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La Izquierda Diario
4 de septembre de 2018 Twitter Faceboock

Lula et sa possible éviction électorale
Brésil. Une souveraineté populaire restreinte, une démocratie bourgeoise dégradée
Christian Castillo
Emilio Albamonte

Nous publions ci-dessous une version abrégée de l’article d’Emilio Albamonte et de Christian Castillo, dirigeants du Parti des Travailleurs Socialistes d’Argentine à propos des élections brésiliennes, la probable proscription de la candidature de Lula, la limitation de la souveraineté populaire et la dégradation des démocraties bourgeoises.

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Emilio Albamonte et Christian Castillo

Les critiques, par la gauche, que nous avons faite aux gouvernements du Parti des Travailleurs (PT) au Brésil sont connues. Nous avons dénoncé non seulement son programme de conciliation de classes (qui n’a pas modifié l’essentiel de l’architecture néolibérale mise en place par Fernando Henrique Cardoso dans les années 1990) et son système d’alliances (avec des partis profondément réactionnaire et corrompus). C’est d’ailleurs Dilma Rousseff elle-même qui a entamé une politique d’austérité qui lui a coûté une importante perte de sa base sociale et a préparé le terrain pour que la droite relève la tête et mène le coup d’Etat institutionnel, auquel nous nous sommes opposés énergiquement.

Après le coup d’Etat institutionnel, le PT a joué un rôle de contention de la lutte dans les rues pour faire face au gouvernement putschiste de Michel Temer, en pariant sur une éventuelle négociation pour revenir au pouvoir à travers les élections en 2018. La réponse de la droite et du « parti judiciaire » a été l’emprisonnement de Lula et l’intention ouverte d’empêcher qu’il se présente comme candidat à l’élection présidentielle.

Sans donner aucun soutien politique à Lula et au PT, nous dénonçons la tentative d’éviction de sa candidature présidentielle et le fait que ce soient des juges non élus par le peuple qui violent le droit de la population à voter pour qui elle voudrait.

Dans plusieurs pays d’Amérique latine, on assiste à des tentatives pour limiter fortement le droit à la souveraineté populaire à travers le recours à l’interdiction ou la tentative d’interdiction de certaines candidatures. Le cas le plus emblématique est celui de Lula au Brésil, nommé candidat présidentiel pour le PT et qui selon un dernier sondage se trouve à la tête des intentions de vote avec 37% de soutien (alors que l’ensemble des autres candidats ensemble récoltent 39% de soutiens).

Aujourd’hui le plus probable c’est que la justice électorale brésilienne annule sa candidature à travers de la loi dite « Ficha limpa » [« casier vierge] que le PT et Lula lui-même ont voté et soutenu en 2010. Selon cette loi, si une personne est condamnée en deuxième instance, comme c’est le cas de l’ex président brésilien, elle ne peut pas être candidate pour des élections.

Nous devons signaler que dans ce cas nous sommes face à un procès rempli d’irrégularités qui fait partie du coup d’Etat institutionnel qui a renversé Dilma Rousseff, non pour un cas de corruption mais pour avoir, supposément, modifier la destination de certaines recettes budgétaires, une pratique totalement courante du pouvoir exécutif au Brésil et ailleurs.

Lula, de son côté, est accusé d’avoir reçu en tant que « cadeau » un appartement à Guarujá [ville côtière de l’Etat de São Paulo]. Bien que cela n’ait jamais été prouvé, Lula a été tout de même condamné et emprisonné. Pour cette raison, maintenant que la campagne a commencé, on refuse le droit au candidat du PT à prendre part aux débats présidentiels télévisés qui ont lieu ou encore à s’adresser à ses partisans.

Rappelons que l’emprisonnement de Lula a été rendu effectif à travers un vote serré au Tribunal Suprême avec seulement une voix de différence, sur fond de menaces des chefs militaires de prendre les rues au cas où l’ex-dirigeant métallurgiste était libéré.

Vendredi dernier un comité technique de 17 juristes de l’ONU a estimé que Lula devait avoir le droit d’assister aux débats télévisés en vidéoconférence et de s’adresser à ses soutiens. Bien que la loi brésilienne indique clairement le caractère contraignant pour la justice locale de telles résolutions, on a refusé d’appliquer cette résolution démocratique élémentaire.

Sur cette question sur les pages du journal Folha de São Paulo, le sociologue et géographe Demétrio Magnoli, estime que le cas de Lula démontre que la loi « Ficha limpa » doit être abrogée car elle met les juges et leurs décisions au-dessus de la souveraineté populaire. Il rappelle que dans le cas de l’Irlande du Nord, Boby Sanders avait été élu député en 1981 alors qu’il était en prison. Même si ce dernier, n’a pas pu assumer sa fonction car décédé des suites d’une grève de la faim par laquelle il demandait à ce que son statut de prisonnier politique soit reconnu. Après ce fait, la justice britannique a imposé son véto à la possibilité d’être candidat à toute personne condamnée à plus d’un an de prison.

