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La Izquierda Diario
16 de novembre de 2018 Twitter Faceboock

La révolte des cheminots
La révolte des cheminots. Interview de Anasse Kazib
Anasse Kazib

Nous relayons un entretien donné au site Balast par Anasse Kazib.

Plus de six mois de grèves, de journées d’action et de manifestations pour s’opposer à la « réforme ferroviaire » du gouvernement Macron-Philippe : malgré le soutien de l’opinion, la loi a été adoptée en juin 2018. Nous retrouvons Anasse Kazib, syndicaliste SUD Rail, à la terrasse d’un fast-food. Des passants l’interpellent pour le remercier ou l’encourager — « Vous êtes au top ! », « On n’a jamais été aussi fier de quelqu’un ! ». Il faut dire que ses vidéos Internet et ses interventions à la télévision ont bousculé le récit médiatique dominant : une audience rare pour un syndicaliste révolutionnaire. Le trentenaire, né à Sarcelles, revient à nos côtés sur son parcours et appelle à rendre au syndicalisme ses lettres de noblesses ouvrières.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/La-revolte-des-cheminots-Interview-de-Anasse-Kazib

Photo Cyrille Choupas

Lien vers l’article publié par la revue Ballast : ici

Mon travail, c’est d’aiguiller les trains. Quand il y a des travaux de maintenance, il faut faire des coupes pour protéger les salariés sur les voies. On a huit heures de service sans pause — on peut se restaurer tant que ça ne dérange pas le service. Au quotidien, on est seul ou à deux ; au total, il y a une centaine d’aiguilleurs sur Le Bourget. Mon histoire avec la SNCF ? Elle remonte à longtemps : c’est une histoire de famille. Ma femme est cheminote et mon père est un chibani1. Mon premier contact s’est fait à 18 ans : je travaillais à la SNCF comme saisonnier, puis j’y suis rentré pour de bon en 2012 en tant que « technicien transport mouvement », c’est-à-dire agent de circulation maîtrise. Avant ça, j’avais fait un BTS et plusieurs boulots, surtout dans l’événementiel — j’ai grandi dans la cité Rose à Sarcelles, une des cités les plus chaudes de France. Pour être sincère, j’étais alors un peu libéral, sur le modèle « le cœur à gauche et le portefeuille à droite ». Je devais organiser des soirées à Paris : on ne faisait que parler d’oseille, de bouteilles, de bagnoles…

« Ça fonctionne comme ça : dès qu’il y a un syndicat, il y a pression et la direction panique. »

Ma première expérience militante à la SNCF s’est faite très tôt. À mon arrivée, j’ai fait une formation de deux ans, j’avais d’assez bons résultats. Mais au passage d’un examen en cours d’année, il y a eu un raté : le sujet n’était pas le bon, nous n’étions pas préparés. Le centre d’examens n’en a pas tenu compte, alors on a pesté. J’ai découvert la méthode SNCF très rapidement : si tu l’ouvres, on te réprime. Du jour au lendemain, je suis passé de bon élève à cancre : ils me baissaient systématiquement les notes, j’ai tout lâché et je suis retourné à mon poste au Bourget. Là, ils m’ont dit que je devais aller à Amiens. Impossible : j’étais marié avec des enfants, je ne pouvais pas partir. Je commençais à désespérer, à me résigner. J’en parle à un collègue syndiqué à SUD, il trouve ça bizarre et en parle à un délégué SUD Rail. Le lendemain matin, à 7 heures, sur mon poste de travail, je les vois débarquer ; ils me disent : « Te prends pas la tête, la boîte fait de l’intimidation, mais tu as un contrat de travail avec un lieu d’affectation. Ils ont besoin de ton accord par avenant pour te dégager. On va régler ça tout de suite. » Peu de temps après, mon chef vient me voir : « Vous allez être content, on a trouvé une solution ! » Bien sûr, il faisait mine que la pression syndicale n’avait rien à voir avec ça. À partir de là je me suis dit que ça fonctionnait comme ça : dès qu’il y a un syndicat, il y a pression et la direction panique. Par principe, j’ai pris ma carte à SUD. Pendant plus de six mois, je ne faisais rien, je ne lisais même pas les mails. Puis, en 2014, arrivent les élections professionnelles, et le syndicat me propose de me présenter. C’était simplement pour faire une liste — en principe je n’étais pas éligible puisque SUD ne faisait pas de voix au Bourget. Mais les mecs du Bourget me connaissaient et m’appréciaient, et on a finalement gagné une place au CHSCT2. Ils m’ont formé, et c’est comme ça que je suis entré dans le militantisme. Aujourd’hui on a trois membres SUD Rail au CHSCT, sur quatre au total. On a été capables de mener une grève victorieuse : on faisait des grèves de 59 minutes aux heures de pointe, c’était un calvaire pour les patrons ! En un mois, ils ont lâché : on a eu les primes.

