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La Izquierda Diario
31 de mars de 2018 Twitter Faceboock

Publié en partenariat avec « La gazette de Gouzy »
Assa Traoré : « On demande juste un droit, une vérité et une justice »

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, jeune français d’origine malienne, décédait lors de son interpellation par la gendarmerie. Depuis, sa famille et leurs soutiens ne cessent de réclamer Vérité et Justice : Vérité pour Adama et Justice égale pour tous. À ce jour, trois plaintes ont été déposées par la famille, pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », « non-assistance à personne en danger » et « faux en écriture publique et dénonciation calomnieuse ». Cette quête de vérité se paie cependant au prix fort, celui d’un acharnement de l’État. À l’occasion de la venue d’Assa Traoré, l’une des sœurs d’Adama, à Plourin-lès-Morlaix (29) pour le festival « L’autre c’est toi, c’est moi », La Gazette de Gouzy l’a rencontrée. Entretien.

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Crédit photos : © NnoMan - Collectif OEIL.

La Gazette de Gouzy : Votre avocat, Yassine Bouzrou, vient de demander une reconstitution des faits, c’est-à-dire de l’interpellation d’Adama par les gendarmes. Pouvez-vous m’en dire plus sur cette demande ?

Assa Traoré  : Aujourd’hui, pour notre avocat, il est important de demander cette reconstitution pour imposer le plus rapidement possible une mise en examen de ces gendarmes et surtout pour connaître la vérité et le rôle de chacun dans la mort de mon frère le 19 juillet 2016. Que chacun puisse reprendre son rôle, pas mon frère malheureusement et que l’on puisse amener le plus rapidement possible une mise en examen sur toutes les plaintes qu’on a pu porter sur les gendarmes. Parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de mensonges. On a besoin que cette reconstitution soit quelque chose de très fort dans l’aspect judiciaire et surtout, d’apporter un rapport de force avec la justice parce que le jour de la reconstitution, si elle est acceptée, les trois juges seront présents, les gendarmes seront présents, les gradés seront présents et peut-être aussi des personnes d’État. Donc aujourd’hui, on veut que nos soutiens soient à nos côtés, on veut pouvoir apporter un rapport de force très fort et que le monde entier suive cette reconstitution parce qu’on la rendra publique.

En juillet dernier, vous déclariez qu’il y avait de fortes chances que la mise en examen des gendarmes liés au décès d’Adama soit prononcée assez rapidement, ce qui serait une étape importante dans la recherche de vérité que vous poursuivez. Cette mise en examen ne s’est toujours pas produite. Avez-vous des nouvelles des procédures en cours ?

Il y a une procédure qui doit se dérouler au mois de mai et en fait, la juge veut attendre cette procédure pour prononcer, ou non, cette mise en examen. Elle nous l’avait promis depuis très longtemps, ça a pris énormément de temps et aujourd’hui, on veut lui imposer cette reconstitution pour ne pas qu’elle nous balade encore longtemps et pour qu’elle prononce la mise en examen. La vérité, elle est là et on la veut tout de suite. On l’attend depuis très longtemps, on arrive aux deux ans et il n’y a toujours pas de mise en examen et ça, c’est inadmissible. Si on n’obtient pas ce qu’on veut, on redescendra dans les rues, on ira au tribunal de Paris et on fera autant de bruit que l’on pourra.

À la fin du livre « Lettre à Adama », publié en mai 20171, vous citiez alors votre avocat, Yassine Bouzrou, selon lequel il est « possible de faire preuve aujourd’hui d’un optimisme raisonnable. » Presque un an après, partagez-vous toujours aujourd’hui ce sentiment ?

Quand je vois la façon dont se déroule le combat de certaines familles, oui, parce qu’il faut savoir que nous on a ramené beaucoup de vérités. Tout de suite ils ont criminalisé mon frère. On leur a dit que c’était faux. On a demandé une contre-autopsie très rapidement qui a démenti la première autopsie. On a fait dessaisir un procureur. On a fait dépayser l’affaire de mon frère. On a eu trois juges au mois de janvier, chose très rare dans une affaire de violence policière. On a eu une nouvelle expertise qui a confirmé la nôtre. Donc, quand je vois tout ça et quand je vois qu’il y a encore des familles pour lesquelles cinq ans après, il n’y a toujours pas eu de contre-autopsie et qu’il n’y a pas d’avancées, on peut garder cet optimisme dans le combat.

