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La Izquierda Diario
21 de décembre de 2018 Twitter Faceboock

Gilets Jaunes
RIC : la Suisse présentée comme un exemple à suivre. Qu’en est-il vraiment ?
Georges Camac

La Suisse est souvent citée comme un exemple de démocratie directe, notamment par certains promoteurs du Référendum d’Initiative Citoyenne. Pourtant, à bien y regarder, le système helvétique est loin d’être un modèle.

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Au sein du mouvement des Gilets Jaunes, les revendications démocratiques ont le vent en poupe. Il est vrai qu’il est urgent de mettre fin à ce système anti-démocratique de la Ve République. Mais par quoi le remplacer ? Le « modèle » suisse est souvent cité en exemple, notamment parce qu’il introduit la possibilité de référendums populaires. Pourtant, son fonctionnement est à l’opposé des aspirations populaires exprimées dans le mouvement des Gilets Jaunes. Explications.

Des possibilités de référendums limitées

La possibilité de référendums pour modifier la constitution ou abroger une loi est souvent mise en avant pour justifier les références au système politique suisse. Pourtant, les modalités concrètes de son application sont en réalité très limitées.
Il existe trois types de référendum dans le système suisse : le référendum obligatoire, qui est automatique en cas de modification de la Constitution ; le référendum facultatif qui permet de contester une loi dans un délai de 100 jours après sa promulgation ; et l’initiative populaire qui permet la création ou la modification d’une disposition constitutionnelle. Enfin, le contre-projet vient compléter le tout : il est une forme de contre-proposition faite par les autorités à une initiative populaire.
Il convient de noter que pour le référendum obligatoire et l’initiative populaire, le système fonctionne à la double majorité. C’est-à-dire, pour être accepté, le vote doit être majoritaire dans la population, mais aussi dans les cantons, ce qui veut dire que les élus peuvent bloquer une initiative populaire.
Dans les faits, les référendums ont peu de poids dans la vie politique suisse. Moins de 10% des votations populaires sont acceptées. D’autre part, il est rare que le taux de participation dépasse les 50%. Très souvent, ce sont les contre-projets faits par les autorités qui sont acceptés. Le référendum facultatif, lui, n’a été utilisé que 9 fois depuis 1958.
La raison en est simple : outre le fait de pouvoir voter, la voie du référendum reste très limitée. Seuls les groupes politiques organisés ont le pouvoir de faire une proposition et de mener une campagne cohérente à même de pouvoir convaincre une majorité d’électeurs. Or, le système politique suisse est un des plus opaques et aristocratiques qui existent en Europe.

Un système particulièrement opaque

Depuis plus de 7 ans, le système politique suisse est considéré comme un des plus opaques par le Groupe d’Etats pour la lutte contre la corruption (Greco), un organisme européen pourtant très conciliant avec les mécanismes anti-démocratiques existant dans l’ensemble des pays européens. Et ce n’est pas pour rien. En Suisse, les dons faits aux partis ne font l’objet d’aucune obligation de déclaration. Il n’y a même aucune législation concernant le financement des partis. Il en résulte une opacité dont sont particulièrement friands les grands groupes financiers et les lobbyistes. Ceux-ci sont omniprésents dans la vie politique suisse.
Ces dernières années, l’ascension de l’UDC, parti proche de l’extrême droite, a donné à voir l’ensemble de ces mécanismes anti-démocratiques à l’œuvre. Le parti est largement financé par la Stiftung für bürgerliche Politik, une fondation obscure dont les seuls membres connus font tous partie de l’UDC. Ce bras financier lui a permis de lever en toute opacité de fortes sommes d’argent, qui sont pour beaucoup dans le succès de l’UDC, qui a réalisé 29,4% des suffrages lors des élections au Conseil National (équivalent du parlement) de 2015.
Or, pour ce faire, l’UDC a largement utilisé les référendums d’initiative populaire. Celui-ci a multiplié les initiatives xénophobes : « contre la construction des minarets » en 2009, « pour le renvoi des étrangers criminels » en 2010, « contre l’immigration de masse » en 2014, etc. En neuf ans, l’UDC a lancé pas moins de 8 référendums. Ce dispositif lui a permis d’imprimer dans l’actualité politique son agenda xénophobe et réactionnaire, et ce même si la plupart des propositions ont été refusées.
Ainsi, derrière l’affichage populaire, ce sont les grandes associations politiques, mais aussi dans une moindre mesure les ONG, qui sont les grandes gagnantes de ce type de référendums. Cela leur permet d’organiser de grandes campagnes, que celles-ci seules ont les moyens financiers et techniques de les organiser.

