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La Izquierda Diario
24 de septembre de 2018 Twitter Faceboock

Rien ne va plus et tout se lézarde
La fin abrupte de l’illusion macronienne
Juan Chingo

Après une première année de présidence au cours de laquelle les contre-réformes ont été appliquées avec un certain degré de consensus, les affaires de cet été et la rentrée marquent un véritable saut qualitatif dans l’épuisement de la Macronie. Pour le mouvement de masse, cette situation ouvre la possibilité d’une nouvelle période de contre-offensive.

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Une large majorité de l’opinion qui tourne le dos à Macron

Seize mois à peine après sa victoire certains analystes estiment qu’en termes de capacité d’action le quinquennat de Macron est désormais plié. La cote de popularité du président est encore plus basse que celle de Hollande à la même période. C’est à peine si 19% de l’opinion tire un bilan positif de l’action gouvernementale. Cela vaut également pour le noyau dur de l’électorat de Macron, à savoir celles et ceux qui avaient voté pour lui dès le premier tour en 2017. Ils ne sont que 46% à juger son action positive, soit une chute de 26 points par rapport à janvier 2018.

Notre petit Bonaparte avait pourtant consciencieusement cherché à se construire une image jupitérienne dès le début de son mandat pour se distinguer de la crise de gouvernance qui avait caractérisé la présidence Hollande. Celle-ci avait empêché, au bout du compte, que Hollande lui-même se présente à sa propre succession et avait conduit à la quasi-destruction du PS. Mais Jupiter, aujourd’hui, n’est plus.

Depuis la fin de l’été, pas un jour sans un faux-pas ou une gaffe qui assombrissent l’image du président et rendent l’action gouvernementale plus compliquée. L’affaire Benalla et les auditions devant la Commission d’enquête sénatoriale continuent à inquiéter l’Elysée. En témoignent les attaques des membres du gouvernement, à commencer par la ministre de la Justice, qui dénoncent les sénateurs et les accusent de chercher à vouloir destituer Macron.

La Macronie, elle, est en pleine déliquescence. La trajectoire toute tracée de La République en Marche ressemble, de plus en plus, à une débandade. Là encore, il suffit de penser à la démission actée ou annoncée de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, tous deux ministres d’Etat. Hulot, caution de gauche de la Macronie, incarnait la soi-disant « ouverture en direction de la société civile ». Collomb, lui, était l’un de ces éléphants du PS qui a été le premier à soutenir Macron. Dans les deux cas, les démissions, actées ou à venir, sont le symptôme de la crise de la fable macroniste de la « nouvelle politique » qui s’érige contre le « vieux monde », de droite comme de gauche, qui a pu gouverner la France au cours des dernières décennies. Ce discours macronien, qui prend l’eau, apparaît de plus en plus comme une véritable escroquerie.

Au Parlement, dans le groupe LREM, on parle du syndrome du Titanic et une députée est même passée à l’UDI. Richard Ferrand, l’homme de confiance de Macron, n’a réussi à se hisser au perchoir qu’au prix d’une piteuse élection. Dans ce qui apparaissait jusqu’à hier comme une solide majorité présidentielle, c’est un vent de fronde qui commence à souffler. Et alors que les élections européennes de 2019 et municipales de 2020 approchent à grands pas, l’appareil de LREM apparaît de plus en plus pour ce qu’il est, à savoir une coquille vide.

Tous ces éléments mis bout-à-bout montrent que tout va se compliquer, à l’avenir, pour Macron. Même Cécile Cornudet, dans le très patronal Les Echos, souligne la rupture complète avec la phase précédente.

Derrière les difficultés de la Macronie, il y a une forte réticence à la normalisation de la précarité au travail

Qui plus est, les promesses de Macron pour la seconde année de son quinquennat peinent à se concrétiser. La croissance sera plus lente que prévu, le chômage ne descend pas en-dessous du seuil, déjà très haut, de 9% de la population active, et ce en dépit de l’amélioration du climat économique au niveau européen et français au cours des derniers mois de la présidence Hollande. Au niveau macroéconomique, la question du rapport entre la dette et le PIB, la question des déficits commerciaux et fiscaux ne s’améliorent pas non plus. Elles s’aggravent même, plutôt, et ce alors que le cycle économique jouera dorénavant de plus en plus contre Macron, et sur le plan intérieur, et sur le terrain international (en raison des éléments de guerre commerciale en cours, de l’augmentation du cours du brut, des menaces de récession mondiale et de la hausse des taux d’intérêt, etc.). La hausse de l’inflation commence à sérieusement rogner le pouvoir d’achat des salariés actifs mais, également, des retraités. Ce secteur, qui avait largement voté Macron, en 2017, prend clairement ses distances à la suite de ses dernières décisions sur l’augmentation de la CSG et du gel des retraites.

Comme nous le soulignions fin juillet, « dans un monde où le protectionnisme et le nationalisme réactionnaire sont de retour, le néolibéralisme globaliste de Macron de même que son européisme optimiste ne sonnent pas seulement creux. Ils ont de moins en moins de prise avec la réalité ou sont absolument hors-sol au niveau de la politique nationale et internationale ».

