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La Izquierda Diario
23 de octobre de 2017 Twitter Faceboock

Économicisme. Au sud rien de nouveau
Lutte Ouvrière perd la boussole sur la Catalogne
Jean-Patrick Clech

« Presque comme le Brexit » : en dépit de la tournure que prennent les événements en Catalogne, y compris après le discours du Roi, les manifestations d’extrême droite et l’annonce de la mise sous tutelle de la Catalogne par le gouvernement central, Lutte Ouvrière ne bouge pas d’un centimètre dans sa position. LO doit y voir le signe qu’elle sait « garder le cap ». On peut plutôt y voir le signe d’une erreur d’analyse complète sur la question nationale, qui va bien au-delà de la question, conjoncturelle, quoi que centrale, de la Catalogne. Et les citations de Lénine invoquée par LO dans l’avant-dernier numéro de son hebdomadaire, n’y feront rien.

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L’autre constance de LO, c’est le fait d’être des plus diserts sur la question catalane depuis que la crise a commencé. Alors que les secousses qui traversent l’Etat espagnol n’en finissent pas de se faire sentir au-delà des Pyrénées et ne sont pas sans susciter l’inquiétude des impérialistes européens, comme en témoignent les prises de position de Macron ou de Bruxelles, pas plus tard que vendredi, LO fait preuve d’une grande parcimonie dans l’analyse : pas plus d’un article par semaine, flanqué, la semaine dernière, d’un extrait de Lénine sur la question nationale, comme pour donner davantage de vernis orthodoxe à une position qui est tout sauf léniniste. Et même rien pour l’édition de cette semaine. A croire que la question est secondaire.

Ni-Ni

L’idée de fond de Lutte Ouvrière, sur laquelle nous sommes déjà revenus, c’est que, ce qui se joue en Catalogne, c’est un conflit vis-à-vis duquel le monde du travail et la jeunesse n’auraient rien à gagner, n’auraient pas à intervenir, et dans lequel la victoire d’un des deux camps, Madrid, d’un côté, et Barcelone, de l’autre, quel que soit l’issue du bras-de-fer, ne saurait être qu’étranger aux intérêts des travailleurs.

Dans les prises de position de ses militant-e-s, LO est encore plus caricaturale : « Le droit à la séparation de la Catalogne de l’Etat espagnol ? Pourquoi le soutenir ? C’est comme le Brexit ». La phrase est lâchée : sur le papier, on renvoie dos-à-dos Madrid et Barcelone, l’impérialisme espagnol et le mouvement national démocratique catalan, les flics et la garde civile et les centaines de milliers de manifestants et de grévistes qui se sont mobilisés, au cours des dernières semaines, pour ou contre le droit à l’autodétermination.

Espagne et Etat espagnol. Un mésusage sémantique qui en dit long

Avec une telle position, en réalité, c’est comme si l’on était quasiment plus effrayé par le séparatisme que par Madrid. Si l’on suit la logique de LO jusqu’au bout, en effet, autant être conséquent : si la classe ouvrière n’a rien à gagner de sa fragmentation à travers l’apparition de nouvelles frontières, alors autant souhaiter l’unité de l’Etat espagnol. Ou plutôt de « l’Espagne », puisque c’est ainsi, à la façon de la gauche bourgeoise, que l’organisation sœur de LO de l’autre côté des Pyrénées, Voz Obrera, appelle le pays, niant par là même la question du droit à l’autodétermination pour les Basques, les Catalans ou les Galiciens. De Bilbao à Séville en passant par Barcelone, Madrid et La Corogne, dans la gauche radicale et l’extrême gauche, plus personne, à l’exception de la gauche espagnoliste et aux socialistes espagnols, ne parle « d’Espagne », mais d’un Etat composé de plusieurs nationalités, donc d’Etat espagnol. Cela remonte aux années 1970, mais Voz Obrera continue à parler « d’Espagne ».

Myopie analytique

La situation a encore précipité, au cours des derniers jours, avec une radicalisation ultérieure de la position espagnoliste : discours du Roi, coup de force des banques, des grandes entreprises et du capital catalan le plus concentré, déménageant de Barcelone à Madrid ses sièges sociaux pour lancer un message clair en direction du PDECat de Carles Puigdemont, mais aussi et surtout le coup de force contre la Généralité, ce samedi.

Mais il y a eu également, le 3 octobre, la grève générale contre la répression et pour le droit à l’autodétermination. De cet énorme mouvement qui a paralysé complètement le pays, Lutte Ouvrière ne dit pas un mot, pas plus que de la mobilisation en faveur des Jordi ou des Comités de Défense du Référendum (CDR), une centaine de structures territoriales qui représentent un maillage relativement serré des quartiers populaires. « Recul » oblige.

