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La Izquierda Diario
17 de octobre de 2018 Twitter Faceboock

Education nationale
La cour des comptes propose d’enterrer l’éducation prioritaire
Elise Duvel

La cour des comptes vient de publier 200 pages d’un rapport sur l’éducation prioritaire. Verdict attendu : elle ne serait pas efficace (à elle seule) pour réduire les inégalités. Des solutions de complément pour aider à les réduire ? Non, la Cour des Comptes propose tout simplement de les aggraver en supprimant l’éducation prioritaire.

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Le rapport de la cour des comptes qui soutient les politiques éducatives du gouvernement sort à point nommé pour le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui devrait annoncer une nouvelle réforme de l’éducation prioritaire début novembre. Ce rapport qui explique n’avoir aucun lien avec le calendrier du gouvernement va pourtant dans le sens des annonces de Blanquer sur l’éducation : de leur point de vue (trop cher) l’éducation prioritaire serait un échec.

Le rapport précise qu’« un consensus se dégage en faveur du maintien d’une politique d’éducation prioritaire ambitieuse, visant à accorder un traitement différencié aux écoles et établissements qui concentrent les difficultés ». Selon le rapport, il s’agit de revoir la politique de l’éducation prioritaire en mettant fin au label « REP » ou « REP+ » et en changeant complètement les règles. En d’autres termes, mettre en place de nouveaux modes de distribution des moyens constants beaucoup plus concentrés en « déshabillant Pierre pour habiller Paul ». Elle propose également d’aller vers l’école du socle et des compétences, aller encore plus loin vers l’autonomie des établissements où les chefs d’établissements pourraient user des moyens alloués avec plus d’autonomie et recruter des enseignants localement.

Un constat accablant : les politiques d’éducation prioritaire ne permettent pas la réussite des élèves

La faute à l’éducation prioritaire ? La politique d’éducation prioritaire est fondée en 1981. Cette politique avait pour but d’allouer plus d’argent dans les établissements relevant de l’éducation prioritaire, ainsi que de diminuer le nombre d’élèves par classe. Remaniée à de multiples reprises au gré des changements ministériels, l’éducation prioritaire n’aura dans les faits jamais vraiment eu les ressources nécessaires pour être autre chose qu’un stigmate de plus.

Aujourd’hui, 1.7 million d’écoliers et collégiens sont scolarisés en éducation prioritaire qui coûterait à l’Etat 1.4 milliard en 2015-16 selon les estimations de la cour des comptes. Dans les faits, elle ne représentera à son maximum qu’une allocation de 2 % de moyens supplémentaires à destination de 20 % des élèves. Mais la cour présente cela comme un surcoût pour le ministère alors que les objectifs de réussite des élèves en EP ne sont pas atteints.

La cour des comptes déplore que les inégalités scolaires persistent dans les résultats des élèves. Selon l’étude, à l’entrée en 6e, un tiers des élèves en REP + maîtrisent les compétences scientifiques et la langue française contre les deux-tiers hors réseau éducation prioritaire. De même, l’écart de résultat au diplôme national du brevet entre un enfant scolarisé dans un collège relevant du réseau d’éducation prioritaire et un enfant d’un collège favorisé reste situé entre 20 et 30 % en français et en mathématiques.

La réponse de la cour des comptes ? Démanteler l’éducation prioritaire Après des pages de chiffres et de constats sur l’échec des politiques de l’éducation prioritaire, les raisons et solutions sont toutes trouvées. L’éducation prioritaire souffrirait toujours de cette mauvaise image et un établissement classé éducation prioritaire ferait fuir les classes moyennes empêchant la mixité sociale, clé de la réussite scolaire. Mais de quelle mixité sociale parle t-on quand la ségrégation socio-spatiale frappe toujours les quartiers populaires et que la pauvreté s’accroit dans ces quartiers ?

Le rapport de la cour des comptes le dit lui-même : « le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté y a atteint 42,6 % en 2013 alors qu’il y était de 30,5 % en 2006, la part des allocataires du RSA socle (25,5 % en 2016) y est deux fois plus importante que dans le reste du pays (12,6 %) et le taux de chômage s’y situait à 25,3 % en 2016 contre 20 % douze ans plus tôt. »

Le rapport préconise un recentrage des moyens matériels et physiques dans le primaire : au-delà des dédoublements que Blanquer dit vouloir généraliser, la cour souhaite la réduction du nombre d’élèves par classe et « cibler » des moyens dans le primaire pour être réellement efficace. On l’aura compris, le tout sans enveloppe supplémentaire. Il s’agit en réalité d’aller encore plus loin dans la casse de l’éducation prioritaire.

Après la sortie des lycées du dispositif ZEP, le tour des collèges des réseaux d’éducation prioritaire ?