Dans ce cadre, la grande majorité de la population ne comprend pas Macron et encore moins sa logique de rouleau-compresseur de contre-réformes. Par conséquent, la logique selon laquelle il faudrait faire davantage de sacrifices pour lutter sur le front de l’emploi ne passe pas. C’est ce qui augmente le « sentiment d’impasse » du locataire de l’Elysée, pour reprendre l’expression de Françoise Fressoz, du Monde. « C’est comme si la représentation mentale du chef de l’Etat, poursuit Fressoz, celle d’un marché du travail presque parfait qu’il ambitionne de construire, se heurtait à une réalité -infiniment plus complexe et humaine : après des décennies de chômage de masse, on ne réhabilite pas d’un coup de baguette magique la valeur travail ».

Derrière les difficultés auxquelles se heurte Macron, il y a une très forte réticence à l’idée que puisse se normaliser la précarité au travail. C’est ce dont témoigne le scandale déclenché par la dernière provocation de Macron, à savoir son « conseil » au jeune horticulteur lors des Journées du patrimoine. La réalité est qu’en dépit de la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs, entre autres l’hôtellerie, la restauration ou le BTP, les emplois qui plafonnent à peine au-dessus du SMIC ne « séduisent » plus. En France, le marché du travail tel qu’il existe dans le monde anglo-saxon n’a pas été normalisé. C’est ce qui explique les taux de chômage relativement bas en Angleterre, plus contrastés en Allemagne entre l’Ouest et l’Est, mais qui sont liés à la transformation néolibérale du marché du travail.

C’est cette réalité, de même que l’usure précoce du macronisme, qui expliquent, selon Cornudet, que « les petites phrases [du président] contre l’immobilisme français ne sont plus perçues comme elles l’étaient jusqu’ici. Elles alimentent le sentiment d’un président loin de la vraie vie des gens ». Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP enfonce le clou en soulignant combien « au début du mandat, cette morgue sociale, qui n’est pas nouvelle, était acceptée par les Français car il y avait une promesse d’amélioration de leur situation. Mais mise en regard de l’absence de résultats, elle donne désormais le sentiment d’un président déconnecté des difficultés de la vie ».

Un saut dans la crise organique : l’ouverture d’une situation transitoire

Contre le courant, nous avons défini, dès le début du quinquennat, le macronisme comme un bonapartisme faible. Nous soulignions combien son image de toute-puissance ne reposait pas tant sur sa force réelle qu’elle ne découlait, paradoxalement, de la crise organique du capitalisme français qui, dans son besoin de s’adapter complètement à la mondialisation néo-libérale, avait désarticulé le vieux système politique et laissé un vide momentané que le macronisme est venu combler. La situation actuelle confirme plus que jamais que le macronisme, dernière version du néo-libéralisme tardif à la française, est un « un néolibéralisme sénile, non hégémonique, qui tend à approfondir la polarisation sociale et politique. C’est ce qui pourrait créer éventuellement les conditions propices au développement de processus aigus de luttes de classe et de radicalisation politique”, comme nous le disions lors de la XI° Conférence de la Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale, il y a quelques mois, en mars 2018.

Maintenant que son bonapartisme a dévoilé ouvertement ses faiblesses, voire ses éléments d’amateurisme, comme en témoigne l’affaire Benalla, et alors que sa popularité est au plus bas, le chef de l’Etat doit affronter une autre question : la fragilité de sa base sociale de soutien initiale. Macron n’apparaît plus comme le président invincible. C’est ce qui ouvre une nouvelle situation, distincte de la situation non-révolutionnaire qui a caractérisé la première partie de son mandat au cours de laquelle il a pu bénéficier d’une certaine tolérance sociale, et ce en dépit de batailles importantes, à commencer par celle du rail, au printemps, au cours de laquelle la détermination des cheminots a été dilapidée par la stratégie des directions syndicales.

Dans une situation transitoire, ce sont des brèches « par en haut » qui s’ouvrent et qui pourraient permettre que la colère du mouvement de masse s’exprime avec force et précipite une situation prérévolutionnaire. Laurent Joffrin, dans Libération, rend compte à sa manière de cette situation lorsqu’il souligne combien « la Ve est une assurance-vie : il reste quatre ans pour redresser la barre. Rien n’est encore joué. Les réformes peuvent encore agir, la présidence hautaine se réformer, l’événement, prince de la politique, jouer soudain en faveur du Président. Mais le paysage a changé du tout au tout. On était en marche, on est à la rame. On a comparé les débuts de Macron à ceux de Bonaparte. Après un an de règne, on est désormais plus proche de Waterloo que d’Austerlitz ». Sans partager l’attachement de Laurent Joffrin pour « la Ve », il est légitime de penser que la marche macronienne pourrait se finir comme les Cent-Jours de Napoléon.

