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La Izquierda Diario
25 de avril de 2018 Twitter Faceboock

Édito
La Bataille du Rail à un moment charnière. Comment passer à l’offensive face à un gouvernement méprisant ?
Laura Varlet, cheminote syndicaliste
Julian Vadis

Alors que les cheminots ont enchaîné leur 10ème jour de grève perlée ce 24 avril, cette modalité de mobilisation commence à montrer ses limites. Entre actions radicales et recherche d’alternatives et de convergence, une question se pose : va-t-on vraiment durcir le ton et aller, une fois pour toute, vers la grève reconductible ?

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Crédits photo : Alain Jocard / AFP

Au 10ème jour de grève perlée à la SNCF, ce mardi 24 avril, on a assisté à de nouvelles modalités d’expression de la mobilisation. Après la réussite de la rencontre inter-gare du lundi 23 avril, qui a réunit des cheminots franciliens, une série d’actions ont été proposées et organisées, dont la « manifestation spontanée » de Paris Nord à Paris Est, puis jusqu’à l’hôpital Saint Louis, ou le blocage du dépôt de Géodis à Gennevilliers. Des actions réalisées dans un esprit de convergence et auxquelles les cheminots ont été nombreux à participer.

Des exemples d’actions similaires sont à signaler en province, comme à Toulouse avec une action de convergence cheminots/personnels de santé où des travailleurs du rail ont montré leur solidarité en faisant des dons du sang.

Face à la sourde oreille que prête le gouvernement, il y a, dans le camp des cheminots, également une volonté de durcir le mouvement et de réaliser des actions pour médiatiser leurs mobilisations. C’est ce qui s’est vu particulièrement ces derniers jours en région parisienne : lundi, avec l’occupation des locaux du Fret, et mardi avec le blocage du dépôt de Géodis, filiale de la SNCF, et la manifestation avec les hospitaliers.

Dès lors, plusieurs questions se posent : cette volonté collective des cheminots, syndiqués comme non syndiqués, de durcir le mouvement ouvre-t-elle la perspective d’un départ en grève reconductible ? S’il y a bel et bien une envie de faire « converger » les luttes avec les salariés des autres secteurs, en particulier ceux du service public, va-t-elle se concrétiser à plus large échelle ?

L’indispensable bataille pour démocratiser les Assemblées Générales

Le gouvernement est intransigeant. Il fait pour l’instant dans la provocation : l’annonce de la filialisation totale du Fret à partir du 1er janvier 2020, dernière nouveauté sortie du chapeau, a fait monter la moutarde aux nez de certains cheminots qui ne décolèrent pas. « Il va falloir passer à la vitesse supérieur » estime Francis, mécano. Effectivement, l’idée que la grève du 2/5 ne suffira pas, et qu’il pourrait bien falloir la transformer en reconductible, commence à faire son chemin.

Mais ce qui manque encore au mouvement, pour permettre notamment de discuter des meilleurs moyens de gagner cette véritable bataille du rail, ce sont des Assemblées Générales qui soient réellement investies par les grévistes et qui deviennent des lieux de décision, soumise au vote. Pour l’instant, elles ressemblent encore trop à des « meetings » ou « réunions syndicales » où les seuls qui parlent sont les représentants syndicaux, qui ont déjà préparé dans les bureaux les modalités de mobilisation et les présentent lors de l’AG.

En effet, dans de nombreuses régions et de nombreuses gares, les taux de grève restent très importants, mais les cheminots viennent moins nombreux en Assemblée Générale. Comment expliquer un tel écart ? Par le fait que ces AGs ne sont que trop rarement des lieux où l’on discute ensemble, et où l’on décide ensemble des revendications et des modalités de la grève.

Les syndicats sont évidemment un outil pour la lutte et pour que les travailleurs s’organisent, c’est important de le rappeler. Mais pour qu’ils le restent et qu’ils soient réellement mis au service de l’intérêt de tous les cheminots, il est indispensable que les grévistes, syndiqués ou non-syndiqués, puissent décider de leur grève. Ce n’est à personne d’autre de le faire à leur place. Lorsque nous sommes en grève, un gréviste = une voix. La voix d’un syndicaliste ne vaut pas plus que celle d’un non-syndiqué. C’est la seule façon de rendre ces lieux d’organisation et de lutte intéressants pour l’ensemble de grévistes. Le seul moyen pour que l’énergie, la détermination et la volonté des cheminots grévistes puissent émerger et retrouver toute sa force dans le collectif.

