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La Izquierda Diario
25 de avril de 2018 Twitter Faceboock

Portugal : la révolution des Œillets. Leurs commémorations et les nôtres.
25 avril 1974 : il y a 44 ans, les travailleurs portugais prenaient leurs affaires en main.
Nicolas Rossel
Jyhane Kedaz

Le 25 Avril 1974 marque le début de la Révolution des Œillets au Portugal. S’étalant sur plus d’un an et demi, jusqu’en Novembre 1975, elle met à bas le régime salazariste, la plus ancienne dictature fasciste d’Europe. Hier donc, jour de fête nationale, alors qu’une partie de la bourgeoisie portugaise commémore sa version de la révolution comme l’avènement de la liberté, tandis que l’autre la considère comme une erreur de l’Histoire, nous proposons de rappeler le caractère « socialiste » de la Révolution des Œillets, à l’opposé du fascisme d’un côté et de la démocratie bourgeoise de l’autre.

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La version des gagnants de l’Histoire

Le 25 Avril 1974, les militaires du Mouvements des Forces Armées (MFA), un mouvement hétérogène issu des guerres coloniales, débarquaient à Lisbonne et renversaient Salazar. Cette date marque la fin de l’État Nouveau, instauré officiellement en 1933 par Salazar et marqué par l’exploitation, la misère et la répression de la population en métropole, notamment à travers la PIDE, la police politique, ainsi que les massacres dans les colonies.

Accueillis par la population qui déposait des fleurs d’œillets dans leurs canons et leurs fusils, ce qui aurait pu n’être qu’un coup d’État militaire s’est rapidement transformé en un processus révolutionnaire profond, animé par les travailleurs et la population organisée, ainsi que par une partie des soldats du MFA. Selon l’historienne portugaise Raquel Varela, pendant plus d’un an et demi, un tiers de la population participe activement aux commissions d’habitants, de travailleurs, de soldats, organisant la vie quotidienne dans les quartiers, les usines, les terres sous contrôle des travailleurs, en lutte contre le fascisme.

Cette partie de l’Histoire est bien souvent « omise » dans les discours dominants. Au Portugal, le 25 Avril, connu comme « le Jour de la liberté » est une fête nationale et un jour férié. Des défilés et des manifestations sont organisés dans les principales villes du pays. Des cérémonies ont lieu à l’Assemblée, les discours des députés se succèdent. Au Parlement, on célèbre dans les grandes lignes le jour où le peuple portugais aurait obtenu la liberté et les droits fondamentaux face à un régime dictatorial dont on ne précise pas non plus les racines.

Mais si la révolution des Œillets, l’une des dernières révolutions en Europe, est aussi méconnue, c’est parce qu’à bien des égards, elle est caractérisée par un profond processus d’auto-organisation qui remettait en cause le régime fasciste colonial, et, de manière globale, l’ordre du capital. C’est ce dont il faut se rappeler : il y a 44 ans en Europe, les paysans et travailleurs expropriaient une partie des terres et des usines de la bourgeoisie dont une partie, effrayée par le processus révolutionnaire, a fuit le pays. Les droits démocratiques et sociaux issus du 25 Avril 1974 ont été en réalité une maigre concession pour tenter de calmer la population.

Nous préférons commémorer le caractère anticolonial de la révolution des Œillets...

Avant toute chose, il faut souligner le caractère anticolonial très fort du 25 Avril. La crise du régime salazariste prend ses racines dans les guerres coloniales en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau contre les mouvements de libération menées par la population dans les années 1960, et qui parviennent à infliger des défaites à la bourgeoisie portugaise.
Des guerres particulièrement meurtrières qui créent en plus de cela un sentiment de révolte chez une partie de la population métropolitaine et chez les jeunes militaires conscrits envoyés au charbon. S’ajoutent à cela une misère et une répression de plus en plus insupportables. Les dernières années de la dictature sont marquées par des révoltes ouvrières, paysannes et étudiantes, aussi bien en métropole que dans les colonies, comme la grève des ouvriers du coton en Angola en 1961, violemment réprimés avec du gaz Napalm. En ce sens, la chute du salazarisme et la Révolution des Œillets ne peuvent être analysées sans prendre en compte les luttes très dures menées dans les colonies par les travailleurs et la population.

...ainsi que les grèves, les occupations et les expropriations

Du côté de la métropole, le coup d’État du 25 Avril 1974 a ouvert une grande période d’instabilité politique marquée par une succession de grèves et de mobilisations, à la grande surprise du MFA lui-même. Car si une partie de la bourgeoisie portugaise avait un intérêt, face aux contradictions croissantes du régime dictatorial corporatiste, à soutenir une ouverture libérale politique et économique sur le reste du monde, le niveau d’auto-organisation atteint par la population portugaise a suscité la panique au sein des classes dirigeantes.

