’il était célibataire. Il m’a aussi dit que mon dossier logement, il allait s’en occuper. Il m’a pris la main et il l’a posée sur son sexe. J’avais compris ce qu’il voulait. J’ai déboutonné son pantalon et je lui ai fait une fellation mais je ne suis pas allée jusqu’au bout. » Avant de partir, il lui aurait sollicité une deuxième fellation. Elle a expliqué aux policiers ne pas être aller « jusqu’au bout » de l’acte sexuel, car elle ne le connaissait pas et n’en avait « pas vraiment envie » se sentant « obligée ». Elle explique qu’il ne lui a pas demandé explicitement mais qu’il lui aurait « fait comprendre en baissant son pantalon » et « son caleçon ». « Moi je me suis dit que c’est ce qu’il attendait en échange de son aide pour le logement et le travail », a-t-elle relaté. « Je l’ai fait pour mon dossier logement et pour un travail. » La jeune femme dit ensuite avoir été « dégoûtée » : « Je m’en voulais à moi-même. Je voulais lui faire plaisir pour qu’il s’occupe de mon dossier. […] C’était la première fois que je faisais du sexe en échange de quelque chose. Je n’ai jamais vendu mon corps avant. » En sortant de son appartement, Gérald Darmanin lui envoie un message en lui expliquant que ce qu’elle avait fait été mal. « Je ne veux pas et ne peux pas faire l’amour avec vous ». Après sa visite à l’appartement de Sarah, le maire de Tourcoing envoie des courriers aux dirigeants de quatre bailleurs et transmettant une copie à la jeune femme.

Ils continueront à s’échanger des SMS, preuve de la volonté de Sarah d’obtenir de l’aide pour sa demande de logement. Il lui exige au printemps 2016 de venir à Paris. Elle réserve une chambre d’hôtel bon marché à Ivry-sur-Seine, au Sud de Paris mais qui lui coûtera tout de même 148 euros la nuit. Gérald Darmanin est pressé. « Il m’a envoyé des SMS pour me demander si j’avais encore beaucoup de route à faire. Je lui ai donné le numéro de ma chambre et il m’attendait devant la porte de la chambre d’hôtel. Il a pris ma feuille avec le code. Il était pressé de rentrer et il a tapé le code. Moi, avec la route, j’étais fatiguée. Je n’avais qu’une seule envie, c’était de discuter avec lui. » Il aurait par la suite « déboutonné son pantalon » et se serait allongé sur le lit « en caleçon ». « Il m’a regardée l’air de dire : “qu’est-ce que tu attends pour la fellation !” », a-t-elle raconté lors de son dépôt de plainte. « J’avais tout de suite compris. Je lui ai fait la fellation, même s’il ne m’a rien demandé [...] Après il m’a regardée. J’avais l’impression que j’étais une moins que rien. Il m’a dit : “Ce n’est pas tout ça mais j’ai des trucs à faire”. Il serait alors parti, avant de lui envoyer un SMS lui disant qu’il valait « mieux qu’[ils] en reste[nt] là ».

Sarah s’est par la suite rendue à des meetings donnés par le supporter de Fillon durant la campagne présidentielle afin de le rencontrer et d’être tenue au courant de l’avancée de son dossier. Un an et demi après, le maire renverra des courriers aux bailleurs sociaux, Il lui dégote aussi un stage non rémunéré. « Je n’aurais pas fait les fellations si je n’avais pas besoin d’un travail, ni d’un logement. » Au bout du compte, Sarah n’ai pas parvenu à changer de logement, malgré qu’elle ai attendu pendant des mois. Il m’a laissée dans le flou », explique-t-elle aujourd’hui à Mediapart. « Dès le départ, pourquoi il ne m’a pas dit : “Moi je ne peux rien faire, je vous envoie chez tel service et vous allez montrer votre dossier” ? C’est cela qui m’a donné un espoir. »

Face à la justice patriarcale

Une enquête a été ouverte le 14 Février après le témoignage de Sarah qui a fourni à la police un dossier composé des échanges SMS et de courriers signés de la main du ministre. Elle témoigne vivre désormais « dans la peur ». « Je suis devenue une proie, […] Je me lève le matin et je regarde un peu partout, je deviens parano… » . « Il est puissant et moi je ne suis rien. »

Un témoignage d’une marque de courage de la part de l’habitante de Tourcoing, celui de rompre le silence que l’on fait peser sur les femmes victimes de viols et d’abus sexuels, ainsi que la dissuasion autour du fait de porter plainte. C’est également le courage d’oser s’attaquer à une classe politique qui agit dans un sentiment de total impunité et qui sait que la justice acquitte nombreux agresseurs (d’autant plus quand ceux-ci occupent des postes de pouvoir). Gérald Darmanin n’est par ailleurs pas le seul ministre du quinquennat Macron à avoir été accusé de viol et à avoir été soutenu par le gouvernement comme son collègue Nicolas Hulot.

Des affaires qui sont encore une fois la preuve de l’hypocrisie d’un gouvernement qui prétend avoir fait des questions féministes son cheval de bataille, tout en continuant à précariser toujours plus les femmes, tandis que l’on sait pertinemment que se sont les plus précaires qui sont le plus exposées aux abus sexuels dans leur vie quotidienne -à l’image du témoignage de Sarah. Mais aussi une classe politique qui perpétue la culture du viol et au sein de son propre gouvernement, et d’une justice, patriarcale, qui protège soigneusement les siens.

Crédits photo : © BERTRAND GUAY / AFP

 
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