Malgré le non-lieu prononcé le 23 février dernier à l’encontre de votre frère Bagui2, l’acharnement judiciaire se poursuit à l’encontre de la famille Traoré. Des procès sont prévus en avril. Pouvez-vous faire un point sur les procédures en cours contre vos frères ?

Normalement le 22 mars, Bagui aura quatre procès dans la même journée, notamment pour une extorsion de fonds de 50 euros. En fait, à travers tous ces procès, on pointe le ridicule du système judiciaire de Pontoise. Il y a un réel acharnement sur la famille Traoré. Ils n’ont tellement rien qu’ils vont gratter au plus profond du ridicule pour nous amener toutes les procédures et les procès qu’ils peuvent nous mettre sur le dos, parce qu’ils ont été humiliés. Quand on leur dit qu’ils mentent dans l’affaire Adama, que l’affaire leur est enlevée, que le procureur est dessaisi, ils se sentent humiliés. Aujourd’hui, ils nous le font payer à Pontoise parce que c’est aussi un combat contre la justice à Pontoise qui nous apporte des procès à tout va qui n’ont aucun sens. Aujourd’hui, on a une affaire d’extorsion de 50 euros sur le témoin principal de la mort d’Adama. Au mois d’Avril, Yacuba aussi sera au tribunal parce qu’il a mis le pied devant la porte de cette gendarmerie le 19 juillet 2016. Aujourd’hui, il est accusé d’intrusion et de violence sur les gendarmes. Voilà jusqu’où va le ridicule dans le combat qui est le nôtre pour nous faire taire. Mais derrière ce ridicule, le nerf de la guerre, c’est l’argent parce que pour chaque procédure, il y a de l’argent à sortir. Donc oui, ils nous atteignent au niveau financier, mais on veut surtout que l’opinion publique puisse voir comment le système judiciaire est anti-démocratique avec la famille Traoré.

Selon vous, l’indépendance de la justice a t-elle été largement bafouée jusqu’à aujourd’hui ?

Je ne serais pas là sinon. Je ne serais pas aujourd’hui à Morlaix. Normalement, je n’aurais pas à me déplacer s’il n’y avait pas une justice à deux vitesses et si on avait le droit à la justice comme tout le monde. On ne quémande personne. On demande juste un droit, une vérité et une justice dans la mort de mon frère. Si on s’est déplacés dans toutes ces villes de France et à l’international, c’est que la justice ne nous écoute pas. On n’a pas à faire cela normalement. Bien sûr qu’il n’y a pas de justice. Nous, on nous fait subir des actes anti-démocratiques dans un pays qui clame dans le monde entier liberté, égalité, fraternité.

L’élection d’Emmanuel Macron en mai 2017 a-t-elle changé quelque chose à ce qui ressemble fort à un acharnement sans fin ?

Pas du tout. Cela n’a rien changé. Après, il faut savoir que pour arriver jusqu’ici aujourd’hui, on l’a fait tout seul, sans l’aide d’aucun politicien, à part Pouria Amirshahi3 qui a eu le courage d’en parler à l’Assemblée Nationale. Aujourd’hui, Emmanuel Macron fait comme si on n’existait pas, mais on va arriver sur son cas. Pour l’instant, on a ces choses-là à gérer mais quand on arrivera au cas d’Emmanuel Macron, on viendra à lui.

Ces dernières années, les violences policières ont débordé les quartiers populaires où elles sont ancrées de longue date. La répression à l’encontre du mouvement social contre la loi travail l’illustre bien. Au-delà des différences, quel est selon vous le rapport entre les violences policières à l’œuvre dans les quartiers populaires et celles qui ont davantage touché les classes moyennes ?