La crise du macronisme rouvre à un niveau supérieur la crise organique du capitalisme français qu’Antonio Gramsci définit, dans l’un de ses aspects, comme la « séparation entre dirigeants et dirigés ». Macron semblait pouvoir résoudre cette brèche, à un moment donné. La période actuelle se caractérise, plus encore qu’avant, par un moment de scission, plus dangereux encore pour la bourgeoisie. Comme le constate, avec gravité, Françoise Fressoz, toujours dans Le Monde, « le résultat c’est qu’entre le haut et le bas la circulation est bloquée avec tous les risques de thrombose que cela comporte et sans que l’on voie se dessiner de véritables remèdes. Ce que vit Macron, un peu plus d’un an après le début de son mandat, est conforme à ce qu’ont connu ses prédécesseurs avec d’autres méthodes : Sarkozy et ses coups de menton, Hollande et ses sommets sociaux, pour arriver à cette sorte d’incompréhension entre un président de la République qui veut faire bouger le pays et le pays qui, de fait, bouge depuis des années, mais dans une défiance envers le politique qui ne désarme pas. Attention, danger ! »

C’est le moment de repasser à l’offensive !

Macron est en chute libre. Néanmoins, pour reprendre Lénine, à moins qu’on ne le fasse réellement tomber, il ne tombera pas tout seul, pas même en période de crise. Les cheminots s’étaient chargés de ridiculiser Jupiter, dans leurs slogans du printemps, en l’appelant par son petit-nom, « Manu ». Néanmoins, et malgré la faiblesse croissante de Macron, les directions syndicales poursuivent leur stratégie de dialogue dans le cadre de ce qui a été fixé par le gouvernement. Mélenchon, lui, se contente de vouloir lui donner une « raclée démocratique » mais pas avant les européennes du printemps 2019. Qui plus est, dans le cadre de l’affaire Benalla, révélatrice de la pourriture de la monarchie présidentielle française, les réformistes ont soit gardé un silence étonnant, dans le cas des directions syndicales, soit défendu une espèce de « front républicain », au parlement et au Sénat, allant de la France Insoumise à la droite la plus traditionnelle en passant par Dupont-Aignan et même les lepénistes. C’est cette lâcheté du réformisme, autant syndical que politique, qui permet à Macron de continuer à dire qu’il va avancer, sur le dossier, par exemple, des retraites, et ce même si, compte-tenu du climat politique et sociale actuel, toute réforme d’ampleur peut-être éminemment dangereuse et se révéler hautement inflammable.

Il n’y a donc plus de temps à perdre ! La ligne du mouvement ouvrier pour la période qui s’ouvre doit être celle d’inciter les masses à prendre l’initiative. C’est pour cela que la rupture immédiate avec le dialogue social de la part des directions syndicales est aussi urgente que nécessaire. La régression sociale ne saurait se négocier. C’est ce que les travailleurs et les travailleuses devraient défendre, tout en exigeant la préparation d’un véritable plan de lutte pour battre en brèche Macron, qui ne soit pas un assemblage de « journées saute-mouton » ni de « grèves perlées » mais qui soit couronné par la perspective de la grève générale.

C’est le moment de repasser à l’offensive. Pour cela, il faut le faire tous et toutes ensemble, et non avec les cheminots d’un côté, les jeunes de l’autre, les ouvriers de chez Ford tout seuls, la fonction publique plus tard, etc. C’est bien le moment d’imposer le « tous ensemble ! » contre Macron, une bonne fois pour toutes. Pour cela, il faudrait revendiquer, notamment, l’abrogation de l’ensemble des contre-réformes Hollande et Macron, à commencer par les réformes du marché du travail et la réforme ferroviaire, exiger une augmentation d’urgence et un salaire pour toutes et tous à la hauteur des besoins moyens d’une famille ; en finir avec les millions de personnes sous le seuil de pauvreté ou en grande précarité alors que les patrons du CAC 40 accumulent des fortunes ; lutter aux côtés des travailleurs de Ford, contre la fermeture du site de Blanquefort, pour exiger la nationalisation sous contrôle des travailleurs de toute usine ou entreprise qui licencierait ou fermerait ; pour en finir avec le travail précaire, il faut des CDI pour toutes et tous, ainsi que l’égalité salariale entre hommes et femmes. Et surtout il faudrait en finir avec les journées de travail interminables et exténuantes, et avec la souffrance au travail. Et en même temps, résoudre le fléau du chômage de masse grâce au partage des heures de travail à égalité de salaire, à savoir travailler moins pour travailler toutes et tous. Il faut l’ouverture des frontières pour tous les migrants et en finir avec les interventions impérialistes françaises en Afrique et au Proche-Orient. Il faut également en finir avec Parcoursup et la sélection à l’Université ; et s’opposer aux violences policières dans les quartiers. Une série de mesures comme celles-ci devraient nourrir un programme articulé de revendications de la classe ouvrière pour conduire l’ensemble des secteurs populaires dans la perspective d’un mouvement de lutte contre Macron et son monde, à savoir ce monde gouverné, à tour de rôle, par les mêmes parasites capitalistes, et pour aller dans le sens d’une autre société, organisée et planifiée de façon démocratique par les travailleuses et les travailleurs.

Crédits photos : AFP/Philippe LOPEZ

 
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