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La Izquierda Diario
5 de juillet de 2018 Twitter Faceboock

Restauration bourgeoise brutale et bonapartisme
Quelle place pour la Russie dans le champ géopolitique ?
Philippe Alcoy
Julian Vadis

Visée dans les documents de défense américains comme l’un des principaux dangers pour la sécurité des Etats-Unis, présentée comme une superpuissance par les médias dominants, la Russie de 2018 est-elle devenue une puissance impérialiste de premier plan ? Ceci est loin d’être une évidence, bien que les tensions géopolitiques actuelles donnent à la Russie une place centrale à l’échelle internationale.

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Une restauration capitaliste brutale et une Russie humiliée

La première décennie post-soviétique en Russie, sous la présidence d’Eltsine, a été avant tout la source d’une grande précarisation des classes populaires et ouvrières. En 1999, « le salaire réel représente 30% du niveau de 1991 », sans prendre en compte les salaires impayés, réglés partiellement, etc. Les dépenses dans l’Education et la santé, pour la période 1990-95, baissent respectivement de 40% et 30%. Autre chiffre parlant, si « 7% des Russes vivent en dessous du seuil de pauvreté » en 1991, ce chiffre explose en 1992 (33,5%), avec une tendance à la stagnation ou à une faible baisse durant toute la décennie 1990/2000, en lien direct avec les privatisations accélérées. Dès 1992, 110 000 entreprises sur 205 000 sont privatisées1.

L’objectif de l’impérialisme et de la bureaucratie restaurationniste était de rendre "irréversible" le processus de restauration capitaliste. Il s’est agit d’une période d’humiliation pour la Russie en plein déclin économique, dévastée par les privatisations mafieuses, les reculs sociaux et culturels mais aussi en profonde perte d’influence internationale par rapport à la période de la "Guerre Froide".

Le bonapartisme poutinien

La crise financière de 1998 marque un tournant décisif. Bien que la résistance ouvrière n’ait nullement été à la hauteur de l’attaque historique contre le prolétariat qu’a signifié la restauration capitaliste, vers la fin des années 1990, les luttes ouvrières face à cette vague brutale de restauration capitaliste sont nombreuses, en dépit de la législation russe particulièrement féroce contre les grèves.

En 2000, Poutine est élu président. Avec son élection, arrive l’avènement des cliques mafieuses à la tête de l’État, issues directement de l’ex-bureaucratie stalinienne. C’est un secteur lié à Poutine à travers le contrôle d’entreprises d’Etat mais qui dirige aussi des entreprises privées. Pour tenir le pays d’une main de fer, Poutine accentue le discours nationaliste et renforce les liens avec l’Eglise orthodoxe d’une part, et avec les syndicats issus de l’ex-URSS d’autre part, afin de canaliser les potentielles poussées ouvrières et empêcher toute émergence alternative d’organisation ouvrière.

Cependant, le pouvoir de Poutine repose surtout sur un "pacte social" : les citoyens russes échangent une grande partie de leurs libertés politiques contre plus de dépenses sociales, une amélioration de leurs conditions de vie et que la Russie regagne une place importante sur l’arène internationale. Les masses font confiance à Poutine personnellement mais sont très méfiantes des institutions d’Etat, des dirigeants politiques et évidemment des oligarques. Cela crée la contradiction que Poutine, tout en gouvernant pour ses capitalistes amis, doit veiller à mettre des limites à la brutalité patronale et parfois doit prendre position en faveur des ouvriers, pour éviter d’affaiblir le pacte social. L’autre point faible de ce "pacte" c’est l’économie elle-même. En cas de crise économique prolongée et d’obligation d’imposer des mesures d’austérité, le "pacte" pourrait également s’affaiblir, voire se rompre. Enfin, cette légitimité autour de la figure de Poutine pose la question de la succession et les risques sociaux et politiques qu’une éventuelle succession de Poutine ouvrirait.

Une économie dépendante de l’exploitation des énergies fossiles

La restauration bourgeoise a eu des effets dévastateurs pour l’économie russe. Dès 1992, la production industrielle a baissé de 18%. Une tendance qui s’est aggravée les années suivantes (-14,1% en 93, -20,9% en 94). En 1998, elle ne représentait plus que 49,5% de ce quelle était en 19922. Au niveau de la production agricole, la chute est légèrement moins forte, mais tout de même similaire. Une situation qui fait qu’aujourd’hui, le gaz et le pétrole sont les deux fleurons de l’économie russe, avec les conséquences que cela implique, notamment une dépendance totale sur les fluctuations des marchés sur les énergies fossiles.

