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La Izquierda Diario
25 de octobre de 2017 Twitter Faceboock

Point de vue d’un syndicaliste
Gouvernements et patronats ont-ils gagné la bataille du dialogue social ?
Anasse Kazib

En cette période de mobilisation contre les ordonnances « réformant » le code du travail, beaucoup se posent la question : pourquoi y a-t-il si peu de travailleurs mobilisés ? À cela bien des réponses : les politiques des directions syndicales, les stratégies foireuses, la divisions des dates et des secteurs, etc… Mais il y a pour moi aussi une raison que nombre d’entre nous faisons semblant de ne pas voir. Certains l’appellent « crise du militantisme », pour ma part, je préfère parler des conséquences démobilisatrices de la politique du « dialogue social », dont j’aimerais tirer le bilan.

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Photo : envahissement du CE de Paris Nord pour le projet de réorganisation des établissements banlieues.

lls sont nombreux, les politiciens et les patrons, à systématiquement nous sortir à tout bout de champs le fameux « dialogue social ». Nous devrions pourtant nous interroger sur cette façon, qu’a le patronat de revendiquer le « dialogue » avec les syndicats dans une entreprise, alors que l’ensemble des salariés lui sont de fait subordonnés. Pourquoi aurait-il tant envie de dialoguer avec des représentants du personnel, des syndicalistes ? Je suis de nature très méfiante lorsqu’il s’agit de faire confiance à ceux qui nous exploitent quotidiennement, comme lorsque j’étais enfant et que mes parents me disaient « surtout ne prend pas des bonbons si un adulte dans la rue t’en propose ». Devons-nous alors prendre ce bonbon que nous tendent le gouvernement et le patronat sous l’estampille du « dialogue social » ?

De quoi le « dialogue social » est-il le nom ?

On le sait très bien si le patronat en use et abuse, c’est surtout pour le mettre en opposition à la grève. Voilà la première raison. Car s’il le revendique, c’est qu’il a vite compris, depuis ces dernières années, et par les politiques des différents gouvernements, de Sarkozy à Hollande, que le « dialogue social », sorte de chantage à la négociation, avait permis de calmer les grèves et brimer l’auto-organisation, tout en faisant passer ses attaques contre les travailleurs.

Pour dire vrai, je pense que cette farce que l’on appelle « dialogue social » a petit à petit visé à pacifier les « relations sociales » pour tenter d’étouffer le syndicalisme lutte de classes, lié historiquement, et en France en particulier, au syndicalisme révolutionnaire ou à l’anarcho-syndicalisme, ou encore aux militants trotskistes et révolutionnaires dans les syndicats. A travers le « dialogue social », gouvernement et patronat ont réussi à rendre inoffensives de nombreuses équipes syndicales et à faire d’elles leur outil pour accompagner les attaques contre les salariés. De la sorte, il a visé à détricoter le militantisme de combat, de lutte, ce syndicalisme qui réfléchit comment taper là où ça fait mal, ce syndicalisme qui réfléchit à former des comités de grève, qui prône l’auto-organisation et les assemblées générales de travailleurs. Tout simplement un syndicalisme lutte des classes, c’est-à-dire, un syndicalisme qui comprend que la société est divisée en classes, et que ces classes-là ont des intérêts irréconciliables. Si toutefois il reste encore dans certains secteurs des formes de syndicalisme combatif, la réalité est que le syndicalisme, à force de dialogue social, s’est empêtré dans un système qui pourrait le conduire à sa fin.

Nous payons aujourd’hui le prix d’une politique qui a visé à transformer ce que pendant longtemps on a appelé « lutte des classes » en un sorte de terrain d’entente, pour effacer petit à petit la lutte par le dialogue. Quand on dialogue : on subit, on accompagne, on discute, on accepte, on négocie. Par contre, on ne lutte pas, on n’arrache pas les choses, on ne revendique plus, ou du moins on est en fin de compte prêts à céder… et lorsque nous sommes face à un patronat qui veut humilier la classe ouvrière pour s’en mettre plein les poches, sans scrupules, alors « céder » veut dire accepter l’humiliation et des reculs sociaux sans précédent. Et si pendant un temps on négociait des avancées, aujourd’hui le dialogue sert surtout les intérêts patronaux, donc à négocier la régression sociale, en fin de compte c’est toujours le patronat qui sort gagnant.