En revanche, paradoxalement, LO s’intéresse à la manifestation du 8 octobre, à Barcelone. Il s’agit de la dernière mobilisation en soutien à l’unité de l’Espagne. En commençant par communiquer un chiffre de manifestants supérieur y compris à la comptabilité des flics de la mairie de Barcelone, à savoir, selon LO, « des centaines de milliers de personnes (…) derrière des slogans qui refusaient l’indépendance, et des manifestants arborant des drapeaux espagnols [faisant] pendant aux manifestations indépendantistes des semaines précédentes » (là où, en réalité, il n’y a pas eu plus de 250.000 manifestants), LO repeint cette manifestation ultra-réactionnaire en un défilé de « personnes qui voulaient simplement dire qu’elles refusaient les objectifs aventureux de Puigdemont et des siens, mais aussi divers groupes de droite et d’extrême droite ». On appréciera le « mais aussi », presque aussi dialectique que le « en même temps » de certains.

Fatalité réactionnaire

Lutte Ouvrière noircit le trait, d’un côté, en parlant du « recul » global de notre camp social, au point d’omettre, dans son analyse, une grève générale, lorsqu’elle existe. Mais l’organisation de Nathalie Arthaud en vient, paradoxalement, à parler de « personnes » là où l’on croise l’extrême droite, des saluts fascistes, des drapeaux franquistes, des organisations néo-nazies et des nostalgiques de la Phalange, comme le recensaient nos camarades de LaIzquierdaDiario.es après ce triste défilé. C’est bien l’extrême droite, en effet, qui a donné le « la » de cette manifestation, organisée en sous-main par les héritiers directs et indirects du franquisme, le Parti Populaire et Ciudadanos.

Alors, certes, pour LO, qui a déjà décrété que la situation était pliée, « ce qui est le plus lourd de conséquences pour les classes populaires de tout le pays [c’est] que Rajoy a réussi à réaliser l’union sacrée derrière sa personne et sa politique ». Mais il n’y aurait rien à faire, tant « les deux nationalismes espagnol et catalan se renforcent l’un l’autre ». En dernière instance, encore, LO situe sur le même plan, la défense du drapeau espagnol par le fils de Juan Carlos de Bourbon, par le dauphin de Franco, par la garde civile et la droite et, de l’autre, le mouvement national démocratique catalan.

La situation vient de connaître un nouveau tournant, avec l’ultimatum fixé par Madrid avant la mise en application l’article 155 de la Constitution, à compter de samedi, à savoir la suspension de l’autonomie régionale catalane. La mise en route de l’article 155 signifierait un saut dans la bonapartisation du régime espagnol. Elle se situe dans la logique de l’incarcération de deux des principaux leaders de l’indépendantisme catalan pour « sédition », expression du tour-de-vis autoritaire que souhaite appliquer le gouvernement de Rajoy avec la complicité des socialistes et de Ciudadanos. A l’opposé, des débrayages, sur les lieux de travail, ont été organisé, dès mardi midi, alors que de grands rassemblement ont déjà été organisés pour protester contre ces nouvelles attaques et exiger de l’exécutif qu’il aille jusqu’au bout dans la riposte face aux attaques de Madrid. Cela, Carles Puigdemont et les politiciens bourgeois qui soutiennent le bloc catalaniste ne le souhaitent à aucun moment, tellement ils sont effrayés par ce que cela pourrait susciter en termes de réaction madrilène et, à l’inverse, de mobilisation populaire en Catalogne et sur l’ensemble de l’Etat espagnol.

La Fraction sur les mêmes positions que LO ? Pas surprenant…

Dans son « édito de boites » faisant pendant aux « éditos de boite » de LO, la Fraction se faisait peu ou prou l’écho, le 2 novembre, des positions de l’organisation de Nathalie Arthaud. La force des travailleurs de Catalogne ne saurait se « résumer à l’agitation d’un petit drapeau catalan qui isole, ou les laisse dans un face à face triste avec leurs patrons catalans ! ». Etrange analyse politique que de faire reposer, sur les travailleurs et les jeunes catalans défendant le droit à l’autodétermination, la responsabilité de leur isolement relatif vis-à-vis du monde du travail dans le reste de la péninsule. Il ne saurait être question, pour la Fraction pas plus que pour LO, de pointer du doigt les directions syndicales et politiques, ouvrières ou néo-réformistes, de CC.OO à l’UGT en passant par Podemos et Izquierda Unida qui font tout pour isoler la Catalogne et soutenir une « issue négociée » basée, en dernière instance, sur la défense du régime de 1978. Interpeler les directions syndicales ? Impossible pour LO et la Fraction. Pas plus en France que dans l’Etat espagnol. Ce serait « susciter des illusions ». Tout l’inverse de la logique de front unique.

