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La Izquierda Diario
23 de février de 2017 Twitter Faceboock

#1917. Petrograd, de la manifestation des ouvrières du 23 février à l’insurrection du 27
Les « Cinq jours » de la révolution de février (I) De la revendication « du pain » à la grève générale contre l’autocratie

L’insurrection éclair qui provoquera la chute du tsarisme et l’instauration d’un double pouvoir en Russie, a débuté le 23 février à Petrograd, à l’occasion de la journée internationale des femmes. En cinq jours et quatre nuits, les manifestations tourneront à l’insurrection armée. Nous consacrons cette première partie aux trois premières journées, qui voient s’opérer la généralisation de la grève, et amènent au point de basculement, lorsque face à la police, puis à l’armée mobilisée sur ordre du Tsar, les mutineries et la fraternisation entre soldats et ouvriers insurgés ouvriront la voie au renversement du pouvoir monarchique.

Claire Manor

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I. 23-25 février : montée en puissance de la grève et germes de l’affrontement à venir

Une population à bout, contre un pouvoir chancelant : une « émeute de la faim » ?

Les conséquences dramatiques d’une guerre contre l’Allemagne qui s’éternise pèsent sur les populations paysannes et ouvrières. Les transports sont déstructurés, les approvisionnements raréfiés, les produits manufacturés ne sont plus acheminés. La pénurie menace de s’aggraver encore.

Depuis le début janvier, après l’annonce d’un probable rationnement du pain, un profond mouvement de grève s’est engagé dans plusieurs villes. Faute d’approvisionnement, l’usine d’armement Poutilov met au chômage des milliers d’ouvriers. Chômeurs et grévistes descendus en masse dans la rue se joignent à la manifestation des femmes, qui s’avèrera rétrospectivement être le premier acte de cette première révolution de 1917. Tandis qu’elles défilent en criant « du pain ! », les ouvriers grévistes viennent rapidement grossir leurs rangs.

Le Tsar, dont les difficultés militaires affaiblissent l’autorité, entouré d’un état-major totalement incompétent, ne se doute aucunement de la montée révolutionnaire qui se prépare. Pas plus, d’ailleurs, que les rares dirigeants révolutionnaires présents à Petrograd. Convaincus qu’il ne s’agit là que d’une « émeute de la faim » les uns et les autres tardent à mettre en place leur rapport de force. Le mouvement spontané des masses va les devancer largement.

La répression en marche face à la généralisation de la grève : de la police à l’armée, des revolvers aux mitrailleuses

Dès le lendemain, 24 février, le mouvement de protestation s’étend. Près de 150 000 grévistes convergent vers le centre-ville. Les mots d’ordre sont de plus en plus radicaux : « A bas la guerre ! », « A bas l’autocratie ! ». La grève devient générale. Face à ce durcissement, les forces de répression entrent en action.

C’est tout d’abord aux régiments d’élite qu’incombe cette besogne, dragons et cosaques à cheval qui, n’ayant reçu aucune consigne précise, sont assez vite débordés et ne parviennent pas à disperser les manifestants. Les cosaques, jouant pratiquement le rôle de gendarmes, jouissent d’un statut spécial et leur lien de subordination à l’Etat-major est quasi inexistant. L’ouvrier Kaïourov a raconté comment, « sous l’œil des cosaques, des manifestants ont été dispersés sous les fouets de la police ». Les ouvriers ôtent alors leurs képis s’approchant des cosaques : « Frères, Cosaques ! Aidez les travailleurs, leurs revendications sont justes et pacifiques ». D’une manière générale, l’armée n’est pratiquement pas présente dans les deux premières journées du mouvement. Les quelques cavaliers et fantassins mobilisés se contentent de dresser des barrages ou quelquefois même laissent faire.