Il n’y a pas de différence. La seule différence qui existe, c’est que dans les quartiers populaires, ça fait plus de trente ans que ça existe. C’est ça la différence. Les violences, elles, sont les mêmes. Elles sont différentes aussi parce que les gens des classes moyennes ne se feront pas tuer. Il y aura beaucoup plus de blessés. Malheureusement Rémi Fraisse en est mort mais les nombreux tués dans les quartiers populaires restent des enfants d’immigrés, des Noirs, des Arabes, ceux qui n’ont pas la bonne religion ou ceux qui n’ont pas la bonne couleur et ce, depuis des décennies, depuis plus de quarante ans maintenant. Quand on arrive sur les violences liées à la loi travail, malheureusement, on ne se rend compte que maintenant que ces mêmes violences sont subies elles aussi dans les quartiers populaires depuis déjà très longtemps. Après, ce qui est intéressant, c’est que c’est un combat que l’on va porter ensemble, c’est ça qui est fort. C’est un combat que l’on doit et que l’on va porter ensemble, même si il y a un décalage dans le temps entre les violences subies. Nous, le combat d’Adama Traoré, on veut que ce soit un combat rassembleur parce que la France divise son peuple et quand un peuple est divisé, c’est plus facile d’attaquer une partie de la population. Mais quand on se lève ensemble pour renverser cette mauvaise France, on est plus fort.

Le samedi 17 mars, le comité Vérité et Justice pour Adama a participé à la « marche des solidarités » au côté notamment d’autres collectifs de familles victimes de violences policières, ce qui n’avait pas été le cas l’an dernier. Est-ce le signe d’un début de « convergence des luttes » ?

On a toujours convergé, toujours. Le comité Adama est dans la convergence. On se déplace sur toutes les luttes. Si l’an dernier on n’y était pas allés, c’est pour d’autres raisons qui respectaient nos convictions, nos principes et nos valeurs.

Une idée forte du livre « Lettre à Adama » est quand vous affirmez que les jeunes issus des quartiers populaires, ceux que l’on désigne comme « issus de l’immigration », veulent pleinement participer à la construction de la France, mais en sont exclus. Quelles formes prend cette exclusion au quotidien ?

Par des meurtres et de la violence, parce qu’aujourd’hui quand on vient tuer le 19 juillet 2016, on ne vient pas tuer Adama Traoré parce qu’il y aurait une « liste », on vient tuer des Adama Traoré. Mon frère est mort à cause d’un système, un système qui depuis des décennies pointe le doigt sur ces jeunes dès leur scolarité, leur orientation professionnelle et ce, dans les quartiers. Pour les policiers et les gendarmes qui viennent dans les quartiers, ces jeunes sont déshumanisés à leurs yeux. Ils ne les voient pas comme des humains. On les traite, on leur crache dessus, on les frappe ou on les tue, malheureusement. Mais on ne les voit pas comme des personnes pouvant participer à la construction de ce monde, participer à la construction de la France et surtout participer à la construction de leur vie. C’est ce système là qui vient tuer nos frères sous couvert de l’État.

Dans le livre, vous évoquez aussi le rôle de l’école qui participe aussi en tant qu’institution d’État à cette exclusion…

On pourrait faire un livre sur l’exclusion de tous ces jeunes par l’école. Le doigt reste pointé sur eux et l’école ne va pas faire en sorte de changer cela. On va les marginaliser. On va les stigmatiser. On va les mettre dans une case, dans une orientation qu’ils n’auront même pas choisie. Ce sont des jeunes qui ne seront pas forcément valorisés. Ce sont des jeunes que l’on ne va regarder que d’un seul œil, alors qu’on pourrait les voir différemment. Ils sont catégorisés et on les envoie ensuite directement dans ces quartiers parce que quand il y a un échec scolaire, quand il y a un rejet de l’école, on les enferme dans une zone géographique qui reste le quartier.

Dans « Lettre à Adama », vous refusez l’expression de jeunes « issus de l’immigration » qui aurait pour effet de masquer l’histoire coloniale de la France. L’emploi de ces termes, est-ce le signe que la France n’a pas véritablement tourné la page de la colonisation ?

