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27 de septembre de 2017 Twitter Faceboock

Catalogne
Les marxistes, l’auto-détermination des peuples et question nationale catalane (partie 2)
Camille Münzer

La situation inouïe que l’on vit actuellement dans l’Etat Espagnol où les tentions entre la Catalogne et le gouvernement central ne font qu’augmenter, ramène sur le devant de la scène les débats autour du droit à l’auto-détermination des peuples. Nous abordons ci-dessous quelques éléments sur la façon dont la question a été débattue entre les marxistes ainsi que sur la question nationale catalane elle-même.

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La question catalane au XXème siècle

Le débat central dans l’histoire de la question nationale dans l’Etat Espagnol a été toujours le rôle des classes dominantes des nations opprimées dans la lutte pour l’autodétermination des nations et la question de l’alliance de classes qui ferait aboutir cette revendication. C’est le cas encore aujourd’hui en Catalogne, où différents secteurs indépendantistes catalans tendent la main à la bourgeoisie pour qu’elle dirige le processus, alors que les partis de la bourgeoisie catalane (PDECAT, avant CDC et CiU) sont aussi les partis de l’austérité, des coupes budgétaires et de la répression du mouvement ouvrier.

Dans l’histoire de l’Etat Espagnol, une république catalane a été déclarée en trois occasions. Mais, à chaque fois, la revendication d’autonomie et d’indépendance à été portée par différentes forces ou secteurs de la société. Ainsi, au cours du XIXè siècle, le « catalanisme » a des origines bourgeoises, lié à des secteurs d’industriels qui voulaient se démarquer de l’orientation économique agricole du reste du pays. Ceci le pousse alors à avoir des positions anti-centralisées en faveur d’une meilleure redistribution des pouvoirs. Ceci culmine, lors du « Sexenio revolucionario », ou le « sexennat démocratique ». La révolution de septembre 1868 ouvre une période révolutionnaire avec la chute de Isabel II. Après l’échec de la monarchie constitutionnelle, le 11 février 1873 la République centralisée est proclamée, contre ceux qui voulaient une fédération. En Catalogne les fédéralistes étaient majoritaires et voulaient un auto-gouvernement des nationalités. En mars 1873, des manifestations de masse réclament un Etat catalan au sein de la République espagnole. Mais les dirigeants de la Diputacio négocient avec Estanislao Figueras, président du pays (d’origine catalane), une certaine autonomie pour la région. Cette autonomie ne durera pas très longtemps, car en 1874 un coup d’Etat met fin à la Première République et à toute aspiration à l’autonomie ou à l’indépendance.

Quand la deuxième République est déclarée à Madrid, le 14 avril 1931, au milieu d’une crise politique et économique, dans le contexte de la chute des royalistes et d’une vague républicaine, le même jour, à Barcelone, est déclarée la République de Catalogne par Francesc Masia, au sein d’une République fédérale. Ce catalanisme était déjà de nature différente à celui qui s’était manifesté lors de la deuxième moitié du XIXè siècle. Il était en lien avec les mouvements démocratiques en lutte contre la dictature de Primo de Rivera (1923-1930), ce qui donne naissance en 1931 à Esquerra Republicana de Catalunya, organisation républicaine, laïque et social-démocrate. Ce catalanisme petit-bourgeois de gauche avait tiré les conclusions suivantes : l’autodétermination est impossible dans le cadre de la monarchie et elle ne peut aboutir sans le soutien de secteurs de masses.

La République de Catalogne de Masia n’a duré que trois jours, après que Masia ait négocié avec Madrid un statut autonomique. Puis, quelques années plus tard, en 1934, lors d’une crise politique qui menaçait de voir arriver trois ministres fascistes au gouvernement national, ont lieu des manifestations de masse avec un aspect insurrectionnel. Le Parti Socialiste (PSOE) et l’UGT, un des principaux syndicats, menaçaient de déclencher la grève générale, tandis que les masses réclamaient des armes pour défendre la démocratie. Par peur de voir se dérouler une vraie révolution avec les ouvriers en armes, le président du gouvernement catalan, la Generalitat, Lluis Companys, de la Gauche Républicaine de Catalogne (ERC), s’empresse de proclamer la république le 6 octobre 1934. Mais c’était du bluff. Companys avait peur d’une révolution ouvrière, comme celle qui avait lieu en même temps en Asturies. Madrid ne peut pas le tolérer et envoie l’armée réprimer toute tentative d’indépendance. Le 7 octobre l’armée prend en assaut le palais de la Generalitat et arrête Companys. Il voulait éviter une révolution et négocier l’autonomie de la Catalogne avec Madrid, mais ce ne sera que partie remise.