Le mouvement de l’été dernier [2018], on l’appelle « la bataille du rail ». C’est une lutte assez emblématique où pendant trois mois on a assisté à un vrai élan de fierté chez les cheminots. Au-delà de la question financière, il y avait une guerre psychologique à mener contre le « cheminot-bashing ». Les cheminots avaient la volonté de dire « On est là, on existe ». C’est finalement une « révolte du rail » : quoi qu’on en dise, les cheminots se sont révoltés. Après, le résultat, on le connaît… Dès le rapport Spinetta3, j’ai vu que certaines directions syndicales bégayaient. Le rapport est sorti le 15 février [2018], la première intersyndicale s’est tenue le 15 mars. Ça sentait le manque d’envie d’y aller. Pendant ce temps, je voyais mes potes cheminots se défendre comme ils pouvaient, à balancer leurs fiches de paie sur les réseaux, à se filmer sous la neige à déneiger des aiguilles… Puis on a vu Laurent Brun [secrétaire général de la CGT Cheminots, majoritaire dans le secteur, ndlr] arriver avec sa grille de Loto, sa grève perlée. Je suis tombé des nues ! Je me demandais : comment c’est possible ? Je ne suis ni à la CGT, ni anarchiste — je suis trotskyste —, mais je respecte la Charte d’Amiens. Et même si j’ai quelques divergences, ce texte nous dit qu’une des solutions pour la révolution, c’est la grève générale. On ne peut pas gagner avec une grève perlée, on n’a jamais gagné comme ça. C’est aux grévistes de décider de leur stratégie, et ce, en AG. Mais là, nous n’avions pas le choix : la CGT avait déjà choisi la stratégie et ne laissait pas de marge. Elle n’avait déposé de préavis de grève que pour son propre calendrier. Alors les AG ne pouvaient qu’être faibles : pas besoin de se réunir et, de toute façon, il n’y avait pas grand-chose à décider ! Il fallait juste suivre le calendrier. Cette stratégie a été décidée au sommet mais tous les cégétistes que je connais demandaient la reconductible !

À SUD, la ligne était simple : grève reconductible avec préavis déposé par le syndicat, puis l’AG souveraine décide ce qu’elle en fait. Tu ne peux pas te chauffer avec ton patron le lundi puis le mardi pour te pointer au boulot le mercredi ! Le patron ne va pas lâcher, il te remplacera ou te surveillera jusqu’à ce que tu fasses la moindre petite erreur. La plupart des entretiens disciplinaires se font comme ça : sur des grévistes qui reprennent le travail. On savait que la grève perlée ne marcherait pas. Dans mon métier, on est soumis à ce qu’on appelle les déclarations d’intention de faire grève : on doit prévenir 48 heures avant. Si on doit faire ça pour deux jours, ça avantage le patron : il a le calendrier des trois mois de grève, donc il ne compte même pas sur toi. Une collègue me disait : « De toute façon, votre grève c’est gratos pour la boîte parce qu’elle ne compte pas sur vous, elle prend d’autres personnes et vous paie pas. C’est pareil pour elle ! » C’est seulement une question logistique. La grève perlée, c’est la double arnaque.

« On savait que la grève perlée ne marcherait pas. C’est la double arnaque. »

L’autre problème, c’est la communication. Laurent Brun expliquait que la grève reconductible ne marche pas. Tu ne peux pas dire ça ! Comment tu fais après, dans 5 ans, dans 10 ans ? Comment tu fais si tu perds ? Si la reconductible ne marche pas, et que la perlée non plus, tu amènes à l’idée que c’est la grève en elle-même qui ne marche pas et qu’il faudrait se contenter de discuter, de négocier. Il y a une phrase de Brun dans un film d’Yvan Le Bolloch, où il dit en gros : « Avec cette grève perlée, ils sont obligés de répondre à nos questions toutes les semaines. » Va dire ça devant une AG de cheminots ! Les gens font grève pour retirer la réforme et pour améliorer le système ferroviaire, pas pour que tu ailles poser tes questions ! Ils ont eu trente rendez-vous avec la ministre des Transports : rien n’a bougé. C’est ça qui est extraordinaire dans cette lutte : c’est la plus longue bataille de la SNCF, et c’est sans doute la seule où rien n’a été concédé ! Et je dis ça en toute tranquillité : partout en France, il y a des militants CGT honnêtes et combatifs qui se sont battus corps et âmes contre cette réforme ferroviaire. Ce ne sont pas les militants CGT qu’on critique, c’est le choix d’une stratégie qui ne nous a pas permis de gagner — il faut le reconnaître.

