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12 de août de 2016 Twitter Faceboock

Femmes révolutionnaires
Alexandra Kollontaï : une lutte révolutionnaire pour l’émancipation des femmes
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Kollontaï fut l’une des premières révolutionnaires qui ont lutté pour l’émancipation des femmes en Russie et pour leur organisation dans le mouvement ouvrier et le socialisme international.

Clara Mallo
Traduction : Mar Martin

Ses apports aux débats concernant l’émancipation des femmes sont un héritage important pour le mouvement révolutionnaire. Elle a théorisé les nouvelles formes de relations sexuelles et affectives qui commençaient à émerger au sein de la révolution, dédiant à l’amour et à la morale un grand nombre de ses écrits. Pour autant, son activité militante ne se limitait pas à ce domaine. Du jour où elle s’est engagée comme marxiste-révolutionnaire jusqu’à sa mort, sa trajectoire dans le mouvement socialiste fut longue et intense.

Alexandra Miáilovna Domontóvich est née en 1872 dans la ville de Saint-Pétersbourg dans une famille de nobles terriens. Son père était un général russe d’origine ukrainienne et sa mère finlandaise d’origine paysanne. Les évènements qui ont traversé la Russie de cette époque ont nettement impacté le futur d’Alexandra. Elle passa les premières années de sa vie à Saint-Pétersbourg, ville qui est devenue, à la fin du 19e siècle, l’un des centres industriels les plus importants de toute la Russie, avec une grande concentration ouvrière. De plus, Saint-Pétersbourg était la ville qui avait le plus de relations politiques et culturelles avec l’Europe, et donc également le premier lieu dans lequel arrivait la propagande politique révolutionnaire, le faisant devenir un lieu de référence de la propagande sociale-démocrate en Russie.

Alexandra a grandi dans un milieu progressiste mais tout de même très limité. Sa famille exprimait les intérêts de la bourgeoisie nationale fragile qui luttait pour ses droits politiques. L’origine finlandaise de sa mère fit qu’elle grandit dans un environnement critique du tsarisme. Toutefois, sa famille en Russie continuait d’être le noyau grâce auquel se maintenaient le plus intensément les traditions. Le rôle des femmes en Russie à la fin du 19e siècle était quasi-exclusivement relégué au domaine domestique. L’intégration des femmes ouvrières aux mouvements sociaux émancipateurs fut plus tardive que dans d’autres centres européens. Les femmes bourgeoises avaient elles aussi un rôle secondaire : élever les enfants et « représenter » la position sociale de leur famille étaient leurs uniques occupations. Pour cela elles devaient recevoir une éducation déterminée qui leur apporte des connaissances dont certaines rompaient avec les schémas de pensées et la morale traditionnels.

Kollontaï était destinée à devenir l’une de ces femmes dédiées à représenter la position de leur famille, et dont on attend un comportement social adéquat. Pourtant, avec un tel caractère, elle ne pouvait pas ne pas se rebeller contre cette situation.

Libération et rapprochement du marxisme révolutionnaire

Le premier élément décisif de sa vie personnelle a impliqué une confrontation avec les normes sociales restrictives de l’époque. Elle décida de se marier par amour, contredisant son père, et rompant ainsi avec la convenance économique qui, même si faussement enveloppée du concept d’amour, était la base réelle du mariage bourgeois. Toutefois, peu de temps après son mariage, elle se trouva prisonnière de sa vie d’épouse et de mère, et commença à avoir une relation toujours plus étroite avec les cercles révolutionnaires qui, à ce moment-là, se développaient à Saint-Pétersbourg. Son rapprochement de ces groupes l’aida à lier sa lutte personnelle en tant que femme et la lutte pour la défense des intérêts des ouvriers et ouvrières exploités par la même société qui l’opprimait. Finalement, en 1891, elle décida de se séparer de son mari et de son fils, et de se dédier à ses activités au sein du mouvement révolutionnaire, qui durant ces années se développait clandestinement. Au cours de ces mêmes années (1894), Lénine terminait de fonder la Ligue pour la lutte pour l’émancipation des travailleurs, et deux ans plus tard, en 1896, le mouvement ouvrier de Saint-Pétersbourg surgit à travers une vague de grèves qui impacta profondément Kollontaï. La participation incessante des organisations révolutionnaires, et ce bien que clandestines, aida à ce que Kollontaï embrasse le marxisme définitivement.

En 1899, la même année où se tenait le congrès de fondation du Parti ouvrier social-démocrate russe, Alexandra décidait de voyager en Europe avec l’objectif d’approfondir ses études sur le marxisme. Un an plus tard, elle revenait en Russie et intégrait le parti définitivement. À partir de ce moment, Alexandra participa aux principaux débats qui avaient lieu en son sein et commença à émerger en tant que révolutionnaire. Durant ces années, son activité politique était au cœur de sa vie. Jusqu’à la fin de 1908, elle participa activement au mouvement révolutionnaire en Russie, et, entre autre choses, se dédia à l’organisation des travailleuses, insistant sur le fait que les ouvrières différencient leurs objectifs de ceux des suffragettes bourgeoises, en même temps qu’elle les alertait du conservatisme sexuel des hommes des organisations socialistes.