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec Magnoli lorsqu’il affirme : une fois votée [cette interdiction] « au milieu de la tragédie du conflit irlandais, la loi a représenté un recul de la démocratie britannique : une intrusion du pouvoir judiciaire sur l’arène de la représentation populaire ». Magnoli pointe de manière tout aussi correcte que « la loi “Ficha limpa” transfère le pouvoir du peuple vers les juges » et que sa base philosophique est « le concept que l’électorat a besoin de la tutelle d’un corps social de sachants ». A ce sujet, il se demande ironiquement si le Parlement élu au Brésil en 2014, avec la loi « Ficha limpa » en vigueur, probablement le plus corrompu, élitiste et rétrograde de l’histoire après la fin de la dictature, était meilleur que celui élu en 2010.

Ce raisonnement a le mérite de pointer la contradiction entre l’exercice de la souveraineté populaire et la législation qui limite ce droit et qui fait en sorte que ce soient les juges qui décident qui peut être candidat ou non, et de défendre l’autonomie de la décision populaire en la matière. Sur ce plan il se situe sur une position infiniment plus démocratique que ceux qui depuis la gauche anticapitaliste ou la gauche radicale, comme l’organisation trotskyste PSTU et le Courant Socialiste des Travailleurs (courant interne du PSOL) au Brésil, ou Izquierda Socialista en Argentine, défendent le mot d’ordre « Lula et tous les corrompus en prison » et refusent de défendre son droit élémentaire de se présenter aux élections. Ils légitiment ainsi le « bonapartisme judiciaire » putschiste et anti-démocratique du juge Sergio Moro et le « parti judiciaire ».

La direction majoritaire du PSOL de son côté défend le droit à la candidature de Lula de façon très partielle, comme on a pu le voir avec l’absence totale de toute campagne systématique et le manque d’importance que le sujet a eu dans les interventions de son candidat Guilherme Boulos lors des débats présidentiels.

Cependant, la défense du principe de souveraineté populaire que fait Magnoli est complètement inconséquente car il estime que le PT n’a plus le droit de protester car il a voté la loi qui est aujourd’hui utilisée contre Lula, alors que le procès qui l’a conduit à la prison et qui très probablement l’empêche d’être candidat a été complètement irrégulier. En outre, il est en deçà de la résolution de l’ONU sur le respect des droits de Lula en tant que candidat à la présidentielle.

En tant que socialistes révolutionnaires, nous considérons que nous devons défendre inconditionnellement la primauté du droit de la souveraineté populaire (ainsi que l’abrogation de toute loi qui entrave ce droit), en soutenant inconditionnellement le droit de Lula à être candidat.

Dans les démocraties bourgeoises le principe de la « division des pouvoirs » joue un rôle visant avant tout à limiter la portée de la souveraineté populaire, en prétendant créer un équilibre entre ces pouvoirs. Ainsi, ceux qui exercent le plus directement le mandat populaire, les députés, sont restreints à l’activité législative, ne sont pas révocables et, grâce à des revenus similaires à ceux d’un PDG et d’autres privilèges, ils deviennent une véritable « caste » de politiciens professionnels.

Dans les systèmes constitutionnels tels que le système nord-américain, l’argentin ou le brésilien [et le français], le pouvoir exécutif a des prérogatives qui ressemblent à celles d’un monarque et les ministres, qui sont ceux qui prennent des décisions au jour le jour, ne sont pas élus par le suffrage populaire mais désignés par le président.

Le pouvoir judiciaire de son côté est conçu comme un pouvoir « contre-majoritaire », composé d’une caste de privilégiés, avec des tribunaux supérieurs désignés lors de négociations entre les forces politiques dominantes et sans aucun vote populaire pour désigner juges et procureurs.

Si originalement cet équilibre de pouvoirs se basait sur l’opposition à la tyrannie de l’absolutisme monarchique, ce qui est certain c’est que son rôle historique a été de limiter le plus possible l’incidence de la souveraineté populaires dans les démocraties bourgeoises, basées justement sur la défense de la propriété capitaliste, qui ne concerne qu’une minorité qui tire ses profits et richesses de l’appropriation du travail non payé de la classe ouvrière, la plus-value.

En même temps, tout le système légal se base sur des constitutions qui datent, sur la plupart de leurs points essentiels, de deux ou trois siècles (de plusieurs décennies dans les meilleurs des cas) et qui jouent un rôle de sacralisation du « pouvoir constitué » et limitent tout « pouvoir constituant » des travailleurs.

Pour la pensée conservatrice, les textes constitutionnels sont considérés comme une sorte de vérité éternelle qui doivent régir la vie des sociétés même quand les circonstances historiques (et les relations de pouvoir auxquelles elles répondaient) ont changé profondément par rapport à leur date d’écriture.