La plus grosse erreur qu’ils ont faite, ce n’est même pas le choix de la grève perlée, c’est le délai de trois mois posé. Brun pensait que Macron allait être tétanisé par trois mois de grève, mais ça n’a eu aucun impact. En avril, Macron voyait que le pays tenait malgré la grève, il savait que les cheminots ne feraient pas mieux : il n’y a eu aucun rebondissement, il était tranquille. Pourquoi Brun n’a pas changé de stratégie ? L’orgueil… Quand tu as vendu la grève perlée comme la huitième merveille du monde mais que ça ne marche pas, le mieux c’est que tu la fermes et que tu ne dises pas que c’est un fiasco. Maintenant, leur truc dans la bureaucratie syndicale, c’est de dire que si les agents l’avaient voulu, ils auraient fait autre chose… Comme si les agents pouvaient se passer des structures syndicales alors que c’étaient les organisations syndicales qui allaient dans les négociations et qui ont porté cette politique…

La bureaucratie est un problème clé. Un bureaucrate c’est une personne qui fait passer un intérêt personnel ou d’appareil avant l’intérêt général et qui veut avoir le contrôle sur les choses. Toutes les actions et les outils que le mouvement ouvrier avait construits disparaissent : la grève générale, la grève reconductible, les caisses de grève, les comités de grève. Quand tu viens dans un secteur pour dire que tu veux faire un comité de grève, les « buros » [bureaucrates, ndlr]. te regardent avec de ces yeux ! « Quoi, comité de grève ? T’es malade, c’est l’intersyndicale qui décide ! » Ils te boycottent, ils te fument ! C’est ce que dit Trotsky : la bourgeoisie a sa police, ses patrons et ses médias, mais elle a aussi sa bureaucratie syndicale qui te dit quand tu dois faire grève et quand tu dois arrêter. Enfin vient la question centrale du rapport à la négociation. Laurent Brun s’est concentré sur la négociation, sauf qu’il n’a pas compris la politique de Macron. C’est un bulldozer, il avance vite, il est là pour faire des réformes. Nous avons essuyé une défaite, la réforme est bel et bien passée, mais ça n’est pas la défaite qu’aurait voulu Macron : il voulait être le Thatcher à la française, il voulait asseoir son autorité, plier les cheminots en trois mois — là où les autres gouvernements tremblaient. La popularité de la grève, la caisse de grève, les soutiens, la durée, les sondages qui n’ont jamais cessé d’être en faveur des cheminots, tout ça, ça lui a fait mal.

« C’est ce que dit Trotsky : la bourgeoisie a sa police, ses patrons et ses médias, mais elle a aussi sa bureaucratie syndicale qui te dit quand tu dois faire grève et quand tu dois arrêter. »

Toute l’histoire du syndicalisme des dernières années, c’est qu’on est sur la défensive en permanence : il n’y a rien d’offensif. On parle souvent de la Charte d’Amiens : on n’en retient que la séparation du politique et du syndicat, mais ça n’est pas seulement ça. Les anarchistes, à l’époque, posaient ce principe par peur du bureaucratisme politique et par crainte qu’un parti politique récupère et s’immisce dans le syndicat. Il y avait les triptyques PCF-CGT-Humaet PS-CFDT-FSU, et c’est eux qui aujourd’hui nous disent de ne pas faire de politique ! On me le reproche au quotidien : « Toi, tu ne fais pas du syndicalisme, tu fais de la politique. » Mais la Charte d’Amiens ne dit pas de ne pas faire de politique. La loi Travail, c’est politique, le partage du temps de travail, c’est politique ! À l’inverse, qu’on nous dise qu’il ne faut pas de partage des richesses, que c’est normal qu’il y ait des pauvres, c’est politique aussi. Avec cette conception, tu laisses la politique aux bourgeois et tu abandonnes le sort des prolos entre les mains de la bureaucratie syndicale qui, elle, sert des intérêts politiques. C’est d’ailleurs cette bureaucratie qui finit généralement par trahir : comme Nicole Notat, François Chérèque et les autres. Avec les lois Travail sont apparus les Comités sociaux économiques [CSE]4, et la bureaucratie syndicale va continuer d’exister. Le CSE ne tue pas les « buros », qui n’ont pas bossé depuis 15 ou 20 ans, mais bien le militantisme de terrain et les CHSCT.