La France n’assume même pas son histoire de l’esclavage. La France a été piller en Afrique. On a fait des esclaves et des objets sexuels des hommes et des femmes.. On a exercé de la violence sur eux mais on n’en parle jamais dans les manuels scolaires. La France a colonisé plusieurs pays et on n’en parle pas dans les manuels scolaires. On leur a fait subir des viols, de la violence et des violences policières. On n’en parle pas. La France a tué en mai 67 en Guadeloupe une importante population noire. On n’en parle pas dans les bouquins. Aujourd’hui, la France est encore dans un État colonisateur, dans un idéal colonisateur et tant qu’elle n’aura pas assumé son histoire, on n’arrivera pas à avancer. On va pointer les États-Unis parce qu’on ne peut pas parler de ce qu’il se passe chez soi alors qu’il se passe ici exactement la même chose.

Dans le livre, vous parlez d’ « ennemis de l’intérieur » au sujet des jeunes hommes « issus de l’immigration »…

Eux nuisent. Le jeune garçon « issu de l’immigration » va nuire. On va le rejeter. On va le renvoyer. Il ne peut pas participer à la construction de cette France. La femme exotique, quant à elle, sera un fantasme pour l’homme blanc. Elle va moins nuire donc le traitement sera différent.

Vous avez à de nombreuses reprises déclaré que la France a besoin d’une « belle révolution ». Quels en seraient les contours ?

Bien sûr qu’il nous faut une révolution. Pourquoi a-t-on peur d’une révolution aujourd’hui ? Les gens veulent une révolution mais ils ont peur. Si nous aujourd’hui, nous disposons de tous les droits que nous avons, c’est parce que des personnes se sont battues pour que nous puissions les avoir. Des personnes ont fait des révolutions avant nous. Des personnes ont fait en sorte que nous ayons des droits, pour pouvoir avancer, s’exprimer et dire ce que l’on a envie. Pourquoi nous, on ne la ferait pas cette belle révolution ? Il faut renverser cette « mauvaise France », récupérer cette « bonne France » et laisser des droits meilleurs pour ceux qui arriveront après nous.

Quelle est la meilleure manière aujourd’hui de soutenir votre combat pour la vérité et la justice ?

Aujourd’hui, il faut relayer l’information le plus possible. Il faut « liker » la page Facebook « La vérité pour Adama », aller sur Twitter et surtout, il faut nous aider dans le combat financièrement parce que l’argent est le nerf de la guerre. Tout est financé de l’autre côté. Pour les gendarmes, l’État finance tout. Nous, la mort de mon frère n’était pas prévue. On n’avait pas mis d’argent de côté pour le meurtre de mon frère. Nous sommes les victimes et nous devons tout payer. Nous avons mis en place une cagnotte où les gens peuvent faire des dons4. Si 1000 personnes nous donnent un euro… c’est important. Il y a aussi les t-shirts qui sont en vente à 10 euros et il y a le livre « Lettre à Adama » que vous pouvez trouver dans toutes les librairies ou sur internet. Chaque livre acheté contribuera aux frais judiciaires.

Propos recueillis par Gwenhaël Blorville le 18 mars 2018.

Publié en partenariat avec La gazette de Gouzy
https://lagazettedegouzy.fr/


Notes

[1] Assa Traoré (avec Elsa Vigoureux), Lettre à Adama, éditions du Seuil, Paris, 2017, 17 euros.

[2] Bagui Traoré était accusé d’avoir mimé des pistolets avec ses mains envers des gendarmes. Le frère d’Adama, qui affirmait avoir simplement effectué le signe caractéristique du rappeur Jul, a été relaxé le 23 février dernier par le tribunal de Pontoise.

[3] Pouria Amirshahi a été député, sous l’étiquette du Parti socialiste, de juin 2012 à juin 2017. Il a depuis quitté le Parti socialiste.

[4] La cagnotte de soutien au comité Vérité et Justice pour Adama est accessible ici : https://www.okpal.com/adama-traore

 
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