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La Izquierda Diario
13 de août de 2018 Twitter Faceboock

La Turquie en recherche d’alliés
Vers une crise économique en Turquie ?
Max Demian

La récente victoire électorale de Erdogan avait renforcé son pouvoir politique. Toutefois, le président turc faisait face à de nombreuses contradictions économiques qui fragilisaient la base de son pouvoir : une importante dette extérieure qui fragilise les banques et une inflation de 15% qui menace la stabilité financière d’un régime qui repose sur l’endettement pour financer la guerre et les infrastructures.

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Récemment, la livre turque perdait près de 15% de sa valeur en une journée des suites de la hausse du dollar, plongeant le pays au bord de la crise économique et menaçant de contaminer les banques européennes, particulièrement exposée. Cette situation s’inscrit dans un contexte de montée des tensions diplomatiques entre les Etats-Unis et la Turquie, dont les intérêts stratégiques ont tendance à de plus en plus diverger, voire s’opposer. La question de savoir si Erdogan va se tourner vers de nouveaux alliés, au risque de rompre ses relations avec son allié de l’OTAN, ainsi que sa gestion de la crise financière restent ouvertes.

Une crise de la livre turque qui fragilise Erdogan et menace de se propager en Europe

Comme évoqué précédemment, la livre turque a connu une chute spectaculaire ces deniers jours, perdant plus de 15% de sa valeur en une seule journée face au dollar. Erdogan a été prompt à accuser les puissances occidentales de complot, fustigeant la politique américaine qui a renforcé ses sanctions envers la Turquie en doublant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium.

Toutefois, bien que les sanctions américaines aient ajouté à la crise de la livre turque, celle-ci a perdu plus de 40% de sa valeur depuis les débuts de l’année. Cette chute continuelle de la monnaie turque est l’expression d’une faiblesse principale qui constitue un point faible du régime de plus en plus autoritaire d’Erdogan : sa dépendance aux marchés financiers. En effet, aucun régime, aussi fort soit-il, n’est en mesure de résoudre les contradictions de son régime économique : l’économie est la véritable kryptonite ; à tel point que certains journaux satiriques turques n’ont pas hésité à qualifier la monnaie turque de « principal opposant au régime. »

L’économie turque est en effet fortement dépendante de dettes libellées en monnaies étrangères. Pour se construire une base sociale et asseoir son hégémonie, Erdogan s’est principalement appuyé sur deux axes, déclinaison d’une idéologie mythique de la Grande Turquie qui rayonnerait à l’international : d’une part un investissement massif dans des infrastructures de type aéroports internationaux, d’autre part une politique étrangère fondée sur la guerre en Syrie avec des victoires comme à Afrin il y a quelques mois, nourrissant la rhétorique nationaliste du président et asseyant son autorité à l’intérieur.

Toutefois, comme les banques turques disposent de peu de réserves, il a fallu emprunter pour financer la guerre et la construction. Et Erdogan s’est donc adressé aux marchés financiers, contractant un taux important de dettes libellées en dollars, qui rendent ainsi dépendante la monnaie turque – la livre – de la monnaie internationale qu’est le dollar ; la dette extérieure représentant en effet de l’argent emprunté dans une devise étrangère.

Ainsi, contracter une dette en monnaie extérieur implique de rembourser dans cette monnaie.

Donc, on voit que lorsque la livre turque perd de sa valeur par rapport au dollar, il faudra sortir plus de livres turques pour rembourser la même somme en dollar.

Par exemple, si la Turquie devait emprunter 100 millions de dollars à un taux de 10 % sur une dette libellée en dollars américains, elle devrait 10 millions de dollars par an. Si le taux de change entre la lire et le dollar était de 2 pour 1, la Turquie devrait 20 millions de lires par an. Si la lire se dépréciait par rapport au dollar et que le taux de change devenait 4 pour 1, la Turquie devrait encore 10 millions de dollars, mais cela équivaudrait à 40 millions de lires par an.

On comprend donc le mécanisme qui s’enchaine : la crise de la livre turque met en crise l’économie turque et la capacité de Erdogan à garantir la croissance et la prospérité de son pays. Plus cette base économique est mise en crise, plus la population se demandera pourquoi tant d’argent est dépensée dans la guerre en Syrie, remettant en cause l’autorité de Erdogan.

Par ailleurs, cette situation de crise de la monnaie turque inquiète au plus haut point la Banque Centrale Européenne – BCE. En effet, certaines banques européennes importantes sont particulièrement exposées à la dette turque. La BCE a relevé que le BBVA de l’Espagne, UniCredit de l’Italie et BNP Paribas de la France sont particulièrement exposés à la dette turque. Les banques espagnoles, ayant contracté à elles seules près de 80 milliards de dollars de prêts turcs.

Les relations Turquie/ Etats-Unis : des tensions diplomatiques aux tensions stratégiques

Depuis plusieurs semaines, la passe d’armes diplomatiques entre la Turquie et les Etats-Unis ne cessent de prendre de l’ampleur, à tel point que les intérêts stratégiques des deux pays, pourtant alliés dans l’OTAN, divergent de plus en plus. Les tensions se sont particulièrement cristallisées autour de la question de la détention en Turquie d’un pasteur américain résidant depuis plus de vingt ans en Turquie et accusée de terrorisme par la justice turque – aux mains d’Erdogan. Cette tactique n’est pas nouvelle en soi, la détention d’otages étant un moyen de pression diplomatique. Ce qui est nouveau toutefois, c’est que cela se produise entre deux pays alliés au sein de l’OTAN.