« Le clin d’œil du cosaque »

Ainsi que le raconte Trotsky, quelque chose d’essentiel commence déjà à se jouer ce 24 février : « … 2 500 hommes, sur la Perspective Sampsonovsky, … dans un passage étroit, tombèrent sur des Cosaques. Poussant leurs chevaux, les officiers fendirent les premiers la foule. Derrière eux, sur toute la largeur de la chaussée, trottaient les Cosaques. Moment décisif ! Mais les cavaliers passèrent prudemment, en longue file, par le couloir que venaient de leur ouvrir leurs officiers. "Certains d’entre eux souriaient, écrit Kaïourov, et l’un d’eux cligna de l’œil, en copain, du côté des ouvriers". Il signifiait quelque chose, ce clin d’œil ! Les ouvriers s’étaient enhardis, dans un esprit de sympathie et non d’hostilité à l’égard des Cosaques qu’ils avaient légèrement contaminés. L’homme qui avait cligné de l’œil eut des imitateurs. En dépit des nouvelles tentatives des officiers, les Cosaques, sans contrevenir ouvertement à la discipline, ne pourchassèrent pas la foule avec trop d’insistance et passèrent seulement à travers elle. »

En résumé, jusqu’ici les armes n’ont pas encore vraiment parlé. C’est à la police du tsar, rompue à la répression, que les manifestants vont d’abord avoir affaire. Objet d’une détestation absolue de la part de la population, les policiers stimulent, par leur présence même, la riposte. Les escarmouches sont innombrables. La lutte s’intensifie jusqu’à provoquer des morts des deux côtés. Mais les masses tiennent bon. Elles désarment un à un les Pharaons (agents de police) détestés. Le soir du 25 février, certains quartiers comme Vyborg se trouvent même complètement aux mains des rebelles qui saccagent des commissariats et écrasent les policiers.

Du côté du pouvoir comme de celui des manifestants, la question de la force et des armes est posée. Nicolas II, refusant toute négociation, ordonne de « Faire cesser par la force, avant demain les désordres de Petrograd », contraignant le gouvernement à mettre en ligne les troupes. Et pour marquer qu’il est à l’offensive, il fait arrêter dans la nuit une centaine de militants révolutionnaires.

Les insurgés, quant à eux, sentent l’urgence de se procurer des armes. Ils savent que les quelques revolvers arrachés aux policiers ne suffiront pas. Ils attendent anxieusement le lendemain car « les troupes n’ont pas encore dit leur dernier mot ».

Une armée en déconfiture, traversée de contradictions

Quelle est donc cette armée de laquelle semble désormais dépendre l’infléchissement du cours des évènements ? Le Tsar en a pris le commandement suprême ce qui, en plein recul national sur le front, équivaut à un acte suicidaire pour l’autocratie. Formée de près de dix millions de paysans mobilisés depuis plus de trois ans dans une guerre dont ils ne comprennent pas le sens, l’armée russe connaît une décomposition en profondeur. Presque tous les généraux se plaignent du manque de patriotisme de ces soldats-paysans politiquement peu intégrés à la nation. Ils observent aussi la distance énorme qui existe entre les officiers, les jeunes des écoles d’officiers et la masse de ces « deuxième-classe » qu’ils regardent de haut et traitent encore souvent comme des serfs.

La garnison restée à Petrograd est une armée de réserve destinée à aller sur le front. Elle est composée d’hommes plus âgés, souvent pères de famille, qui rêvent essentiellement du partage de la terre et de l’expropriation des grands propriétaires terriens, développant une méfiance instinctive contre la ville et contre l’aristocratie qui vit dans le luxe. Les chefs d’état-major sont conscients de la fragilité de leur autorité sur ces étranges soldats. Ils leur font si peu confiance qu’ils tardent à les mobiliser pour tuer dans l’œuf la révolte naissante et préfèrent laisser la besogne à la police.

Ce n’est donc que le 25 février au soir, alors que, depuis la veille, des meetings se sont improvisés un peu partout, que la grève est devenue générale, que les manifestations n’ont fait que s’amplifier au son des slogans « À bas la guerre ! », « À bas l’autocratie ! » définitivement adoptés, que la mobilisation est décrétée. Sur l’ordre d’un Nicolas II enfin réveillé, les troupes sont rassemblées avec leurs fusils et leurs mitrailleuses. Le général Khabalov qui dirige les opérations ne cessera, tout au long de l’insurrection, de chercher à obtenir un détachement suffisamment sûr pour faire face. Mais ce renfort ne lui parviendra jamais.

Lire la partie II, consacrée aux journées des 26 et 27 février, lors desquelles se décidera le sort de la crise révolutionnaire dans le sens de la victoire des insurgés.

 
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