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La Izquierda Diario
12 de mai de 2016 Twitter Faceboock

La droite, le patronat et les marchés sont aux anges
Brésil. Le Sénat valide le putsch contre Dilma Roussef
Philippe Alcoy

Ça y est, le coup d’État institutionnel a été consommé au Brésil. Après les députés, les sénateurs brésiliens ont voté l’ouverture de la procédure d’impeachment contre la présidente Dilma Rousseff. Elle est ainsi suspendue pendant une période qui peut aller jusqu’à six mois. C’est Michel Temer, du Parti du Mouvement Démocratique du Brésil (PMDB), qui assume la présidence à sa place. Les marchés, le patronat local, la presse et la droite se félicitent. Mais la mise à l’écart de Dilma sonne-t-elle la fin des problèmes pour les classes dominantes ? Rien n’est moins sûr.

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C’était la fête pour les politiciens putschistes et leurs alliés. Michel Temer et ses collègues ne pouvaient pas cacher leur bonheur. Des félicitations par-ci, des accolades par-là. Le PMDB arrive ainsi pour la troisième fois dans son histoire à la fonction suprême… Les trois fois en se passant du vote populaire : en 1985 dans le cadre d’une « transitionordonnée » à la fin de la dernière dictature militaire ; en 1992 à la suite de la démission de Fernando Collor de Melo, impliqué dans des affaires de corruption ; et maintenant, après la suspension de Dilma.


Mais toutes ces félicitations et congratulations à Temer – qui, en réalité, n’a aucun mérite au-delà de celui d’être un politicien professionnel opportuniste – sont le reflet des expectatives du patronat brésilien et de l’impérialisme. En effet, ceux-ci espèrent qu’avec la suspension de Dilma, et sa très probable destitution, ils pourront « tourner la page » de la crise politique et que le nouveau gouvernement puisse se concentrer sur les réformes structurelles que le capital exige.


C’est d’ailleurs ce message sur les « pages tournées » que le principal leader de l’autre parti d’opposition de droite, le Parti Social Démocrate du Brésil (PSDB), Aécio Neves, a envoyé dans une vidéo diffusée juste après la prise de fonction de Temer : « il est temps de tourner la page. Tourner la page du chômage. Tourner la page de la peur. Il est temps de tourner la page de la division entre les brésiliens ».


Et pour démontrer que le PSDB soutient effectivement le nouveau gouvernement, trois de ses membres occuperont des ministères importants, comme celui de la Justice ou celui des Affaires étrangères, dont José Serra, ex-candidat à la présidence en 2010, sera le titulaire.


La presse dominante à l’offensive

La presse dominante, qui depuis plusieurs mois mène une attaque très virulente contre le PT, cherche à faire passer les gouvernements de Lula et Dilma comme « le péché originel » de la corruption dans tout le pays, en tant que responsables de la crise économique au Brésil. Ce serait le « populisme » du PT et ses « dépenses exorbitantes » dans des programmes sociaux qui auraient mené le pays dans le gouffre financier dans lequel il se trouve.


L’un des exemples peut-être les plus violents de ces attaques de la presse contre le PT et Dilma serait le grand quotidien de droite Estado de São Paulo, qui, dans un édito intitulé « Le retour à l’insignifiance, explique comment Dilma est une politicienne « sans aucune qualité » pour exercer la fonction qu’elle a occupé, et qu’en réalité elle est une « invention » de Lula. Sa suspension marquerait ainsi son « retour à l’insignifiance ». Pour le journal, l’impeachment était devenu un « impératif » pour « mettre fin à la trajectoire qui ruinait le Brésil et les brésiliens et menaçait la démocratie (!) ».

Comme on le voit, l’objectif de la presse dominante dans cette situation d’instabilité politique et économique est d’inverser la situation et présenter les putschistes presque comme des « sauveursde la démocratie » et les gouvernements du PT comme des « dictatures rouges ». Or, non seulement, ce sont les secteurs de la droite et du patronat qui sont en train de violer les règles de leur propre régime à travers le coup d’État institutionnel, mais les gouvernements du PT ont permis à ces mêmes classes dominantes de s’engraisser comme jamais sur le dos des travailleurs précarisés, surexploités et endettés. C’est ce que le même édito est forcé de reconnaître : « le grand chef du PT [Lula] a été élu en 2002 et […] a gouverné, au début, conformément au bon sens ».

Le PT est le principal responsable de sa déchéance


Ce qui peut paraître étonnant, c’est que celui qui est présenté soudainement comme « l’homme providentiel », Michel Temer, jusqu’à il y a quelques semaines, était l’allié du PT au pouvoir. Et cela depuis au moins 2007 !