Ces assemblées générales décisionnaires devraient se coordonner d’abord à l’échelle régionale, puis à l’échelle nationale, comme ce fut le cas pendant la très grande grève (victorieuse) de 1986. La rencontre inter-gares de la Région Parisienne qui a eu lieu à Paris Nord le lundi 23 avril est un premier pas en ce sens, même si cela reste encore embryonnaire.

Quitter les négociations pour... revenir aux négociations ?

Face aux provocations du gouvernement, l’ensemble de l’interfédérale avait décidé de "quitter la table des négociations" avant la dernière séance prévue avec la Ministre Elisabeth Borne, pour exiger à la place des "véritables négociations" avec Edouard Philippe.

Au lieu de proposer un plan de bataille à la hauteur des enjeux et surtout à la hauteur du niveau de détermination du gouvernement en face, les directions syndicales proposent de continuer pareil que jusqu’ici, en rajoutant la menace d’une grève jusqu’en juillet-août.

Après un moment de flottement, Edouard Philippe a finalement décidé d’ « accéde[r] à la requête » de rencontre avec les syndicats... tout en laissant l’exclusivité de la gestion du dossier à la ministre des transports, Elizabeth Borne. Il a également pris soin de faire de ces rencontres des réunions bilatérales, c’est-à-dire en recevant chaque syndicat individuellement. Une tactique bien connue pour parvenir à diviser l’interfédérale.

En résumé, le gouvernement cherche à séparer ceux qui, comme la CFDT et l’Unsa, cherchent à discuter l’application concrète de la réforme dans la convention collective et les accords d’entreprise, ce qui revient à "négocier" la manière dont la régression sociale va s’appliquer ; de ceux qui, comme la CGT, réclament des véritables négociations et qui ont dans les faits, abandonner la revendication du retrait pur et simple de la réforme. A ce sujet, le comble a été la déclaration de Philippe Martinez qui a dit noir sur blanc que la grève pouvait s’arrêter si des "vrais interlocuteurs" étaient trouvés.

Quand à la Fédération Sud Rail, bien qu’elle maintienne la revendication du retrait du pacte ferroviaire, elle continue de s’inscrire dans ce cadre de "pseudo-négociations" et d’exiger que des "véritables négociations" aient lieu, ce qui contribue à semer des illusions dans ce qui pourrait être obtenu par le seul biais de la discussion. Cette confusion contribue à désarmer les cheminots pour passer à l’offensive dans la bataille.

D’autant plus que, face à un gouvernement qui maintient une position inflexible, ou un Macron qui va fanfaronner jusqu’au Etats-Unis aux côtés de Trump pour dire qu’il n’y a aucune chance à ce que la réforme ne soit pas appliquée, dans le camp des cheminots, il ne manque que peu de choses pour finir par faire rompre la corde et généraliser la colère.

Enfin, une pléiade de causes imprévisibles, résultant d’une opération répressive ou d’un événement politique quelconque, pourrait provoquer l’étincelle. Et sans parler de la reprise (ou non) du mouvement étudiant après la période de vacances.

Ce qui est sur, c’est que l’émergence d’actions « spontanées » et de cadres d’échange et coordination, même si cela reste encore à développer, témoigne non seulement d’un enracinement de la colère et de la mobilisation, mais apporte dans le réel un début d’alternative pour les cheminots. Autre élément important, il est clair que la radicalisation du mouvement, vu l’appui des usagers solidaires lors des actions de ce 24 avril, est un élément essentiel pour, comme en 1995, retourner l’opinion publique et la gagner à la cause des cheminots. Une donnée bien entendu essentielle dans le rapport de force contre le gouvernement.

La démocratisation et la massification des assemblées générales est en ce sens la bataille centrale du moment. C’est une condition sine qua non de l’émergence d’une stratégie gagnante pour faire ravaler à Macron ses fanfaronnades et sa réforme.

 
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