A la suite de la manifestation ultra-réactionnaire du 9 octobre, la Fraction a tout de même dû corriger le tir. La matrice du raisonnement politique reste le même, cependant : les classes populaires « ont bien le droit de revendiquer l’indépendance de la Catalogne mais, à leurs problèmes, l’indépendance ne répondra pas. Elles auraient plutôt intérêt à chercher un appui auprès des travailleurs et des jeunes de toutes les régions d’Espagne, qui ont les mêmes problèmes : baisse des salaires, hausse du chômage ».

Economicisme et bordiguisme

De ces deux positions, il ressort deux traits fondamentaux : d’un côté, un économicisme profondément ancré dans le logiciel de LO. C’est ce qui empêche LO de voir comment, aujourd’hui, la question catalane et la mobilisation qui la caractérise remet en cause, structurellement, le pacte constitutionnel de 1978 grâce auquel le bipartisme PSOE-PP espagnoliste a assuré la domination du capital impérialiste espagnol sur l’ensemble des classes populaires et du monde du travail dans tout le pays en mettant un coup d’arrêt à la poussée conflictuelle qui a caractérisé les années 1970 de l’autre côté des Pyrénées. De l’autre, ce que révèle la « question catalane » pour LO, c’est sa conception de la question démocratique et de la question nationale qui est niée en bloc par l’organisation de Nathalie Arthaud qui n’y voit, au mieux, qu’un leurre-à-prolos, dans le pire des cas un piège-à-cons. Pour LO, aucune participation aux manifestations contre l’État d’Urgence, en France, à partir de novembre 2015, au nom du fait que cela n’intéresse pas « notre milieu » (et, accessoirement, que les rassemblements étaient interdits par le ministère de l’Intérieur). Pour l’Etat espagnol, aucun soutien, non plus, au droit des peuples à l’autodétermination au nom du fait que cela diviserait le monde du travail.

Pour argumenter, LO publie un texte de Lénine de mai 1914, « La corruption des ouvriers par un nationalisme raffiné », tel un gage d’orthodoxie. Cette position de mai 1914 de Lénine, utilisée, de façon assez classique, pour justifier telle ou telle défection par rapport à la question nationale, s’oppose non seulement à la position des Bolcheviks d’après novembre 1917 mais doit être contextualisé aux débats entre le POSDR et le Bund à propos de la question nationale et de la question de l’autonomie culturelle.

De façon beaucoup plus classique, mais sans que LO ne le revendique comme un texte fondateur des positions du marxisme révolutionnaire, ce qui n’est pas très étonnant, Trotsky est beaucoup plus clair sur la Catalogne : dans un courrier adressé à ses partisans, dans l’Etat espagnol, le compagnon de Lénine ne saurait être plus clair : « Où est le danger des illusions nationales petites bourgeoises ? En ceci qu’elles peuvent diviser le prolétariat d’Espagne en secteurs nationaux. Le danger est très sérieux. Les communistes espagnols peuvent le combattre avec succès, mais d’une seule manière : en dénonçant implacablement les violences commises par la bourgeoisie de la nation suzeraine et en gagnant ainsi la confiance du prolétariat des nationalités opprimées. Toute autre politique reviendrait à soutenir le nationalisme réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste qui est maîtresse du pays, contra le nationalisme révolutionnaire-démocratique de la petite bourgeoisie d’une nation opprimée ».

Puisque LO a commis, dans son Lutte des Classes de la rentrée, un article taillé sur mesure pour expliquer les raisons de l’échec des discussions avec Lotta Comunista intitulé « Bordiguisme et trotskysme », que pense l’organisation de Nathalie Arthaud du bagage historique du trotskysme sur la question catalane ? En saura-t-on davantage lors de la prochaine livraison de l’hebdomadaire ? Compte-tenu du coup d’Etat institutionnel opéré par Rajoy, les socialistes et le Roi, samedi, on espère que LO saura faire la différence entre « la bourgeoisie de la nation suzeraine » et le « prolétariat des nationalités opprimées », et quand bien même les drapeaux agités dans les manifestants ne seraient pas complètement rouges.

 
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