En effet, beaucoup de choses « dénoncées » hypocritement dans l’édito de l’Estado de São Paulo cité plus haut sont réelles. Le PT a créé et alimenté ses propres fossoyeurs. Comme explique Leandro Lanfredi, directeur du quotidien d’extrême gauche brésilien Esquerda Diário, lié à Révolution Permanente : « nous arrivons à ce rapport de forces [favorable à la droite putschiste] en dernière instance comme conséquence du fait que le PT a adopté les pratiques corrompues de gouvernement du capitalisme brésilien, qu’il a promu des attaques agressives contre les droits des travailleurs et de la paralysie que la CUT [Centrale Unique des Travailleurs] et les syndicats ont imposé aussi bien dans la résistance face à l’austérité que face au putsch lui-même ».


Le nouveau gouvernement entre crise économique et manque de légitimité


Les « marchés » ont très bien réagi à la suspension de Dilma et son remplacement par Temer. Mais cette réaction répond plus à leur « espoir » qu’à la réalité concrète. En effet, aussi bien la crise économique que l’instabilité politique vont dominer le paysage brésilien dans le futur proche.


La crise économique mondiale et le ralentissement de la croissance chinoise ont touché fortement le Brésil. Le pays a connu en 2015 une chute de son PIB de près de 4%, la plus importante chute depuis 25 ans, et cette année le FMI prédit le même niveau de contraction. L’inflation pour cette année pourrait être de près de 10%. Le chômage, quant à lui, est passé de 5% en 2014 à 11% en 2016 et le déficit budgétaire est estimé à près de 11% du PIB.


Pour faire face à ces difficultés, le patronat exige des réformes structurelles, des attaques contre les classes populaires, à commencer par le système de retraites brésilien, considéré comme « trop généreux ». Mais ce sont aussi les programmes sociaux qui devront être réduits. Évidemment, le gouvernement de Dilma était déjà à l’œuvre, mais cela n’a pas suffit pour convaincre les secteurs possédants et l’impérialisme.


Le grand défi pour le nouveau gouvernement va donc être de trouver du soutien au sein du parlement pour faire adopter ces mesures d’austérité et réformes structurelles, et surtout ne pas provoquer des explosions sociales de la part de la classe ouvrière et de la jeunesse.


La difficulté pour Temer, c’est effectivement qu’il s’agit d’un gouvernement putschiste sans aucune légitimité populaire. En outre, beaucoup des proches du nouveau président, à commencer par lui-même, sont de près ou de loin touchés par des affaires de corruption. Avant d’assumer, Temer a déjà perdu un allié de taille, Eduardo Cunha (PMDB), ex-président de la chambre des députés, suspecté de blanchiment d’argent et de détournement de fonds ; il pourrait perdre éventuellement un autre allié, Renan Calheiros (PMDB), actuel président du sénat, aussi pour des affaires de corruption. C’est à nouveau le pouvoir Judiciaire qui se renforce et se positionne en tant « qu’arbitre » d’un régime de plus en plus anti-démocratique.


Préparer la résistance

Face à cette offensive de la droite et des secteurs les plus réactionnaires, l’attitude du PT et des organisations syndicales et sociales dirigées par lui peut être qualifiée de criminelle. Lula a déjà déclaré que son parti jouera un rôle « d’opposition responsable ». Le PT et Lula, malgré l’humiliation qu’ils viennent de vivre, espèrent encore apparaître comme une alternative pour la bourgeoisie brésilienne et l’impérialisme.


Cette politique révèle que le PT – ainsi que les syndicats qu’il dirige – ont plus peur de la mobilisation populaire que des attaques de la droite. Mais la jeunesse, les travailleurs et tous les secteurs populaires ne peuvent pas rester les bras croisés en attendant que leurs conditions de vie soient durement attaquées. Cela pourrait aboutir à la démoralisation.


Actuellement, c’est surtout la jeunesse lycéenne et étudiante qui se trouve en lutte pour leurs revendications et contre la corruption avec des occupations de lycées dans plusieurs États et de différentes universités dans l’État de São Paulo. Ces luttes de la jeunesse sont un exemple pour la classe ouvrière au Brésil. Il sera fondamental pour contourner l’obstacle que représentent actuellement les bureaucraties syndicales, que les travailleurs souhaitant résister aux coups et à l’austérité organisent des assemblées dans les lieux de travail, réunissant des salariés syndiqués et non syndiqués.


Préparer la résistance dans les rues, les lieux d’étude, dans les services, les usines et les entreprises, voici la seule alternative qui reste si la classe ouvrière et les secteurs populaires veulent présenter leur propre alternative, indépendante des factions capitalistes et des bureaucraties syndicales.

 
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