Quatre conclusions de cette brève histoire politique de la Catalogne. Premièrement, que les organisations ouvrières et des larges secteurs de masse ont participé aux mobilisations qui ont mis en crise plus d’une fois le gouvernement central de Madrid. Deuxièmement, que les tentatives de déclaration d’indépendance ont eu lieu dans des contextes de crise politique de la bourgeoisie et crise économique dans le pays. Troisièmement, que à chaque mobilisation des masses il y avait un mélange entre revendications nationales et revendications sociales et, à chaque fois, la bourgeoisie catalane freinait ou trahissait ouvertement le processus. Quatrièmement, que la question de l’indépendance politique vis-à-vis de la bourgeoisie catalane est centrale dans ces processus.

C’est lorsque la mobilisation a été dirigée à la fois contre la bourgeoisie catalane et contre le gouvernement central de Madrid qu’il y a eu, une seule fois dans l’histoire, une véritable indépendance pour la Catalogne. C’était en juillet 1936, pendant la révolution, qui avait un de ses épicentres en Catalogne. Quand en juillet 1936 a lieu un soulèvement fasciste dans tout le pays, à Barcelone, la mobilisation populaire réussit à écraser l’insurrection. C’est le début d’un processus révolutionnaire profond, avec un degré important d’auto-organisation : des barricades son levées pour faire face au soulèvement fasciste, des usines sont occupées et aussitôt elles se sont mises à produire des armes sous contrôle ouvrier. Une milice populaire prend forme et devient, en quelque sorte, la première armée de la Catalogne. Les masses n’ont pas eu besoin de la bourgeoisie catalane, qui fuyait terrorisée les ouvriers en armes.

Malheureusement, les organisations ouvrières, dont la CNT, la plus importante, avec ERC et le Parti Socialiste Catalan, entrent dans un gouvernement qui voulait en finir avec les milices populaires et les usines occupées. En juillet 1937, la Generalitat essaye d’en finir avec la révolution en Catalogne en délogeant le bâtiment de la Telefonica, occupée par la CNT. De nouveau Companys préférait finir d’abord avec la révolution qui avait donné une véritable indépendance à la Catalogne, que de voir la Catalogne dirigée par la classe ouvrière.

Paradoxalement, la politique répressive brutale du franquisme contre toute forme de catalanisme ou régionalisme a contribué à répandre le sentiment national de manière crypto-politique à des larges couches de la société. Pendant la dictature, le catalanisme s’est exprimé, entre autres, dans des productions culturelles (littérature, musique, etc.), voire religieuses, sous le signe de la résistance à Franco. Par conséquent, à la fin de la dictature, le catalanisme était revendiqué par un très large éventail de forces politiques.

Toute alliance politique avec la bourgeoisie catalane a impliqué un renoncement à toute perspective réelle d’autodétermination. Aujourd’hui, celle-ci, comme par le passé, les patrons du Foment del Treball (le Medef catalan) à travers ses partis politiques parlent d’autonomie et d’indépendance pour mieux négocier leur face à Madrid un partage du gâteau et une meilleure place dans le régime pourri issu de la Transition après la fin de la dictature. De même, comme dans le passé, ce sont les secteurs ouvriers et populaires qui aujourd’hui sont les principales victimes de la crise et de l’oppression nationale.

La nécessité de l’indépendance politique du mouvement pour l’autodétermination

Depuis les années 2000 et tout particulièrement depuis la crise économique, la question catalane est revenue aux devants de la scène politique dans l’Etat Espagnol. A trois reprises, les aspirations à l’autodétermination du peuple catalan ont été enrayées par leurs propres gouvernants et par la machine étatique espagnole.

Le statut juridique de la Catalogne était régi depuis 1979 par un accord mis en place à l’époque de la Transition, après la fin de la dictature. Comme le dit Adrià Mateu, ce texte, à vocation consensuelle, a été rédigé dans le but d’obtenir le soutien de toutes les forces démocratiques. De façons contradictoire, il reconnaît à la fois l’unité de la nation espagnole et l’autonomie des régionshttp://www.laviedesidees.fr/La-Cata.... Une telle ambiguïté sur la question de l’autonomie et l’auto-gouvernement ne faisait que repousser la question, puisque ce texte issu d’un pacte entre les institutions étatiques et catalanes a été rédigé à une époque où la norme était le consensus post-franquiste.

