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La Izquierda Diario
31 de août de 2018 Twitter Faceboock

Panorama économique
Argentine. Un dollar à 40 pesos, un gouvernement embourbé, et les inconnues du pacte avec le FMI
Esteban Mercatante

Ce jeudi fut un autre jour de vertige durant laquelle le dollar a atteint 42 pesos. Le gouvernement a tenté de contenir cette baisse de la valeur du peso avec plus de restrictions monétaires et de mises aux enchères des dollars. La réévaluation, hier, en urgence, du taux directeur par la banque centrale, taux qui culmine désormais à 60% (+15% dans la journée d’hier) annonce un nouvel effondrement économique.

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Traduction de La Izquierda Diario

En deux jours, le dollar a enregistré une hausse de 25%, passant de 32 pesos à la clôture des marchés mardi, à 39,77 pesos au distributeur hier à 15 heures.

Le gouvernement de Macri, qui a pris le pouvoir en décembre 2015, démontrant sa capacité à se mettre au diapason des entreprises et des « marchés » de par la composition écrasante de PDG en son sein, montre toutefois des signes de très grande nervosité . Mercredi une demi-heure avant l’ouverture des marchés, une vidéo de deux minutes du président Macri adressée exclusivement aux créanciers était suffisante pour générer une journée frénétique.

Hier, le chef de cabinet des ministres de la nation argentine (équivalent du Premier Ministre en France), Marcos Peña, dans son discours au Conseil des Amériques, a salué le cours économique et a imputé la crise aux "70 dernières années" du pays. La réponse a été immédiate. Après une heure de discours de Peña, le dollar dépassait les 40 pesos jeudi à 11h.

La banque centrale toujours avec un temps de retard

Compte tenu de l’escalade féroce du prix de la devise américaine, la Banque centrale (BCRA) a de nouveau appliqué, à plus fortes doses, les recettes qu’elle avait déjà testées en atteignant, au mieux, des résultats palliatifs momentanés. Avant le début de la hausse, le taux de référence de la politique monétaire, qui sert de base au financement des coûts dans l’ensemble de l’économie, avait augmenté de 60% par an. Une mesure qui prédit un nouveau bond dans la chute du crédit et de plus grandes difficultés pour les débiteurs à éviter le défaut.

Avant le début de la hausse, la banque centrale relevait son taux directeur à 60% (+15% !), taux qui sert de base au financement des coûts dans l’ensemble de l’économie. Une mesure qui préfigure un nouveau saut dans la chute du crédit, et de plus grandes difficultés pour les débiteurs d’éviter le défaut de paiement.

Comme si cela ne suffisait pas, la BCRA a également augmenté de 5 points les réserves obligatoires pour les dépôts. Ainsi, pour les dépôts à vue, les banques doivent immobiliser les 36% des fonds levés (30% pour les délais fixes). Celles-ci peuvent être intégrées avec des pesos, des lettres de liquidité (LELIQ) ou des émissions de la banque centrale (NOBAC).

L’effet de ces mesures pour calmer le dollar s’est évaporé l’après midi. À cette heure, le dollar était passé au-dessus de 40 pesos. À la clôture, certaines banques proposaient de l’offrir à 43 pesos.

Avec un faible volume échangé et un fort écart entre le prix d’achat et le prix de vente, il est devenu évident que les institutions financières n’étaient pas disposées à abandonner les billets de banque au milieu d’un manque de contrôle, sauf à imposer des valeurs exorbitantes.

Dans ce contexte, la BCRA a réalisé une nouvelle vente aux enchères peu avant 15h00, offrant 500 millions de dollars. Celle-ci a accordé 330 millions de dollars, à un prix réduit de 38,71 pesos. À cette heure-là, au distributeur, le dollar était à peine inférieur à 40 pesos.

La journée de hausse d’hier aura vu un volume négocié de 749 millions de dollars dans le secteur des liquidités. 558 millions de dollars ont été déplacés dans le marché à termes.

Tout indique que la semaine se terminera sur une autre séance de dollar à la hausse.

