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La Izquierda Diario
1er de avril de 2018 Twitter Faceboock

Fac en lutte
Au Mirail, depuis plus de trois mois, la grève s’organise
Anna Ky

Le 13 décembre dernier, les BIATSS – personnel non enseignant – entraient en grève. Peu après, les étudiants se mobilisaient eux aussi massivement. Trois mois et demi plus tard, comment s’organise cette mobilisation et quelles sont ses perspectives ?

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Tout a débuté après la trahison de Daniel Lacroix, désormais ex-président de l’université du Mirail. En décembre dernier, après une consultation au cours de laquelle les étudiants et les travailleurs de la fac s’étaient prononcés à l’écrasante majorité contre le projet de fusion des universités, il avait trahi ses engagements et tenté de faire passer le projet en force au Conseil d’administration (CA).

D’une mobilisation locale…

Dès lors, la mobilisation étudiante et celle des BIATSS se sont structurées dans des cadres d’auto-organisation. Des assemblées générales communes réunissent une à deux fois par semaine les étudiants et travailleurs mobilisés, ces derniers ayant également des AG personnels régulières leur permettant notamment de reconduire la grève d’une semaine à l’autre. Étudiants et personnels s’organisent respectivement dans des comités de mobilisation qui appliquent les décisions prises en AG.

Dès le début de la mobilisation, décision a été prise de perturber le fonctionnement « normal » l’université, afin de rendre la grève effective et d’empêcher le vote de la fusion. Aucun CA ne s’est tenu depuis, et cela s’est également traduit par le blocage de la présidence puis de la maison de la recherche. Le blocage – au-delà des journées de mobilisation nationale – a été voté pour la première fois le 6 mars, et a permis à de nombreux BIATSS de ne plus subir de pression à travailler malgré la grève, pour rentrer des notes, ouvrir des salles, trier les dossiers…

Si à l’origine, les revendications les plus mises en avant étaient le retrait du projet de fusion et la démission de Daniel Lacroix, la mobilisation a connu un tournant au cours de la semaine du 19 mars. Alors que l’université était bloquée depuis près de deux semaines, le lundi 19, les subventions IDEX (label « d’excellence », carotte pour mener le projet de fusion) ont été refusées par le gouvernement aux établissements toulousains. Le lendemain, la ministre de l’Enseignement supérieur annonçait la mise sous tutelle de l’université, en utilisant l’article L. 719-8 du code de l’éducation, du jamais vu jusqu’alors. Dans le même temps, plusieurs facs commençaient à se mobiliser contre les attaques de Macron faites à la jeunesse et aux travailleurs.

… à un mouvement national

Cette tentative du gouvernement de reprendre la main sur une université en grève qui commençait à faire tache d’huile – à l’heure où Montpellier connaissait déjà des AG de plus d’un millier d’étudiants – s’est traduite par une dissolution des conseils centraux du Mirail et la destitution de Daniel Lacroix. Une vague de solidarité, notamment autour du risque d’intervention policière sur le campus ouvert par la situation, s’est immédiatement déclenchée. Des communiqués, des messages de soutien, une manifestation spontanée à Paris…

Dès lors, le nouvel administrateur, Richard Laganier, nommé par la ministre de l’Enseignement supérieur, s’est attaché à convaincre les grévistes qu’il fallait organiser au plus vite les élections d’un nouveau CA, espérant ainsi canaliser la colère sur un terrain institutionnel. Il réfléchit à mettre en place un scrutin électronique afin de contourner le blocage et l’occupation de l’université. Mais les grévistes refusent pour l’heure de légitimer un CA par nature anti-démocratique, l’AG de jeudi 22 mars ayant voté le report des élections jusqu’à la rentrée qui suivra les vacances d’été (septembre ou octobre) – et ce alors que Laganier était présent. Les structures universitaires vont contre l’intérêt des étudiants et des travailleurs de l’université. Les multiples trahisons de Daniel Lacroix en sont l’illustration parfaite, tout comme la répression qui s’abat sur les étudiants mobilisés depuis plusieurs semaines.

Dans le même temps, les médias locaux et plusieurs représentants syndicaux de la FSU et de la CGT ne cessaient de marteler que la grève du Mirail était gagnée puisque Lacroix n’était plus président et que le projet de fusion se trouvait compromis. Pourtant, aucune garantie n’a été prise en ce sens, et cette même semaine, de nombreux évènements ont sorti le Mirail de son enclavement, entraînant dans la mobilisation de nombreuses autres universités.

La journée du 22 mars a été une première date de convergence, cristallisant dans la rue la colère de plusieurs centaines de milliers de manifestants, avec un taux de grève important chez les cheminots et dans la fonction publique. Le soir même, succédant à une longue liste d’interventions policières violentes dans les universités, des étudiants montpelliérains se faisaient matraquer par une milice fasciste introduite par le doyen Pétel dans la fac de droit.