Lors de la tenue du IIᵉ congrès du parti en 1903 et du surgissement des deux fractions bolchéviques et menchéviques, Alexandra se positionna d’abord aux côtés des menchéviques.

La lutte contre la guerre et l’organisation du mouvement des femmes ouvrières (1905-1917)

Durant ces années, tout en participant à d’autres polémiques centrales, Alexandra se concentra sur le fait d’organiser les travailleuses au sein du parti. Le début de ce travail fut difficile. Dans la tentative de développer une organisation autonome des femmes dans le parti, elle rencontra des résistances d’une partie de ses camarades hommes. De la même façon qu’il fallait démontrer au mouvement ouvrier que les femmes n’étaient pas des « briseuses de grève » ni des concurrentes, convaincre, au sein du Parti, de l’importance de l’apport révolutionnaire des femmes et la valeur des leurs revendications demandait de gros efforts.

En 1907, Alexandra participait en tant que déléguée russe à la première Conférence des femmes socialistes, organisée par Clara Zetkin, et célébrée à Stuttgart. Au cours de ces années, Alexandra rédigea ses premiers travaux sur les conditions de vie des travailleuses et sur les relations entre l’émancipation des femmes et la cause socialiste, contribuant ainsi aux débats qui avaient cours au sein du marxisme autour de cette question. De ces années, ces travaux sont : Les bases sociales de la question féminine (1908) et Société et maternité (1915).

L’année suivante, après la publication du pamphlet La Finlande et le socialisme, les autorités russes ordonnèrent sa détention, ce qui conduisit Alexandra à quitter la Russie où elle ne revint pas avant 1917.

Kollontaï prit part à la délégation russe des IIᵉ et IIIᵉ Conférences des femmes socialistes qui eurent lieu respectivement en 1910 et 1915. Ces conférences dédièrent une grande partie de leurs programmes aux débats qui existaient au sein du socialisme international, discutant et prenant des résolutions qui allaient aider le mouvement socialiste à se lier à des milliers d’ouvrières, ainsi qu’à avancer au sein du mouvement révolutionnaire.

Quand éclata la Première Guerre mondiale, Kollontaï se trouvait en Allemagne, et put assister au vote des crédits de guerre par le Parti social-démocrate allemand, trahison profonde des sociaux-démocrates allemands à la cause socialiste et internationaliste. Elle dédia les années suivantes à une bataille dure contre la guerre, écrivant des pamphlets et des articles et y consacrant toute son activité. Son analyse concernait le caractère de la guerre impérialiste et coïncidait avec celle des bolchéviques, tandis qu’elle se rapprochait de plus en plus de ces derniers. Cette même année, les sociaux-démocrates européens internationalistes qui luttaient à l’échelle internationale contre la guerre se réunissaient dans la localité de Zimmerwald, meeting auquel les bolchéviques participèrent en constituant une opposition à la tendance majoritaire de la IIᵉ Internationale. Alexandra se rapprocha définitivement des bolchéviques en y adhérant.

Cette même année, Alexandra participa à la délégation bolchévique de la IIIᵉ Conférence des femmes socialistes. Même si la délégation bolchévique se retrouvait nettement minoritaire dans la délégation russe et dans la conférence en général, elles réussirent à faire adopter la résolution qui condamnait la guerre et exigeaient une paix sans annexion ni conquête. Durant la guerre, le mouvement socialiste des femmes gagna nombre de femmes, ce qui lui apporta une dynamique beaucoup plus révolutionnaire.

La révolution d’Octobre

En 1917, elle retourna en Russie en tant que membre du comité central du Parti, lequel était traversé au mois d’avril par des débats concernant le rôle des soviets dans la révolution, et soutenait de manière majoritaire la thèse conciliatrice qui défendait le soutien au gouvernement Kerensky. Toutefois, Kollontaï appuya les thèses formulées par Lénine, dans lesquelles il défendait que les soviets étaient déjà l’embryon du gouvernement révolutionnaire, soutenant la lutte contre le gouvernement provisoire et la consigne de « tout le pouvoir aux soviets ».

Cette année-là, l’activité révolutionnaire fut débordante. Son activité inlassable fit d’elle la première femme élue au conseil exécutif du soviet de Petrograd. Avec l’arrivée du gouvernement révolutionnaire, elle se trouva être la première femme à occuper un poste au ministère, allant être nommée Commissaire du peuple pour la sécurité sociale entre 1917 et 1918. Malgré tout cela, son objectif d’organisation des femmes au sein du Parti non seulement ne cessa pas, mais devint même plus intense. En 1918, elle organisa le premier Congrès des femmes travailleuses et Paysannes Russes, où elle présenta son intervention intitulée « La famille et le socialisme » (1918).