La cour des comptes propose donc d’arrêter l’étiquette REP et REP+ et d’allouer les moyens aux établissements « en tenant compte de la proportion des élèves en difficulté, quel que soit leur lieu de scolarisation ». Les moyens varieraient en fonction « d’un indice synthétique de difficulté » et en fonction du profil socio-économique des familles. Les établissements, dont le nombre sera réduit, seront divisés en catégories flexibles et l’appartenance à l’éducation prioritaire, outre selon le niveau de difficulté et du profil des familles, serait conditionnée également à la mise en œuvre de projets particuliers des établissements. Par ailleurs, les rectorats auraient en charge de distribuer les budgets selon ces critères. Mais quelle garantie a-t-on que les attribuent vraiment ces moyens là où c’est nécessaire ?

Pour coordonner au niveau local tous ces changements, le rapport préconise le renforcement de l’autonomie des établissements sur la question financière mais également sur le management des équipes pédagogiques puisqu’ils pourraient recruter directement les enseignants. Il s’agit en réalité du renforcement de la casse du cadre national de l’éducation et aussi plus globalement de l’approfondissement de nouvelles gestions dans la fonction publique. Théorisée dans les années 1970 sous le nom de « New public management », basée sur le modèle managérial des entreprises privées, cette nouvelle gestion est à l’œuvre depuis déjà plusieurs années avec l’instauration du socle de compétences, permettant d’évaluer les élèves selon une logique de savoir-faire et non plus de savoirs. Dans leur ouvrage La nouvelle école capitaliste, les sociologues Christian Laval et Pierre Dardot insistaient déjà sur cette application du « New public management » et prévoyaient son application avec la réorganisation du travail des enseignants en fonction des projets et objectifs définis par le chef d’établissement : « Cette plus grande flexibilité du travail permettra une évaluation individuelle en fonction de "l’efficacité" des personnels [...] en fonction du mérite et de l’investissement personnel », écrivaient les sociologues au moment où l’évaluation par compétences était déjà introduite.

Fonctionnement par projets, recrutement au profil par les chefs d’établissement, pédagogie par compétence. Toutes ces recommandations sont en adéquation avec la méthode Blanquer qui sous couvert d’innovation pédagogique fait passer la casse du service public d’éducation, accentue la sélection sociale et dégrade davantage les conditions de travail des enseignants.

« une stabilité de la ségrégation scolaire et sociale au cours des dix dernières années »

En réalité, les gouvernements successifs de droite comme de gauche ont tout mis en œuvre pour détériorer au fil des réformes l’éducation prioritaire. En 2016, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) publiait un rapport édifiant sur les inégalités du système scolaire en France. Il faisait suite à une étude PISA publiée en 2013 par l’OCDE qui révélait que le système français est le plus inégalitaire parmi les pays de l’OCDE.

Ainsi, contrairement à l’objectif initial de « donner plus à ceux qui en ont le moins », les établissements classés zone d’éducation prioritaire se retrouvent avec moins d’argent que les établissements non classés. Concernant le nombre d’élèves par classe, on note une différence nationale de 2 élèves en moyenne. Les chercheurs s’accordent sur « une stabilité de la ségrégation scolaire et sociale au cours des dix dernières années. »

Le gouvernement Hollande avait lancé la loi refondation de l’école et de l’éducation prioritaire faite à moyens constants dans laquelle on s’arrachait les maigres vêtements entre « pauvres ». Ainsi, pour prétendument financer sa réforme, de nombreux établissements sont sortis du réseau de l’éducation prioritaire de manière totalement arbitraire en 2016 et les lycées ne relevaient plus de l’éducation prioritaire comme si les difficultés s’arrêtaient à l’entrée en seconde. Or, pour ces établissements, les difficultés sont toujours présentes et cela représente en réalité une attaque très forte contre les classes populaires.

Le gouvernement Macron n’est pas en reste entre la sélection à l’université, la réforme du lycée et du bac ou encore les coupes budgétaires. La suppression de 2600 postes dans le secondaire à la rentrée 2019 et la perte de moyens humains considérables témoigne de l’ambition du gouvernement pour l’Education nationale. C’est la ségrégation, l’austérité, et le renforcement des écoles à deux vitesses : celle des riches et celle des pauvres. Un programme qu’il est possible de stopper.
Depuis la rentrée scolaire, plusieurs grèves et manifestations perlées témoignent de la souffrance du manque de moyens humain et matériel dans les établissements scolaires, notamment dans les lycées de Seine-Saint-Denis. Face à un gouvernement affaibli, converger ces luttes contre la casse de l’éducation nationale, contre la détérioration des conditions de travail et d’études des enseignants et des élèves est une nécessité pour stopper les attaques. La grève du 12 novembre dans l’éducation nationale doit être saisie pour construire et gagner cette bataille contre ce gouvernement.

Crédits photos : AFP

 
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