Paralysie, confusion et déficit zéro en 2019

Le ministre des finances, Nicolás Dujovne, a également apporté hier sa contribution à la confusion généralisée. À la Casa Rosada (équivalent de l’Elysée en Argentine), le ministre s’est exprimé pour la deuxième journée consécutive face à la presse, esquivant la définition de nouvelles mesures. "Nous sommes convaincus que ce niveau de taux de change exagère les fondamentaux de l’économie argentine", a-t-il dit, dans un avis qui n’est clairement pas partagé par les acteurs du marché, prêts à acheter des dollars au niveau actuel pour continuer à se débarrasser de leurs positions en pesos.

Reconnaissant ce qui est évident, qu’« il y a maintenant un processus de défiance dans l’économie Argentine, » Dujovne a encore reporté à la semaine prochaine une annonce au sujet de la nouvelle feuille de route que prépare le gouvernement dans le cadre de la version 2.0 de l’accord avec le FMI. "Ce lundi soir, je me rendrai avec mon équipe dans la ville de Washington pour continuer à progresser dans le matériel technique de ce qui avait déjà été annoncé par le président", a-t-il déclaré. Le ministre des finances conclut : « ils auront plus de détails bientôt et nous espérons aussi dans cette compréhension technique avancer rapidement afin de divulguer également les détails des versements de fonds le plus rapidement possible ».

Ces déclarations annoncent un nouveau jour d’orage vendredi. M. Dujovne a réaffirmé ce que Macri déclarait mercredi : l’accord actuel avec le FMI a échoué, et le gouvernement se dirige vers un nouvel accord, une version révisée du précédent, plus généreux en termes de versements, mais qui pour l’heure tient seulement sur l’engagement de la directrice de l’organisation, Christine Lagarde.

Le seul indice que Dujovne a donné est celui que presque tous les analystes ont pris pour acquis, à savoir que la reformulation de l’accord aboutira à un objectif fiscal encore plus agressif. C’est que, selon le ministre, ils sont "convaincus que la manière avec laquelle ils vont restaurer la confiance est d’être moins exposés à la volatilité du marché", ce qui "s’obtient en réduisant le montant des fonds que nous devons financer".

Le déficit zéro, prévu il y a deux mois pour 2020, sera un objectif pour l’année prochaine. Comment atteindre un tel objectif ? C’est une inconnue que Dujovne n’a pas révélé. Mais nous pouvons anticiper que cela inclura de nouvelles mesures contre les travailleurs de l’État, un frein total aux travaux publics (il était déjà prévu de réduire de moitié en 2019 ce qui a été dépensé cette année, ce qui représente 50% des dépenses en 2017) et de nouvelles tentatives pour modifier les principaux postes de dépenses : pensions et allocations.

Les taxes seront-elles à nouveau augmentées afin d’atténuer une partie des réductions de dépenses nécessaires que cet objectif plus exigeant exige ? Jusqu’à présent, le gouvernement a accepté peu de choses sur ce terrain. Ce ne sera certainement pas dans le domaine du formidable transfert de richesse que le gouvernement a permis ces dernières années en réduisant les impôts des plus riches.

Parmi ceux auxquels le gouvernement ne veut pas s’intéresser, citons l’agroélectricité, qui, avec le dollar actuel, se prépare à de formidables profits lors de la prochaine campagne. L’administration de Macri persiste, même en pleine crise, à maintenir un schéma clair de gagnants et de perdants. Nous savons de quel côté reste la majorité constituée par les travailleurs. Le coût de la vie évolue au rythme du dollar et les salaires voient la course au loin. Selon Daniel Schteingart, les salaires en dollars l’année dernière "ont augmenté de 24%, contre une inflation de 31% et un dollar qui a grimpé de 135%". Liquéfiés au profit des hommes d’affaires. Il n’est pas surprenant qu’hier, contrairement au panorama général, les rôles de certaines entreprises exportatrices et du secteur de l’énergie aient poussé la bourse de Buenos Aires à une hausse de 5%.