Je ne crois pas du tout au réformisme ni au parlementarisme. Je ne pense pas que ça change quoi que ce soit. Le syndicalisme est issu de la Commune de Paris, il y a rien de réformiste là-dedans. L’autre problème, selon moi, c’est l’idéologie du dialogue social avec le patron. Un dialogue est possible ; mais un dialogue « social », non. Lorsque tu as tous les pouvoirs d’un côté, c’est pas un dialogue social. Des réunions, on peut en avoir quand on veut et autant qu’on veut en tant que syndicaliste. On peut se réunir quatre heures avec la DRH, mais, en définitive, c’est le patron qui décide. On n’obtiendra jamais une réduction du temps de travail ou une baisse de l’âge de départ à la retraite comme ça. C’est un dialogue sans social. C’est l’une des plus grosses supercheries du système : faire croire qu’on peut obtenir des choses en se mettant autour d’une table. En disant ça, on éloigne les gens des manifestations et des grèves. On gagne qu’à travers la rue et le blocage de l’économie.

Il faut un parti ouvrier : tout ne se gère pas au niveau économique ni au niveau du syndicat. Dans des syndicats comme FO, on tolère que les adhérents soient au FN comme au NPA — tu finis par casser ton syndicat parce que tu vas éviter de parler de certains sujets (les questions de genre, par exemple), pour te concentrer sur les ticket restau… Tu ne parles plus de renverser le gouvernement. Quel type de syndicalisme on veut ? Au Bourget, on est parvenus à faire une grève en reconductible, on avait des AG où on discutait et on choisissait notre stratégie. Bien sûr, on n’est pas obligés à chaque grève de vouloir faire la révolution ; bien sûr, il faut des luttes partielles, mais il faut les mener convenablement, sinon les gens se démotivent. Pourquoi on ne retrouve pas le million de manifestants contre la loi Travail sous Hollande le 14 juin 2016, contre la loi Travail sous Macron ? Parce qu’ils ont été convaincus par le projet du gouvernement ? Bien sûr que non. C’est parce qu’ils se disent que s’ils font grève, ils perdent de l’argent, ils prennent des sanctions disciplinaires, et puis plus rien : les gens étaient dégoûtés. Dès lors qu’on a un plan de bataille offensif avec une possibilité pour les travailleurs de décider, on parvient à mobiliser.

« Avec les camarades, on a fait une proposition : une SNCF entièrement gratuite. On a la carte Vitale pour la santé, on propose la carte vitale ferroviaire. »

Ce qu’il nous manque, ce sont des propositions, c’est réussir à être audibles sur nos projets positifs. On ne peut pas être juste des gueulards. Quand je vois des camarades passer à la radio et défendre la retraite des cheminots en disant « Dans quel état on est, à 54 ans, à conduire un train ? », ce message n’est pas audible pour des gens qui travaillent dans le bâtiment jusqu’à 64 ans. Nous, on se bat pour que le régime des cheminots soit celui de tous les salariés : on est pour que les gens partent tôt en retraite pour laisser embaucher les jeunes. Ça, c’est un discours qui touche plus. Avec les camarades, on a fait une proposition : une SNCF entièrement gratuite. On a la carte Vitale pour la santé, on propose la carte vitale ferroviaire. Les dépenses en frais de santé et en dommages écologiques du trafic routier, c’est pratiquement 100 milliards d’euros par an. Le chiffre d’affaires de la SNCF, c’est 38 milliards, et les spécialistes chiffrent à 20 ou 25 milliards d’euros le fait de passer à la gratuité totale de la SNCF. J’en rajoute une couche : le CICE5, c’est presque 100 milliards d’euros depuis sa création, et ça n’a pas fait baisser le chômage. Face à ça, tu as la possibilité de prendre le TGV et les transports en commun à n’importe quelle heure, avec une grande qualité et gratuitement. On aurait juste à monter dans le train et il y aurait des gens qui le feraient avancer, qui entretiendraient la voie, qui investiraient pour de nouvelles voies. C’est un programme qui plaît aux salariés, et qui est audible pour les usagers. Si tu leur dis qu’on se met en grève pour que les conseils d’administration soient composés à 50 % de salariés et à 50 % d’usagers, pour qu’on décide nous-mêmes des financements, là, tu ramasses avec toi tous les usagers de France, du prolo au cadre sup’ ! Et si tu leur dis « Par contre, on va avoir besoin de vous », la caisse de grève, tu la finances en moins de deux avec cette proposition ! Les gens payent, mais ne décident de rien. Qui a décidé que Guillaume Pepy [dirigeant de la SNCF, ndlr] devait toucher 450 000 euros ? Les gens voient bien qu’on nous prend pour des cons.

