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La Izquierda Diario
3 de octobre de 2017 Twitter Faceboock

Une « monarchie féministe » ?
Pourquoi le roi saoudien met fin à l’interdiction de conduire pour les femmes ?
Philippe Alcoy

La semaine dernière le roi saoudien Salman bin Abdelaziz a surpris en annonçant, entre autres, la fin de l’interdiction de conduire pour les femmes. Une revendication de longue date des activistes féministes saoudiennes. Cependant, que se cache derrière ce tournant soudain dans ce royaume fidèle allié des puissances occidentales ?

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Les femmes saoudiennes pourront enfin conduire, à partir de juin 2018. Elles peuvent désormais même aller dans des stades assister aux festivités de la fête nationale. Elles pourront même devenir muftis, des savantes religieuses. « Tournant féministe » au royaume des Saoud, diront certains.

Mais en réalité ces mesures aussi élémentaires ne peuvent paraitre comme un « tournant féministe » que dans le contexte d’un régime profondément réactionnaire et arriéré, même pour les standards capitalistes.

La « grande avancée démocratique » dans ce pays allié des puissances impérialistes occidentales dans la région se réduit à autoriser les femmes à conduire. Mais « business is business » et on n’a pas eu besoin d’attendre que les femmes aient le droit de conduire pour signer des contrats milliardaires de vente d’armes à l’Arabie Saoudite.

Certes, pour de millions de femmes ce nouveau droit signifiera être moins dépendantes de leurs maris ou hommes tutélaires, au moins sur le papier. Cependant, en termes de droits des femmes, les saoudiennes sont encore très loin d’avoir un semblant d’égalité légale avec les hommes.

Les pressions internes du régime

Cependant, cette mesure soudaine de la part des autorités saoudiennes pose des questions sur les objectifs politiques recherchés, à moins de croire à la sincérité des « engagements féministes » du roi.

En effet, la décision du roi Salman est déjà en train de faire grincer des dents les secteurs les plus conservateurs de la société, notamment les clercs wahhabites qui sont l’un des piliers du régime saoudien.

En réalité, ce secteur est en conflit plus ou moins ouvert depuis plusieurs mois avec le roi Salman et son fils, le prince héritier, Mohammed bin Salman de 32 ans. En effet, le roi a placé son fils Mohammed comme l’héritier direct, déplaçant son neveu Mohammed bin Nayef en juin dernier. Ce dernier acte venait concrétiser la montée en puissance de Mohammed bin Salman qui depuis 2015 est devenu un homme clé de l’appareil d’Etat. Certains estiment presque sûr que le roi Salman abdiquera prochainement à la faveur de son fils Mohammed.

A cette crise à l’intérieur de la famille Saoud autour de la succession il faut ajouter le programme de réformes ambitieux du prince héritier Mohammed bin Salman, Vision 2030. En effet, la baisse du prix mondial du pétrole et du gaz met en grandes difficultés l’Arabie Saoudite dont les revenues dépendent à 90% des hydrocarbures. Le plan « modernisateur » de Mohammed cherche à diversifier l’économie et à appliquer certaines réformes qui pourraient enlever du pouvoir au clerc.

Une partie de l’opposition à Mohammed et son père est en train de fusionner avec les secteurs conservateurs du clerc. D’ailleurs à la mi-septembre la police saoudienne a arrêté, au milieu de la nuit, des dizaines d’universitaires et des chefs religieux critiques du pouvoir.

Un autre facteur de pression et d’opposition interne importante vient de la part de la population saoudienne elle-même, notamment les secteurs populaires et travailleurs de l’Etat. En effet, les réformes économiques que Mohammed bin Salman voudrait mettre en place impliquent des coupes budgétaires et l’austérité.

La structure de classe en Arabie Saoudite est très particulière. Deux tiers de la classe ouvrière est étrangère et la plupart des salariés saoudiens travaillent pour l’Etat, avec des conditions de travail et des salaires bien plus importants que les travailleurs du privé, majoritairement étrangers. Les coupes budgétaires et des dépenses de l’Etat auraient des impacts directs sur les travailleurs saoudiens et le risque de contestation sociale, malgré toutes les interdictions et la répression, ainsi que d’effritement de la base sociale du régime, est grand.

Pressions externes sur le régime

Sur le plan international, la politique du prince héritier Mohammed se caractérise par une agressivité très claire. La crise ouverte avec le Qatar n’est que la dernière démonstration de cela. Cependant, l’offensive de Mohammed et ses alliés contre le Qatar est en train de prendre l’eau. Rien ne peut assurer qu’à la fin (que pour le moment personne ne voit) ce soit l’Arabie Saoudite qui sorte victorieuse.

Un autre front qui reste ouvert et problématique pour l’Arabie Saoudite est la guerre au Yémen où la coalition menée par les saoudiens est responsable de crimes contre l’humanité. Bien que les puissances occidentales continuent à regarder ailleurs et même à bloquer les tentatives d’ouvrir des enquêtes internationales sur la situation au Yémen, au niveau de l’opinion publique régionale et internationale le royaume est en train de se discréditer profondément.

Tout cela, en plus de la progression des forces de Bachar al-Assad et ses alliés en Syrie, est en train de renforcer le rival régional « historique » de l’Arabie Saoudite : l’Iran. Ryad et Téhéran se trouvent dans une concurrence réactionnaire pour avoir le leadership et être le principal interlocuteur des puissances impérialistes dans la région. Même si l’Iran continue à être considéré comme un partenaire encore peu sûr par les occidentaux.

Maintenant, à cette concurrence réactionnaire pour le leadership régional s’est rajouté la Turquie qui prend de plus ne plus de distance vis-à-vis de Ryad et qui a pris explicitement partie pour le Qatar.

Gagner les femmes et la jeunesse à la base sociale du prince héritier Mohammed

Dans ce contexte, le roi Salman et son fils Mohammed cherchent à faire baisser la pression internationale sur eux et surtout à constituer une nouvelle base sociale pour leur projet de restructuration de l’économie saoudienne et pour faire face à l’opposition au sommet de l’Etat. En ce sens, mettre fin à l’interdiction absurde pour les femmes de conduire est peu couteuse et peut permettre de gagner la sympathie des femmes et des jeunes. En tout cas celui-là est le pari du prince héritier.

Mais donner plus de droits aux femmes a une autre importance pour le projet réformateur de Mohammed bin Salman : faciliter l’insertion des femmes au marché de l’emploi. En effet, actuellement seul 20% des femmes travaillent et leur insertion sur le marché de l’emploi pourrait faire baisser les salaires des travailleurs saoudiens à travers une augmentation de l’offre de la main d’œuvre. Autrement dit, il s’agit d’une manipulation réactionnaire de l’ouverture de certains droits élémentaires, jusqu’à présent niés, pour les femmes.

Cependant, il est possible que pour le moment le roi et son fils avancent sans trop brusquer les différents acteurs, pour éviter que la transition du pouvoir à Mohammed soit chaotique, et pour que ces réformes restent dans le cadre du régime légèrement réformé. Le risque cependant c’est que ces droits octroyés éveillent les passions aussi bien du côté des forces conservatrices que du côté de la jeunesse et des secteurs opprimés de la société saoudienne à la recherche de plus de droits.

 
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