Premières polémiques au sein du parti

De 1917 à mars 1918, le gouvernement soviétique fut confronté au problème difficile de mettre fin à la guerre contre l’Allemagne. La fin de la guerre avait été une des revendications du prolétariat et de la paysannerie russes que le parti bolchévique avait intégré dans son programme, mais cette question divisait le comité central en deux positions opposées. D’un côté, on trouvait ceux qui pensaient qu’il fallait mener jusqu’au bout une guerre révolutionnaire offensive, comptant sur le fait que cela déclencherait la révolution dans les États impliqués, tandis que l’autre position posait le fait que la seule option possible à ce moment-là était de signer un accord de paix, après que le prolétariat russe ait déjà montré qu’il ne pactisait pas avec l’impérialisme allemand. Alexandra se joignait à la première position, alors que Lénine défendait la seconde, considérant qu’une position défensive était momentanément nécessaire pour pouvoir maintenir ce qui avait déjà été conquis. La tendance appuyée par Kollontaï fut nommée « communiste de gauche ». La position concernant la guerre avec l’Allemagne ainsi que d’autres différences commencèrent à séparer ce groupe du parti. Cette situation amena à ce qu’au VIIème Congrès, dédié à la paix de Brest-Litovsk, Kollontaï renonce à son poste au comité central du Parti ainsi qu’à sa charge de Commissaire du peuple.

Au cours des mois suivants, les différences que gardaient les communistes de gauche s’approfondirent, et à la fin de la guerre civile, ils se constituèrent en courant d’opposition, l’Opposition ouvrière. Dès sa formation, Alexandra fut une des principales figures de ce courant.

L’Opposition ouvrière centra son opposition sur la politique du parti concernant deux questions fondamentales qui traversaient le nouvel État soviétique durant ces années, même si ce n’étaient pas les seules. D’une part, la Nouvelle politique économique (NEP), et d’autre part, la relation des syndicats avec l’État.

En mars 1922 se tenait le XIe congrès du parti, au cours duquel tous ceux qui avaient fait partie de l’Opposition ouvrière se dispersèrent. Kollontaï s’en dissocia, à la différence d’autres de ses camarades qui d’une façon ou d’une autre y restèrent attachés.

Ses dernières années d’activité

De 1922 jusqu’à sa mort, Kollontaï ne participa plus à aucun des débats qui traversaient le Parti communiste russe. Elle fut nommée cette année-là à une mission diplomatique, et à partir de ce moment s’éloigna totalement du terrain des évènements politiques russes. Elle vécut au Mexique, en Finlande et en Suède, jusqu’à ce qu’elle retourne, en 1945, à Moscou, où, alors très malade, elle resta enfermée chez elle jusqu’à sa mort en 1953.

Il est difficile de connaître en profondeur la position d’Alexandra Kollontaï sur la situation en Russie soviétique durant ces années, dans la mesure où à partir de 1922 elle cessa de se positionner publiquement sur les questions partisanes, se dédiant exclusivement à son activité diplomatique et gardant le silence face à la bureaucratisation. Il est extrêmement compliqué de comprendre cette attitude silencieuse et cette passivité au sujet du stalinisme en considérant ses positions politiques antérieures à 1922. Il est particulièrement difficile de justifier ce silence face à la Constitution de 1936 qui, en ce qui concerne les femmes, imposait un recul énorme sur les avancées obtenues en 1917, sans oublier que Kollontaï était une des voix les plus critiques de la Constitution de 1918, qu’elle considérait alors arriérée concernant les droits des femmes. Plus encore, lorsque nous connaissons ses textes traitant de la question des femmes, qui sont diamétralement opposés à la situation que vivront les femmes russes dans les années suivantes.

Dans un résumé de « La bolchévique amoureuse », Andrea D’Atri signalait :

« Combien y a-t-il eu de méconnaissances à propos de ce qui a été rendu possible dans l’État ouvrier emprisonné par la botte de Staline ? Combien de déceptions, de scepticisme, de démoralisation et de lassitude quant au fait d’entreprendre une nouvelle bataille pour ses convictions ? Ce qui est certain, c’est qu’Alexandra Kollontaï, qui a en de maintes occasions gardé des divergences avec la ligne directrice de Lénine et qui a, pourtant, toujours respecté la décision majoritaire et les résolutions du parti, garda cette fois le silence. Essaya-t-elle une fois de plus de respecter la discipline sans faire de remous ? Ou était-ce plutôt une tentative d’échapper aux griffes de la réaction qui écrasait quiconque critiquait les camps de travaux forcés, les procès sommaires et les fusillades ? »

Ce qui est certain c’est que, en dépit de son adaptation au stalinisme lors de ses dernières années, ses précédents apports au socialisme international et en particulier pour l’émancipation des femmes sont inégalables. Dans un prochain article, nous aborderons ses élaborations théoriques sur la question de « la femme nouvelle », « l’amour libre », la « crise sexuelle » et la révolution.

Voir : Alexandra Kollontaï : l’amour et la révolution sexuelle

 
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