La question du pouvoir à l’université

L’institution universitaire venait de montrer son pire visage, qui n’hésite pas à faire appel à l’extrême-droite pour mater toute contestation, à mettre sous tutelle une université qui se mobilise contre les attaques du gouvernement. Les assemblées générales qui ont suivi, dans de nombreuses facs, ont réuni bien plus d’étudiants que jusqu’alors : 800 à Paris 1 lundi, 1000 à Nancy… Partout, le mot d’ordre de la démission des présidents complices du gouvernement a été lancé. Une revendication qui interroge sur la gouvernance à l’université, question déjà formulée avec acuité au Mirail.

À Toulouse, depuis le début du blocage prolongé, des cours alternatifs sont proposés quotidiennement dans le grand amphi réquisitionné par les étudiants mobilisés. Les comités de mobilisation étudiants et personnels ont organisé plusieurs échéances contre la répression, dont une manifestation spontanée le lendemain de l’agression à Montpellier, qui a réuni plusieurs centaines de personnes à peine trois heures après qu’elle ait été appelée. À l’entrée de l’université, peints sur le bâtiment de l’arche, ces lettres immenses : « Ici c’est le Mirail ! Pas de fachos, pas de flics ».

Régulièrement, depuis la mise sous tutelle de l’université, le grand amphi est occupé par les étudiants, qui se préparent à un risque d’intervention policière ou à une descente de militants d’extrême-droite, comme cela a eu lieu à Lille, au lycée autogéré de Paris ou à Paris 1 pour écrire des tags antisémites imputés aux étudiants mobilisés. Des tours de garde sont organisés, les bâtiments occupés sont sécurisés par les grévistes. Dans ce même amphi aura lieu un meeting de convergence, réunissant de nombreux secteurs en lutte de Toulouse, le 10 avril.

Ces méthodes d’organisation établissent un contre-pouvoir au sein de l’université, par des décisions prises démocratiquement en assemblées générales – et non dans un CA où les étudiants et les BIATSS sont minoritaires face aux enseignants-chercheurs et aux personnalités extérieures – et par la vie de l’université régie concrètement par les grévistes eux-mêmes – et non par une administration à la botte du gouvernement. Ce que les étudiants et personnels mobilisés remettent en cause par leur lutte, c’est la structure même de l’université, par nature anti-démocratique.

D’une lutte locale à des revendications nationales

Le week-end du 25 mars, le Mirail accueillait la Coordination nationale étudiante (CNE) qui regroupait 35 facs dont la moitié connaissent une réelle mobilisation. En dépit des nombreuses limites de ce cadre, qui permettait une sur-représentation des facs non mobilisées et de l’UNEF, un certain nombre de revendications communes sont ressorties de cette CNE. En premier lieu l’abrogation des réformes de l’éducation et de l’enseignement supérieur, mais aussi le retrait de la réforme du rail et des autres attaques du gouvernement. La lutte contre la répression a aussi été un axe fort des discussions et de l’appel de cette coordination.

Si la plupart des médias tentent de décrédibiliser la mobilisation du Mirail en laissant entendre que les grévistes n’ont aucun revendication valable, la lutte en cours met en lumière la crise structurelle de l’institution universitaire. Tandis que le maire de Toulouse et Laganier, l’administrateur provisoire, peinent à délocaliser des sessions d’examens dans des salles municipales ou d’autres établissements, les personnels et les étudiants mobilisés revendiquent la validation du semestre pour toutes et tous, afin de résister à la pression des partiels. Nombre de directeurs d’UFR, à la pointe des « anti-bloqueurs », exercent des pressions sur les étudiants en s’appuyant sur leur position hiérarchique, pour qu’ils investissent en masse les assemblées générales dans le seul but de voter contre le blocage de l’université. Lundi 26 mars, alors qu’ils avaient mobilisés le ban et l’arrière-ban, leur tentative a été mise en échec par la reconduction du blocage à plus de 900 voix contre 600. De même le jeudi suivant, où le blocage a été reconduit jusqu’au mardi 3 avril, jour d’entrée en grève des cheminots.

Ce sont des revendications offensives, face à la crise structurelle de l’université qui s’exprime à différents degrés dans de nombreuses facs, que les grévistes devraient porter : des conseils paritaires, où les personnalités extérieures ne seraient pas des chefs d’entreprise mais plutôt des travailleurs, des représentants syndicaux, des travailleurs sociaux (du Planning Familial par exemple), etc ; où les représentants seraient sous le contrôle des enseignants, des BIATSS et des étudiants et révocables par eux ; un investissement massif dans les universités, à hauteur des besoins ; la titularisation de tous les précaires. Mais au-delà, leurs revendications doivent se lier avec celles des cheminots et des autres secteurs en lutte, dans une lutte pour un service public de qualité.

 
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