Dès 2002, le Parlement catalan s’était lancé dans l’étude d’une réforme du statut d’autonomie. En 2006 s’ouvre le débat autour d’un nouveau statut pour la Catalogne qui renforce l’autonomie sur certains domaines. Celui-ci est voté le 18 juin 2006, avec 73,9% pour et 50% de participation. Les débats entre Madrid et Barcelone sont houleux, mais surtout parce que un des enjeux du Estatut d’Autonomie était la distribution de pouvoir politique, la distribution des entrées de l’Etat et la gestion des impôts. En dernière instance, il s’agissait de savoir s’il y allait avoir plus d’argent pour la région, qui allait le gérer et comment. La Generalitat s’intéressait moins de savoir si la Catalogne était une nation que de savoir si l’aéroport de Barcelone allait être administré par Madrid ou par les autorités locales. Pourtant, le statut d’autonomie de 2006 était complété par un « préambule » qui définissait la Catalogne comme une « nation », ce qui va attirer les foudres de Madrid.

Ce référendum n’avait donc rien de démocratique. Il s’agissait plus d’une farce du droit des nations à disposer d’elles-mêmes que d’autre chose : on allait dire « oui » ou « non » à quelque chose qui avait déjà été négocié au dos de la majorité de la population entre différentes variantes de la bourgeoisie. Le « oui, » autour d’un pôle « national » qui allait du PSC à CiU (démocrates libéraux) qui négociaient pour mieux se partager les dividendes avec Madrid. Le « non » de la droite réactionnaire du PP et de l’extrême droite madriliste.

Cette fausse démocratie a été démasquée quelques jours plus tard, quand le Tribunal constitutionnel, c’est-à-dire 10 personnes, a remis en cause la moitié des articles du statut, au nom de la Constitution et de l’ « indivisibilité de l’Espagne ». Jusqu’en 2010, le gouvernement de l’Etat Espagnol a essayé de rendre inconstitutionnel la plupart des articles du statut. Dans l’état actuel, la contradiction issue du statut de 1979 demeure, puisque si le statut des Communautés autonomes permet que ce dernier puisse être modifié sans réformer la Constitution de l’Etat espagnol, la Constitution continue de primer sur les statuts des Communautés…

Le 23 janvier 2013, le Parlement catalan approuve avec 85 voix pour et 41 voix contre une déclaration pour que peuple catalan puisse décider et se revendiquer comme « sujet politique et juridique souverain ». Il s’agissait d’une déclaration principalement d’ordre symbolique face à l’offensive recentralisatrice du Parti Populaire (droite conservatrice) et PSOE/PSC qui a commencé avec la crise économique et les débats autour du Estatut. Le PP a crié au scandale et a annoncé qu’il utilisera tous les moyens pour garantir la « constitutionnalité » et la « légalité ». La constitution de 1978 donne effectivement au gouvernement central, au Roi et à l’armée, le pouvoir de suspendre l’autonomie catalane et donner lieu à une intervention militaire directe.

Le PSC, traditionnellement hostile au catalanisme politique, propose l’issue d’un Etat fédéral, ce qui constitue un règlement à l’amiable de la question catalane. Ceci s’explique par la crise du PSOE, qui a en Catalogne un de ses bastions historiques, et la montée des formations politiques indépendantistes. En face, les forces indépendantistes ont formé un bloc de CiU (droite libérale catalaniste), jusqu’au ERC et même l’extrême gauche indépendantiste des CUP (qui participe avec un « oui » critique).

Depuis les manifestations massives de la Diada, la fête de la Catalogne, qui réunissent à chaque occasion plusieurs centaines de milliers de personnes depuis 2010, CiU (et sa version actuelle, le PDECAT) et ERC ont essayé de faire sortir des rues la lutte pour l’autodétermination et la transformer en un processus électoral. Ils veulent devenir la direction « responsable » du mouvement en parlant, d’un côté, d’indépendance et d’un Etat séparé, et de l’autre en évitant un choc frontal avec Madrid. On assiste au même processus qui a eu lieu tout au long du XXème siècle. La bourgeoisie catalane cherche à récupérer les aspirations d’une très large majorité de la population pour les détourner dans des compromis avec l’Etat central. Ceci n’est jamais simple, car le mouvement indépendantiste est plus radical qu’avant, mais il ne sera jamais prêt à aller au-delà de la légalité comme on l’a vu en novembre 2013.