Notre deuxième proposition, ça a été l’intergare : une rencontre avec des cheminotes et des cheminots, syndiqués ou non, de différentes gares parisiennes. L’intergare, c’est l’avenir de la lutte. Ces rencontres étaient fondées sur une stratégie : mettre au centre la question de la démocratie ouvrière. On le voyait, les gens désertaient de plus en plus les meetings syndicaux — il faut dire que venir pour écouter des syndicalistes te résumer ce que tu entends en boucle à la télé, ça ne fait rêver personne… Dans les rencontres intergares, les cheminots avaient des réactions de base, mais excellentes : « Qui t’autorise à diriger l’AG ? », « Qui t’autorise à parler pendant 20 minutes ? », « Qui t’autorise à nous dire quand et comment se termine notre AG ? », « Pourquoi tu nous dis ce qu’on doit faire dans tes tracts ? », etc. L’intergare est déconnectée des directions syndicales : syndiqués ou non, tout le monde s’exprime, il y a un micro, le prend qui veut. Et puis on tournait, de gare en gare, de secteur en secteur. La CGT a gardé la mainmise sur l’ensemble du mouvement, mais l’intergare a été une réussite et une découverte.

Une autre découverte, pour moi, ça a été la relation aux médias. Je ne suis pas un pro de la vidéo, mais quand le rapport Spinetta est tombé, imbuvable avec ses 120 pages, j’ai décidé de le lire pour le vulgariser et pour le démonter. Je démarre comme ça sur Révolution permanente, et la première vidéo fait 100 000 vues : c’est énorme. La force de RP, c’est qu’ils sont bien suivis chez les cheminots. Si tu fais 10 000 vues, tu peux être sûr qu’il y aura 2 000 cheminots devant leur écran. Et c’est pas rien. Quand tu es syndicaliste, pour voir 2 000 personnes dans ta carrière, bon courage ! Quand je fais des tournées syndicales, parfois, en une semaine, je vois même pas 50 cheminots. Et j’en ai vu directement l’impact. Les cheminots me connaissent presque tous, et ça, c’est inouï pour un syndicaliste. J’ai mis des mots devant des faits. En parallèle, j’ai commencé à être invité sur des plateaux télé. Je suis passé chez Bourdin, puis j’ai été invité aux « Grandes gueules » pour parler 30 minutes. Au départ, je devais intervenir sur la SNCF, mais c’est parti en clash. Ça leur a plu, j’ai été invité d’autres fois, maintenant je suis un habitué. Au-delà du caractère réac’ des « Grandes Gueules », il faut voir que c’est la seule émission de télé où tu peux t’exprimer. Sur trois heures, tu as des sujets où tu peux mettre du contenu politique. Je ne suis pas partisan du discours du type « Ce sont des réac’, ils attaquent nos droits alors on n’y va pas, on n’a rien à faire là-dedans. »

On conforte cette image de gauche jamais contente, de radicaux… et, à l’arrivée, nous, on n’est jamais dans les médias. Quand tu as la chance d’avoir un camarade de lutte qui peut s’exprimer et représenter un peu une pensée et des idées politiques progressistes, tu vas pas lui dire « Non, on parle pas avec eux ». Les « GG », c’est deux millions et demi d’auditeurs. Récemment, j’y étais : on parlait de Macron qui conseille aux chômeurs de « traverser la rue » pour trouver un emploi ; j’interviens et je dis : « Ça, c’est du mépris de classe. » Tu peux allumer toutes les chaînes de France et de Navarre, en dehors des périodes électorales où Olivier Besancenot ou Nathalie Arthaud passent un peu, à aucun moment tu n’entends ce genre de discours ! Ils m’ont proposé de continuer avec eux — je verrai combien de temps ça dure, combien de temps je peux le faire. Ma seule limite, c’est la grève : je ne veux rater aucune AG, aucun piquet de grève. Les collègues et le terrain passent avant les médias. Car tu peux tomber très rapidement dans ce milieu : les médias n’attendent qu’une chose, c’est de te retrouver député du PS. Soit tu finis chez Hanouna, soit tu finis Manuel Valls. Pour eux, tu ne peux pas avoir un propos de classe, rentrer chez toi et jouer avec tes enfants.

 
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