Trois millions de portugais se sont organisés dans des commissions d’auto-organisation dans les villes, les usines, et chez les soldats selon R. Varela. L’exemple le plus abouti est celui de la ville de Setubal où le comité de lutte, l’équivalent d’un soviet, contrôlait la ville. Dans le documentaire Setubal ville rouge de Daniel Edinger et Michel Lequenne sorti en 1976, l’une des ouvrières de la commission des travailleurs d’une l’usine automobile explique que, face aux attaques du gouvernement provisoire et aux menaces de licenciements, les ouvriers avaient réquisitionné l’usine. Ils avaient réorganisé la production afin de produire des réfrigérateurs plutôt que des voitures de luxes, plus utiles aux besoins de la population.

Ainsi dans le pays, ce sont plus de 300 usines qui ont été occupées selon R. Varela. Des grèves radicales bloquent l’économie, et paralysent le pays notamment en Mai et Juin 1974 ; certaines ont comme revendication d’expulser les politiciens et les flics du régime fasciste, comme l’ont fait les travailleurs tunisiens en virant les « petits Benali » restés en poste dans les usines et les administrations après la chute du dictateur en 2011. Elles s’accompagnent de revendications démocratiques et sont organisées à partir des assemblées générales et des commissions de travailleurs.

Les commissions d’habitants étaient également des organes de décisions locales qui ont constitué un pouvoir parallèle face aux mairies en recomposition.
Leurs revendications portaient sur les nécessités les plus immédiates : services d’eau et d’égout, réquisitions et occupations des logements vides, créations de crèches… Les femmes ont joué un rôle d’avant-garde dans les commissions de travailleurs et les commissions d’habitants puisque traditionnellement elles géraient la vie familiale, l’éducation, etc.
Les services d’éducation et de santé ont également été organisés par la population, avec des médecins, professeurs, étudiants qui mettaient leurs savoirs au service du processus révolutionnaire. Les soldats de gauche du MFA poseront également la question de la défense des comités tenus par les travailleurs, mais malheureusement trop tard.

Cette expérience d’auto-organisation contre le fascisme et le capital est très poussée, elle contraint une partie de la bourgeoisie à s’exiler. L’idée de socialisme est omniprésente dans le pays. La Constitution portugaise faisait d’ailleurs mention du socialisme jusqu’à il y a peu.

La démocratie bourgeoise comme forme de la contre-révolution portugaise

Malgré tout, l’absence de coordination nationale de ces comités et commissions, ainsi que l’absence de partis et d’organisations révolutionnaires capables de convaincre de la nécessité de prendre le pouvoir, ont laissé le champs libre pour le coup d’État du 25 Novembre 1975, date de la contre-révolution démocratique. Cette défaite obligea à un compromis social qui permis de restaurer l’ordre du capital sous la forme de la démocratie parlementaire telle qu’on la connaît aujourd’hui.

C’est pourquoi « nos » commémorations de la révolution portugaise sont importante, afin de ne pas se laisser endormir par les discours dominants de la « liberté ». De quelle liberté s’agit-il quand cette démocratie mène des politiques d’austérité comme entre 2011 et 2015 ? Ou quand elle tente d’imposer le travail obligatoire le samedi à Volskwagen Autoeuropa, la plus grande usine du pays ? Ou bien encore quand elle gèle le salaire des profs, exploite, et prive une grande partie de la population de travail et de logements décents ?

Certes, il n’y a plus de police politique qui sème la terreur, mais le système actuel reste d’une violence extrême pour les travailleurs, la jeunesse et les classe populaires. Non, cette démocratie n’est pas la nôtre et n’incarne pas la liberté mise en avant par les commémorations officielles. Au contraire, elle incarne la contre-révolution qui a mis un coup de frein au processus d’émancipation qui émergeait. Aujourd’hui, ce n’est donc pas dans les cérémonies officielles que l’on retrouve l’esprit et l’héritage de 1974, mais plutôt dans les luttes des jeunes Indignés portugais en 2011 et 2012 contre les politiques d’austérité, ou encore dans celle des ouvrier de Volskwagen contre le travail obligatoire le samedi.

En guise de conclusion de nos commémorations, à l’heure où nous célébrons également le cinquantenaire de mai 1968 en revendiquant un « mai 1968 qui aille jusqu’au bout » la prochaine fois, au Portugal, c’est aussi un « avril 1974 qui aille jusqu’au bout » que nous pouvons revendiquer comme perspective d’émancipation des exploités et des opprimés portugais.

 
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