Qu’en est-il des forces de la « gauche » ? ERC, qui a représenté pendant longtemps un indépendantisme de gauche, a gouverné de longues années avec le PSC et les Verts, en appliquant les coupes budgétaires depuis la crise. En même temps qu’ils se sont subordonnés à l’ « agenda social » de CiU, comme ils sont subordonnés à son « agenda national ». Ils ont un nationalisme grandiloquent qui les a poussé à déclarer l’indépendance deux fois au XXè siècle, mais qui a toujours eu plus peur du peuple en armes que de l’armée Espagnole.

La gauche de la gauche s’est nourrie de la perte de légitimité d’ERC. C’est ainsi qu’on a vu se développer les CUP (Candidature d’Unitat Popular – Alternativa d’Esquerres), issues de l’altermondialisme et l’indépendantisme anti-capitaliste, qui sont arrivées au Parlement en 2012. En janvier 2013, ils ont critiqué l’absence à la référence à un mouvement populaire dans la déclaration, mais se sont vus associés au « front patriotique » derrière CiU. En plus, leur méthode pour défendre le droit à l’auto-détermination apparaît bien faible face aux menaces d’intervention de Madrid : désobéissance civile et mobilisation pacifique.

Face à la radicalisation du mouvement pour l’autodétermination, Artur Mas, président du gouvernement catalan de 2010 à 2016, appelle à un référendum le 9 novembre 2013, promis dans la déclaration de janvier. Mais la consultation proposée par Mas est donc mort-née. L’aile la plus radical de l’indépendantisme a cherché à maintenir la consultation, ce qui convenait parfaitement à Artur Mas, parce que celui-ci voulait maintenir la consultation sans avoir à mettre les mains à la pâte. La consultation a donc surtout été d’ordre symbolique, sans conséquences légales. Il a toutefois promis que si le Tribunal Constitutionnel (celui qui avait remis en cause la plupart du Estatut) demandait de retirer les urnes, il enverrait la police arracher les bulletins des mains des indépendantistes.

La consultation avait néanmoins créé des expectatives. Contre toute attente, le 9 novembre il y a eu 2 250 000 personnes qui ont participé à la consultation, dont 80% ont dit oui à l’indépendance. C’était la plus grande démonstration de la revendication du droit à décider depuis la fin de la dictature, malgré les tentatives de Madrid ou du gouvernement catalan pour en limiter la portée : enlever sa portée légale, installer seulement un tiers des bureaux de vote, des menaces à peine voilées d’intervention de Madrid, etc. Deux choses sont certaines à l’issue de la consultation de 2013 : une large majorité de la population est pour le droit à décider (qu’il s’agisse d’indépendance ou pas) et que ce vote était une contestation du pouvoir de Madrid et ses interdictions.

Conclusion

La lutte pour l’autodétermination du peuple catalan est entrée dans une nouvelle étape le 20 septembre dernier avec les arrestations et les perquisitions à Barcelone. Le niveau de conflictualité a trouvé des niveaux qui ont été atteints au XXème siècle seulement au cours de processus politiques profonds. Le bras de fer parlementaire entre la coalition indépendantiste du Junts Pel Si et Madrid a déclenché des mobilisations de rue et l’entrée sur scène (encore très minoritaire) du mouvement ouvrier et de la jeunesse. Mais le gouvernement local n’a jamais voulut défendre jusqu’aux dernières conséquences la tenue du référendum. Effectivement, seulement des mobilisations de rue et une grande mobilisation sociale peut garantir la tenue de celui-ci.

De manière plus générale, l’exemple catalan montre que c’est une erreur de penser qu’on peut conquérir l’auto-détermination sans une large mobilisation des masses, sans indépendance des partis patronaux et sans lutter contre le régime de la Transition et le capitalisme espagnol et catalan. La bourgeoisie catalane n’est jamais allée au bout de ses discours sur l’indépendance, car les classes populaires de catalogne ne veulent pas se battre que sur la question nationale, mais aussi pour le droit au logement, l’emploi, etc. C’est pour cela qu’elle se limite sa lutte à la négociation institutionnelle, à des mobilisations électorales et à des référendums symboliques. Elle a plus peur de la mobilisation indépendante des travailleurs et des travailleuses et des masses opprimées que de ses alliés d’affaires.

 
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