Pour le droit inconditionnel de Lula à se présenter aux élections et le rôle du mot d’ordre d’Assemblée Constituante Libre et Souveraine

Comme nous disions, nous sommes pour le droit inconditionnel de la population à choisir son candidat. Autrement dit, nous défendons la primauté du principe de la souveraineté populaire contre toutes les limites qui lui impose le pouvoir constitué. Comme nous le pointions, enfermé dans un système de pouvoirs qui se contrôlent les uns les autres pour éviter que la souveraineté populaire soit exercée, et pour mieux servir les monopoles et le grand capital, le pouvoir d’élire les dépositaires du pouvoir est l’un des maigres restes du droit à exprimer la volonté populaire dans une république « démocratique bourgeoise ».

C’est le comble de la dictature du capital que ce soit une oligarchie de juges, mise en place par un pouvoir exécutif dans un passé distant (car ils survivent aux différents gouvernements jusqu’à la retraite) et ratifiée par un Sénat tout aussi oligarchique, qui décide à qui l’on octroie les droits civiques et politiques. Une vraie tyrannie liberticide.

Lénine affirmait que la démocratie bourgeoise était la meilleure enveloppe pour le capital. Cependant, dans les conjonctures de crise comme celle qui traverse le Brésil, s’ouvre la possibilité de démasquer cette « enveloppe ».

En partant de la défense inconditionnelle du droit de Lula à être candidat, les socialistes révolutionnaires défendent les maigres restes de la souveraineté populaire au sein des républiques bourgeoises. Comme c’est de notoriété publique, nous luttons pour un gouvernement de travailleurs qui rompe avec le capitalisme « en expropriant les expropriateurs », la seule façon de faire que les capitalistes paient vraiment pour la crise. Mais en sachant que nous sommes encore minoritaires et que la majorité des travailleurs fait encore confiance au suffrage universel, nous proposons quelque chose qui existe encore dans des constitutions comme la brésilienne : le droit de convoquer une assemblée constituante, pour débattre et voter un programme d’urgence pour affronter la crise actuelle.

Ce programme inclut le non paiement de la dette publique et la nationalisation des banques, du commerce extérieur et des ressources stratégiques de l’économie pour mettre fin à la chute des salaires et l’augmentation de la pauvreté et le chômage ; l’expropriation des principaux propriétaires terriens ; l’abolition du Sénat aristocratique ; la fin de la caste judiciaire corrompue et imposer l’élection populaire des juges à tous les niveaux ; faire que tout fonctionnaire politique gagne comme un ouvrier qualifié et qu’il soit révocable ; pour le droit à l’avortement légal, sur et gratuit et l’ensemble des revendications du mouvement de femmes ; entre autres points fondamentaux.

Si la classe ouvrière ne s’organise pas et ne lutte pas pour imposer une Assemblée Constituante qui prenne ces mesures d’urgence, nous continuerons à voir quotidiennement le spectacle obscène de la corruption des patrons et de la caste politicienne, en parallèle à des coupes budgétaires dans les services publics, à des licenciements et à l’appauvrissement généralisé des travailleurs et des classes populaires.

Nous voyons cette prise de position comme une manière d’essayer de politiser et mobiliser les masses pour qu’elles prennent conscience de leur pouvoir de tout changer. Bien évidemment, même la plus démocratique des assemblées constituantes est impuissante face aux « pouvoirs de fait » (économique et militaire). En ce sens, si autour de ces mots d’ordre naît un mouvement de masses, se posera la question de former des conseils de travailleurs et des milices ouvrières pour défendre les décisions que l’assemblée constituante prenne. Autrement dit, ce mot d’ordre démocratique, mené jusqu’au bout, peut jouer un rôle transitionnel dans la création d’institutions soviétiques qui conduisent au pouvoir ouvrier.

Dans le sens de ce que disait Trotsky en 1934 dans « Programme d’action pour la France », plus les masses sont conscientes de leur « pouvoir constituant », plus s’ouvre le chemin pour la démocratie ouvrière. Cette institution, les soviets, en tant qu’organes de pouvoir après la liquidation de la propriété privée des moyens de production et d’échange, est beaucoup plus démocratiques que la plus démocratique des démocraties bourgeoises. Celles-ci se basent sur un système de représentation dans lequel on atomise les travailleurs (le « prolétariat pulvérisé » disait Trotsky dans la « Révolution Trahie »), qui va voter un à un, en tant que citoyen, pour élire qui l’opprimera durant les prochaines années. La démocratie soviétique, au contraire, se base sur la délibération collective et sur l’élection de députés révocables (à tout moment) dans les lieux de travail.

C’est à partir de ces fondements théoriques et avec cette perspective que nous défendons le droit du peuple brésilien à élire qui il voudra (et en ce moment, d’après tous les sondages, il s’agit de Lula). Ceux qui depuis l’extrême gauche refusent de défendre ce principe, non seulement n’agissent pas comme de vrais socialistes révolutionnaires mais ils ne sont même pas des démocrates conséquents.

 
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