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La Izquierda Diario
29 de mai de 2018 Twitter Faceboock

Un déclin accéléré de l’hégémonie américaine
Trump annule sa réunion avec Kim Jong-Un
Max Demian

Dans une lettre adressée directement à Kim Jung-Un le 24 mai, le président américain annonçait finalement, après de multiples menaces, l’annulation du sommet historique prévu le 12 juin entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Quelques jours plus tard pourtant, le 27 mai, des sources citées par le Washington Post faisaient état de préparations toujours en cours, laissant penser que le sommet pourrait bien avoir lieu.

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Au-delà du feuilleton diplomatique, les exigences stratégiques américaines – dénucléarisation totale et sans condition de la Corée du Nord – ont peu de chances (en réalité aucune) d’aboutir. Par ses multiples menace et intimidations, Trump est le parfait agent d’une puissance hégémonique sur le déclin qui cherche à maintenir sa domination géopolitique et économique par un recours accru à la force, risquant par là-même d’accélérer son déclin – en même temps que l’instabilité géopolitique mondiale.

La « méthode Trump » : expression d’une puissance sur le déclin

Au vu de la situation, il est improbable que la Corée du Nord se décide de suspendre son programme nucléaire – encore moins de s’engager dans un programme de dénucléarisation, surtout au vu du comportement de Trump. Face, donc, à l’impossibilité d’obtenir ce qu’il souhaite, Trump s’enfonce dans une rhétorique belliciste et se retire de l’accord.

Pourtant, en se retirant à la dernière minute de l’accord, Donald Trump érode un peu plus la crédibilité américaine à l’international. Après s’être retiré de l’accord sur le nucléaire, avoir menacé la Chine d’une guerre commerciale, exempté (à la dernière minute) l’Europe d’une taxe sur l’acier et imposé des droits de douane au Japon, les anciens alliés américains ont bien compris que l’ère de l’ordre global multilatéral où l’Amérique servirait d’« arbitre » (à son avantage) des règles du jeu est désormais révolu. Il est même probable désormais que des pays tels que le Japon craignent désormais plus le comportement erratique et brutal de Trump que celui de Kim Jong Un, qui semblait se diriger (sans toutefois s’illusionner là-dessus) vers une politique bien plus prévisible qu’au cours des années précédentes, se montrant notamment prêt à dialoguer avec la Corée du Sud ou les Etats-Unis.

La tentative réactionnaire de Trump de s’accrocher par la force à la position de force américaine en usant et abusant de menaces ne fait à terme qu’accélérer le déclin de l’hégémonie américaine en se privant de ses anciens alliés, qu’il tance désormais et considère même comme des adversaires.

Comme l’écrit Gramsci dans ses cahiers de Prison (note 19) : « La façon dont s’exprime l’existence d’une grande puissance est donnée par la possibilité de conférer à l’activité étatique une direction autonome, dont les autres Etats doivent subir l’influence et le contrecoup : une grande puissance est une puissance hégémonique, elle est le chef et le guide d’un système d’alliances et d’ententes plus ou moins étendues. ».

Or, force est de constater qu’à ce titre, la puissance américaine acte elle-même la disparition du système d’alliances issu de la seconde guerre mondiale et que le modèle néolibéral qui prévalait jusque là connaît une crise hégémonique profonde, marquant une ère de tensions géopolitiques globale. Les Etats-Unis sont de moins en moins le guide d’un « système d’alliance » en ruine, et deviennent de plus en plus une puissance réactionnaire sur le déclin qui cherche à imposer son agenda au reste du monde par la force.

A ce titre, la décision de dernière minute de Trump d’annuler le sommet profite évidemment à la Corée du Nord, qui s’érige désormais en victime de la politique brutale et imprévisible de Trump. Désormais, la Corée du Nord apparaît même comme un régime prompt au dialogue. Mais surtout, en dernière instance, c’est à la Chine que profite ce revirement de Trump. Car au vu du comportement des Etats-Unis, il est peu probable que le Japon ou l’Union Européenne se conforment aux vœux américains de maintenir une pression maximales sur la Corée du Nord ; Beijing a d’ailleurs fait montre d’une volonté d’apaisement en diminuant les sanctions à l’égard de la Pyongyang à l’ONU. Plus, la Corée du Nord pourrait désormais se tourner vers la Corée du Sud et évidemment la Chine pour s’assurer une protection militaire et nouer des alliances économiques. Car face à la politique d’hégémonie régionale dans la Mer du Sud, la Chine pourrait bien se présenter comme le rempart de la stabilité dans la région.

Cette situation pourrait ainsi transformer la Corée du Nord en détonateur des tensions géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis si ces derniers se décidaient à mener une attaque militaire contre la Corée du Nord, même si cette option pour le moment n’est souhaitée par personne.

Le « piège de Thucydide » : ou comment, face au déclin de l’hégémonie américaine, une partie de l’establishment américain se prépare à la guerre

Un récent ouvrage intitulé Destined for War de Graham Allison, professeur à Harvard, se propose de revisiter la rivalité sino-américaine à l’aune de l’historien grec Thucydide. L’auteur nomme « piège de Thucydide » une situation dans laquelle une puissance hégémonique sur le déclin fait face à la montée en puissance d’une puissance rivale, situation qui débouche quasi-invariablement à la guerre selon l’auteur et dont le paradigme est la guerre du Péloponnèse qui a opposé Athènes à Sparte au Vème siècle avant JC. Au-delà de l’application d’un schéma très scholastique et peu matérialiste des relations internationales, ce qui est inquiétant, c’est que cette idée d’une collision inévitable entre les Etats-Unis et la Chine hante véritablement la partie la plus réactionnaire de l’establishment américain, dont certains, tels James Mattis, secrétaire à la Défense américain ou H.R. McMaster, conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, vouent un véritable culte au penseur grec et se préparent effectivement pour un conflit inter-puissances, avec la Chine en ligne de mire.

Comme l’écrit Gramsci dans cette même note précédemment citée : « Disposer de tous les éléments qui, dans les limites du prévisible, donnent la certitude de la victoire, cela signifie qu’on possède le potentiel de pression diplomatique d’une grande puissance, cela signifie, en d’autres termes, qu’on réussit à obtenir, sans avoir besoin de combattre, une partie des résultats que donnerait une guerre victorieuse. »

Or plus l’hégémonie américaine s’érode, plus Trump sera tenté de monter en puissance dans sa rhétorique belliciste et menaçante, érodant de plus en plus son potentiel de pression diplomatique, accélérant ainsi son propre déclin. L’annulation du sommet à la dernière minute n’étant que l’énième expression d’une ère de tensions géopolitiques exacerbées.

 
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