Victimes de vidange

L’annonce de Macri mercredi était comme jeter de l’huile sur le feu, parce qu’elle montrait que le gouvernement aura à peine les dollars, fournis par le FMI, pour faire face à ses engagements en 2019. En d’autres termes, il n’a aucune garantie pour la dette souveraine au-delà de cette date, et il ne peut pas non plus garantir les dollars nécessaires à l’économie dans son ensemble.

Le déficit du compte courant (les dollars que l’économie perd par rapport à celui généré par l’économie nationale), a, selon les dernières données disponibles (premier trimestre), atteint un montant annuel de 34 milliards de dollars. Avec la super dévaluation en cours, l’écart actuel sera réduit par l’effet de la récession dans laquelle l’économie est déjà entrée (et qui, avec des taux d’intérêt à 60% et une inflation à 40% ou plus, s’aggrave quotidiennement) et de la hausse des biens et services importés, ainsi que du tourisme à l’étranger. Mais d’autres chapitres du déficit extérieur, tels que les sorties de capitaux, ne font que s’accélérer : au cours des 7 premiers mois de l’année, 20 milliards de dollars sont sortis du pays.

Les emprunts publics en devises, qui dépassent les 100 milliards de dollars, visaient non seulement à financer le trésor (en grande partie pour rembourser la dette), mais aussi à obtenir les dollars que l’économie exige. Cela a également servi à la bicyclette financière qu’a monté l’ex-chef de la BCRA, Federico Sturzenegger, et qui s’est écrasée avec le change.

La gangrène des dollars du déficit extérieur, qui est constitutive du développement de l’économie nationale, n’est pas garantie par l’avance promise des versements du FMI. Avant la fermeture pour le gouvernement (et aussi pour les entreprises) des marchés du crédit, on ne sait pas d’où ils peuvent provenir. Ce manque à gagner stimule la fuite des spéculateurs des actifs argentins. C’est la partie de la crise qui est omise par tous ceux qui expliquent les problèmes du pays par le déficit budgétaire.

A cela s’ajoute le poids de la dette qui, au fil de la dévaluation, croît en fonction de la taille de l’économie (l’économie en dollars chute alors que la majeure partie de la dette est libellée en dollars) : en fin d’année, la dette pourrait dépasser les 70% du PIB.

Winter is coming

Les dernières données connues pour le mois de juin ont montré une économie en déclin (-6,7%). À cette époque, le dollar n’avait parcouru qu’une petite partie de l’augmentation enregistrée jusqu’à présent cette année. Le taux directeur était toujours proche de 30%, et les prévisions d’inflation voyaient encore une hausse des prix d’un peu plus de 30% tout au long de l’année.

Aujourd’hui, avec un dollar autour de 40 pesos, le taux directeur à 60% et l’inflation projetée pour l’année à 40%, les perspectives sont beaucoup plus inquiétantes.

La projection du gouvernement d’un effondrement de 1% devient de plus en plus improbable. Mais tout cela ne peut être vu aujourd’hui que dans un avenir incertain : quand passe la course. Dans l’immédiat, avec un dollar flottant, toute l’économie est paralysée. Les prix évoluent constamment, les chaînes d’approvisionnement sont en attente. Les concessionnaires automobiles ont cessé de livrer les véhicules jusqu’à nouvel ordre.

Dujovne proclame qu ’"il n’y a pas d’autre moyen" que de suivre le chemin tracé par Cambiemos (la coalition politique qui a mené Macri au pouvoir). Mais c’est faux par nature. La crise que traverse l’Argentine est le résultat de la dette en chaîne à laquelle le gouvernement est confronté et des déséquilibres qui affligent le capitalisme argentin, résultant des conditions de dépendance qui caractérisent structurellement l’économie argentine. Macri a aggravé leur exposition en éliminant toute restriction à l’entrée et à la sortie du capital, mais cette dette et ces déséquilibres ont également pesé sur l’économie nationale au cours des années Kirchner, bien qu’elles aient allègrement affirmé le contraire.

Il y a "d’autres moyens", mais cela nécessite d’attaquer à la racine ces conditions d’une Argentine dépendante.

Traduction : Flo Balletti

 
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