Regardons les « NAO », négociations annuelles obligatoires sur les salaires, qui se transforment en vaste fumisterie, où pendant des années aucun syndicat n’obtient la moindre augmentation salariale. Et on revient l’année suivante, espérant peut-être qu’on obtiendra cette fois-ci une augmentation. Alors on balade comme cela, de mois en mois, d’année en année, les syndicalistes dans des pseudos réunions de « concertation », qui visent en fait à simplement présenter ce que le patron concède en échange d’autres reculs sociaux. Comment se fait-il, avec toute l’histoire de notre classe, que des syndicalistes pensent aujourd’hui obtenir des augmentations salariales ou des améliorations dans nos conditions de travail autour d’une table plutôt que dans la grève ?

Les instances représentatives, un levier pour la lutte de classe ou une fin en soi ?

Bien sûr il y a des instances qui peuvent être utiles, comme les réunions des délégués du personnel (DP) ou les Comités d’Hygiène et Sécurité (CHSCT), car elles ont un poids, même si à elles seules ces instances ne suffisent pas et ne permettent pas de construire le rapport de force face au patron. Mais couplées avec un militantisme de terrain et avec la construction du rapport de force au sein des lieux de travail, les prérogatives de ces instances, notamment du CHSCT, ont permis d’envoyer bon nombre de dirigeants en justice pour des accidents mortels ou des scandales comme autour de l’amiante. Mais en dehors d’une construction du rapport de force, d’un syndicalisme combatif, des instances comme les Comités d’entreprise (CE) par exemple constituent une énorme pression sur les représentants du personnel, et nous avons vu bien des syndicalistes impliqués dans des affaires et des scandales de corruption. Car, peut-être vous ne le savez pas, mais les CE que le patron se garde le soin de ne pas gérer pour avoir la paix sociale, sont gérés par les syndicats comme des petites entreprises, avec des salariés et une trésorerie. Alors comment lutter efficacement, comment construire le rapport de force face au patronat et aux gouvernements à leur service, lorsque son rôle d’élu CE revient à être loin du terrain et de la réalité quotidienne des salariés, étant bloqué toute l’année par les réunions et les discussions avec des prestataires ? Ce n’est pas étonnant donc que dans la fusion des instances, le Comité d’entreprise sera transformé en CSE, mais que les DP et CHSCT eux disparaitront complètement, ainsi que toutes les prérogatives pour limiter l’arbitraire des directions face aux salariés.

Si le syndicalisme avant se composait des travailleurs les plus combatifs, où il était normal de se mettre en grève et aller en manifestation, aujourd’hui il se compose, en grande majorité, par des travailleurs qui souvent n’ont pas de culture militante, presque aucune formation, qui parfois n’ont jamais fait une seule journée de grève, mais qui pourtant deviennent, du jour au lendemain, élu Sud, élu CGT, élu FO. Comme si le plus important dans le syndicalisme n’était pas d’avoir des dirigeants ouvriers capables de faire débrayer les collègues, mais plutôt des personnages qui sautent d’instance en instance, passant plus leur temps à « dialoguer » avec la direction, plutôt qu’à motiver les travailleurs à combattre le patronat et les politiques libérales. Aurait-il été imaginable dans des moments plus convulsifs de la lutte de classes que des syndicalistes de FO ou la CGT ne soient pas dans la rue à l’appel de leurs syndicats ? Aujourd’hui cela se passe dans tous les syndicats et dans l’indifférence totale, très souvent, des syndicats eux-mêmes.