Une « démocratie » très censitaire et aristocratique

Enfin, les référendums prévus par le système politique suisse sont un peu l’arbre qui cache la forêt. En effet, s’ils sont loin d’apporter les effets escomptés, ils permettent de légitimer un système politique très peu démocratique.
D’abord, il faut noter que seules les personnes disposant de la nationalité suisse peuvent voter lors des différentes échéances électorales. Or, en l’absence de droit du sol, la proportion de résidents qui ne disposent pas de la nationalité est très importante : 25% contre par exemple 6,3% en France. Cela signifie concrètement qu’une personne sur quatre est exclue de la vie politique du pays. Il s’agit par ailleurs bien souvent de travailleurs subalternes, alléchés par les salaires mirobolants permis par une monnaie suisse dopée à plein régime. Rien d’étonnant donc à ce que le référendum sur le SMIC suisse ait été refusé en 2014.
D’autre part, les modalités d’élection de l’organe exécutif du pouvoir suisse sont particulièrement anti-démocratiques. Le Conseil Fédéral est composé de sept membres pour un mandat de quatre ans, qui ne peuvent être révoqués. Les cas de non-réélection sont extrêmement rares. Ceux-ci sont élus à bulletins secrets à deux tours par l’Assemblée fédérale, ce qui veut dire qu’il est impossible de savoir pour qui un élu a voté.
Dans la pratique, l’élection du Conseil Fédéral fait quasiment toujours l’objet d’un accord entre les principales forces politiques. La règle informelle la plus importante est celle de la « formule magique », introduite en 1959, qui prévoit une proportion de sièges entre les différents partis du pays.

Un système politique au service des grands patrons et des banquiers

L’organe exécutif suisse est donc représentatif des principales forces politiques du pays. Concrètement, l’élaboration des lois est très longue et complexe car elle fait toujours l’objet d’un accord entre les différents acteurs. Mais si cette culture du consensus peut apparaître attirante sur le papier, elle représente surtout les intérêts des grands groupes économiques et financiers du pays.
En effet, dans le système politique suisse, la porosité entre les milieux d’affaire et la vie politique est très forte. Si la proportion de hauts cadres et grands patrons dans les rangs des députés de LREM a choqué, cela est largement banalisé dans le système suisse. De plus, ces groupes sont ceux qui financent largement les partis et les associations politiques. Enfin, les services publics sont réduits au minimum en Suisse : pas de salaire minimum, un système de sécurité sociale, de chômage et de retraite inexistant. Ce qui veut dire que, concrètement, gérer l’Etat, signifie surtout pour ceux qui le gouvernent, gérer les aménagements au service de l’activité économique des grands groupes.
Ainsi, la « démocratie suisse » est à l’inverse des aspirations démocratiques exprimées par les Gilets Jaunes aujourd’hui, qui revendiquent de mettre fin à la toute-puissance des grandes fortunes, et à leur meilleur représentant, Emmanuel Macron, président des riches. Cet exemple montre en revanche qu’il ne suffira pas d’amender le système anti-démocratique actuel, à l’image de ce que proposent les partisans du RIC, pour transformer profondément les conséquences contre lesquels protestent à raison les Gilets Jaunes.

 
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