Cette tentative d’intimidation de la Turquie vise principalement à faire plier la politique agressive de Trump qui a imposé des droits de douane aux exportations turques d’acier et d’aluminium, mais aussi vise à diminuer les sanctions imposées aux banques turques qui commercent avec l’Iran – qui exporte le pétrole, indispensable à l’économie turque – , et enfin, d’un point de vue militaire, en réaction au soutien américain aux forces armées kurdes au nord de la Syrie, allié important des Etats-Unis.

La montée des tensions a ainsi conduit Washington à employer des mesures de plus en plus directes et exceptionnelles compte tenu du statut d’alliés des deux pays. Fin juillet, en vertu de la loi Magnitsky, – loi qui cible les auteurs de violations des droits de l’homme – la Turquie était visée par des mesures interdisant aux ministres turcs de la justice et de l’intérieur d’entrer aux États-Unis et de disposer de leurs biens et avoirs américains.

La Turquie en quête de nouveaux alliés stratégiques ?

Comme le précise le journal Le Monde : « Confrontée à une crise diplomatique sans précédent avec les Etats-Unis, affaiblie par la crise financière et l’effondrement record de sa monnaie, la Turquie se cherche « de nouveaux alliés. » » En réalité, les possibilités dont dispose Erdogan sont criblées de contradictions et menacent d’une façon ou d’une autre d’accroitre les tensions stratégiques avec les Etats-Unis.
Un premier allié pour la Turquie pourrait être la Russie. Cette alliance permettrait notamment à la Turquie de progresser dans ses objectifs militaires en Syrie au moment où l’alliance avec les américaines se fait de plus en plus précaire. Par ailleurs, ce serait un moyen pour la Turquie de s’assurer une place de choix dans la reconstruction de la Syrie en s’appuyant sur alliance avec la Russie pour l’obtention de juteux contrats.

Le Monde précise là encore : « Comme la Turquie ne peut plus compter sur le soutien américain, c’est le moment rêvé pour la Russie de contrer les rebelles à Idlib. Ankara devra se plier au plan russe, en contrepartie du maintien de sa présence au nord d’Idlib, si toutefois Poutine sait se montrer généreux », expliquait Soner Cagaptay, directeur du programme d’études turques au Washington Institute, sur son compte Twitter samedi 11 août.... Dans le plan envisagé à grands traits par MM. Erdogan et Poutine, les entreprises turques du bâtiment, affectées par la crise financière qui secoue le pays, se referaient une santé en se chargeant du gros œuvre, Moscou conduirait la normalisation politique tandis que les Etats européens assumeraient la note. »

Toutefois, non seulement l’alliance avec la Russie pourrait mener à une rupture nette avec les Etats-Unis, mais surtout, la Russie elle-même subit les affres de la politique agressive de Trump : la hausse du dollar autant que les sanctions américaines ont contribué à faire chuter la monnaie russe.

Les autres ressources potentielles pour la Turquie pourraient être la Chine, le Qatar ou le FMI. Toutefois, il convient d’écarter à priori tout recours au FMI, qui imposerait des conditions drastiques à Erdogan, qui y verrait une ingérence insupportable dans son autorité. Le Qatar est un allié important de la Turquie mais qui souffre du blocus qui lui est imposé depuis plusieurs mois. Quant à la Chine, certes aider la Turquie permettrait de stabiliser un pays émergent pour un moment, mais cela risquerait de dégrader encore les relations entre la Chine et les Etats-Unis. De manière générale toutefois, la plupart des analystes s’accordent sur le fait que compte tenu du montant dont a besoin la Turquie, aucun des pays cités – Chine, Russie ou Qatar – ne sont en mesure de fournir une aide suffisante.

Une chose toutefois est certaine : comme l’expliquait un diplomate américain dont les propos sont rapportés par le Financial Times : « La dureté de la diplomatie de Trump va pousser la Turquie entre les mains des Russes. Erdogan cherchera d’autres alliés. Il y aura des alliances géopolitiques que nous n’aimerons pas." »

Points essentiels

1) Vendredi la lire turque perdait 15%, après avoir perdu près de 40% de sa valeur depuis le début de l’année ; le président Erdogan accusant les puissances occidentales de fomenter un complot contre sa personne. La crise de la monnaie turque affaiblit grandement la position d’Erdogan et menace d’éclater en une crise économique, les banques européennes étant particulièrement exposées.

2) De multiples conflits diplomatiques opposent depuis plusieurs semaines la Turquie et les Etats-Unis et menacent l’alliance stratégiques des deux pays, membres de l’OTAN : la détention en Turquie d’un pasteur américain ; la livraison de missiles américains qui pourraient être annulée suite une commande de missiles passée par la Turquie auprès de la Russie, et les sanctions américaines sur l’Iran.

3) L’isolement de la Turquie pourrait mener Erdogan à la recherche de nouveaux alliés, du côté de la Chine ou de la Russie, accroissant les tensions avec les Etats-Unis.

Crédits photos : © AFP / Yasin AKGUL

 
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