Le patronat a su, à travers ce système bien ficelé multipliant les réunions pompeuses, occuper les syndicalistes. Faisant croire que pour obtenir des choses, il suffisait simplement de s’assoir autour d’une table et de poser des questions en réunion. Les syndicalistes sont nombreux à le croire hélas, alors que l’histoire de la classe ouvrière, des grands moments de lutte comme en 1936 ou en 1968, démontrent précisément le contraire.

Alors oui, on passe d’instance en instance, obtenant par moment une « primette » pour les salariés, qu’on nous retire 1 an plus tard, quelque « sauvegarde » d’emploi en échange d’un asservissement. Prenons le cas par exemple de Smart où les délégués (pas tous) ont accepté que les travailleurs, bossent 39h payé 37h, voilà vers où mène souvent ce syndicalisme « made-in » dialogue social. Au final, cela amène de nombreux syndicalistes à penser que ce que le patron refuse de donner dans les « négociations », il est impossible de l’obtenir, alors qu’en réalité tout ce que les travailleurs ont obtenu comme avancées sociales au long de leur histoire, a été grâce au rapport de force.

Il y a un fait récent, qui moi m’a aidé également, à tirer ce bilan. C’est ce reportage de Cash Investigation, sur Lidl et Free, que nous sommes des millions à avoir vu. Je ne critique pas les syndicats de ces entreprises, mais je me demande, en tant que délégué syndical aussi, où étaient-ils dans tout cela ? Comment se fait-il qu’on tolère un management de la sorte sans réagir, sans mettre les magasins à feu et à sang ?

Je ne leur jette pas la pierre, mais je pense que ce dialogue social les a bernés leur faisant croire qu’on pouvait réguler l’exploitation, avec un meilleur chariot élévateur, ou un tapis de caisse plus rapide. Encore une démonstration, s’il en fallait une, pour montrer qu’il y a bien quelque chose qui cloche dans le syndicalisme d’aujourd’hui. Le pire c’est que des entreprises où les choses se passent comme chez Lidl ou Free sont encore trop nombreuses et plus le syndicalisme combatif disparaît, plus ce type de management prospère.

Bien entendu il y a d’autres facteurs à prendre en considération, mais si seulement on pouvait voir l’ensemble des adhérents et militants en grève et dans la rue en train de battre le pavé, on pourrait en tirer d’autres conclusions. Et je ne parle même pas des cas de répression médiatisés, où souvent la plupart des élus d’une même organisation, ne se déplacent même plus pour défendre leurs camarades réprimés, ou pour demander justice pour des militants qui se sont suicidés à cause de cette même répression. Comme si aujourd’hui appartenir à un syndicat ne voulait plus rien dire. Qu’on pouvait être dans un syndicat et faire sa petite vie, sans se sentir l’obligation de s’engager dans une grève ou encore de se déplacer à un rassemblement devant un tribunal pour soutenir un collègue ou un camarade réprimé.

Par moments, il me revient le souvenir de mon camarade Edouard Postal, lui, cheminot et militant syndical qui s’est suicidé le 10 mars dernier Gare St Lazare, réprimé par la boîte car il avait « un regard menaçant ». Je me souviendrai toujours de cet après-midi d’octobre 2016, jour de son conseil de discipline, où nous étions une soixantaine à peine sur le parvis pour le soutenir, et quelques mois plus tard nous étions 2 000 pour commémorer sa mort et exiger justice. Tout cela en dit long sur ce que devient le militantisme. Lui qui s’il était vivant aujourd’hui serait comme il l’a toujours était en tête de cortège, la torche à la main. Alors nous perdons des militants combatifs, qu’on remplace par des « élus ».