La première conséquence notable est que, contrairement à ce qu’espéraient l’ex-bureaucratie soviétique et les jeunes oligarques aspirant à constituer la nouvelle bourgeoisie russe, cette dépendance économique ne permet pas à la Russie de franchir un cap pour devenir une puissance impérialiste à part entière. D’autre part, il est clair que Poutine, pour maintenir un certain « prestige », s’appuie énormément sur la puissance militaire russe héritée de l’URSS, qui garde des atouts considérables, notamment au niveau de l’armement nucléaire.

Une puissance régionale avec influence internationale (limitée)

Contrairement à la propagande intéressée de certains médias occidentaux, et aux affirmations de certains courants de la gauche anticapitaliste, la Russie n’est pas une puissance impérialiste. Son pouvoir militaire, sa politique étrangère relativement indépendante et son droit de véto à l’ONU créent cette "illusion de super puissance". Poutine tire profit de cette image également.

Cependant, en plus des faiblesses économiques déjà pointées, il faudrait signaler que, à la différence de la Chine, la restauration en Russie a signifié une énorme désindustrialisation accompagnée d’un grand retard en termes de développement technologique. Et cela même pour l’exploitation de sa principale ressource naturelle et économique, le pétrole et le gaz.

En termes d’influence internationale, la Russie est obligée de se limiter à conserver sa zone d’influence dans l’espace ex-soviétique. Sur ce terrain, depuis 2014 la Russie a connu un recul majeur en perdant la main sur une grande partie du territoire ukrainien, sous son influence jusqu’alors, et s’est vue obligée d’annexer la Crimée (base militaire) et de soutenir des "provinces rebelles" à l’Est de l’Ukraine. C’est surtout ce revers stratégique, partiel mais très important, qui a poussé Poutine à accentuer son intervention en Syrie : faire de la guerre syrienne une monnaie d’échange pour négocier des concessions en Ukraine avec les Occidentaux. Pour le moment, cette stratégie n’a pas vraiment marché, même si Poutine a réussi à imposer un coup aux impérialistes, notamment aux USA.

Ainsi, la Russie n’a pas de visées expansionnistes au Moyen Orient mais cherche plutôt à regagner le terrain perdu ailleurs et aussi à rompre l’isolement international dans lequel elle se trouve. De là, ses tentatives de maintenir un certain équilibre des pouvoirs au Moyen Orient, où Moscou reste incontournable, en refreinant les ambitions iraniennes mais aussi turques.

Tensions avec Trump et situation mondiale

Dans le texte Tensions économiques et instabilité politique dans la situation mondiale, produit lors de la XI° Conférence de la Fraction Trotskyste Quatrième Internationale (FTQI), il est précisé que « la nouvelle stratégie de sécurité et de défense nationales [américaine] définit comme axe central le conflit inter-puissances, mettant au second plan la guerre contre le terrorisme. Selon ces documents, élaborés par l’aile militaire du gouvernement, la principale menace pour la sécurité nord-américaine sont la Chine et la Russie ».

Il est clair que les politiques protectionnistes et surtout les offensives sur le terrain du maintien, voire d’accentuation, des sanctions contre la Russie de Trump rend particulièrement vulnérable Moscou. Chaque sanction des Etats-Unis, pouvant entraîner une chute du cours du prix des matières premières, attise les tensions.

L’inconnu est de taille, puisque les Etats-Unis pointent eux-mêmes la Russie comme principal danger après la Chine. Dès lors, il est clair que tout événement géopolitique, même périphérique, allant dans le sens d’un raidissement des rapports sur le plan économique pourrait être la source d’un embrasement entre les USA et la Russie. En bref, si la Russie est une puissance relativement secondaire sur le plan économique à échelle mondiale, la perspective d’un conflit armé inter-puissances, qui n’est plus à écarter selon les documents américains eux mêmes, lui confère de fait un rôle central dans la situation géopolitique.

1. Jean-Jacques Marie, « La Russie sous Poutine »
2. Ideb

 
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