Et je me rends compte que je ne suis plus le seul à le penser. Ils sont nombreux chez Sud, FO ou CGT à pointer du doigt cette absence des adhérents et élus syndicaux dans la construction des mobilisations. Tout récemment, Mickael Wamen, ex CGT Goodyear, a écrit une tribune sur internet, demandant où étaient passés les 700.000 adhérents de la CGT ? Et il a raison, comment pouvons-nous être par exemple le 12 Septembre, premier jour de mobilisation contre les ordonnances, 300.000 manifestants toutes organisations confondues, alors que l’ensemble des adhérents de ces organisations dépassent le million d’encartés. Mais le problème est aussi cette sémantique : « encarté », « adhérent », on en vient à se demander pourquoi payer une cotisation, si c’est pour être au travail un jour de grève…

Entre chacun pour soi, et chacun pour sa chapelle, course à l’échalote pour ce qui est des élections, division syndicale à l’heure d’organiser la lutte, intérêts d’appareils, des élus qui sont loin de la réalité quotidienne des salariés… voilà les ingrédients qui permettent de comprendre pourquoi il existe un rejet vis-à-vis des organisations syndicales ou autres, une certaine méfiance. C’est ce que nous avons pu voir lors du mouvement « Nuit Debout » pendant les mobilisations contre la loi travail 2016 : une envie de se mobiliser contre la loi travail et son monde, dans l’unité et dans une dynamique interprofessionnelle, mais à la fois une grande méfiance envers les organisations traditionnelles.

Non, il n’y a rien à négocier !

En fin de compte, les directions syndicales, au niveau national, acceptent d’aller discuter avec le gouvernement, alors qu’il n’y a rien à négocier ! Ce n’est qu’un mythe cette histoire de « dialogue social ». Ce sont juste des réunions où Macron et ses amis expliquent aux représentants syndicaux à quelle sauce ils comptent nous manger ! Il n’y a rien à faire dans les salons de Matignon, la place des syndicalistes et des militants est dans les entreprises pour construire la grève, et dans la rue ! Un point, c’est tout !

Et en ce sens, les ordonnances fusionnant les instances représentatives du personnel sont tombées à point nommé pour le patronat, qui va pouvoir conserver une seule instance qui accompagnera les restructurations, et qui cherche à liquider chaque militant combatif, qui était élu protégé, qui demain ne le sera plus et se fera réprimer sévèrement, voir licencier avec le plafonnement des indemnités de licenciement. Et si les militants combatifs se font licencier, ce sont les travailleurs qui derrière en subiront les conséquences. Tout cela dans un seul but, étrangler toute forme de contestation dans l’entreprise et en dehors. Et ils me font bien rire ces syndicalistes qui par moments disent, « je ne fais pas de politique »… Ah bon ? Pourquoi ça ? Macron et son gouvernement, bossent-ils dans une boucherie ? Qu’est-ce que tout cela, si ce n’est de la politique ? Les ordonnances, les réformes des retraites, la suppression des APL, la suppression des IRP, la suppression de la sécurité sociale, le service minimum, qu’est-ce que c’est sinon de la politique ?

Renouer avec le syndicalisme lutte de classes

Je pense donc qu’il faut plus que jamais renouer avec notre histoire, l’histoire de notre classe, de nos batailles, de nos luttes, de nos acquis, de nos révolutions. Que l’on tire le bilan de nos échecs depuis le CPE, et encore bien avant. Mais il va falloir, pour ce faire, une politique syndicale profondément différente. Il faut qu’on se sépare définitivement de ce dialogue social qui endort les masses, alors que le seul message que je vois de la part de la direction, en tant que délégué du personnel à la SNCF, c’est « je veux bien qu’on discute, mais c’est moi qui décide ». En ce moment de grandes attaques du gouvernement et du patronat se préparent contre nos acquis, renouons avec un syndicalisme lutte de classes, qui se propose de passer véritablement à l’offensive. Pour arrêter de simplement défendre notre bout de gras, et plutôt construire le rapport de force qui nous permette d’aller de l’avant et de lutter véritablement contre les lois que Macron et ses amis veulent nous pondre, mais aussi contre leur monde !

 
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