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La Izquierda Diario
27 de octobre de 2017 Twitter Faceboock

Fausse-bonne solution
Universités. Une majorité pour la sélection à la fac ?
Mar Martin

En 1986, la loi Devaquet voulant instaurer la sélection à l’entrée des université s’était vue retirée suite à la mobilisation massive de milliers d’étudiants et lycéens qui tenaient à préserver l’accès à l’université pour toutes et tous. « Facs ouvertes aux enfants d’ouvriers et d’immigrés » pouvait-on entendre scander dans les rues. 30 ans plus tard, la sélection est à nouveau à l’ordre du jour, semblant cette fois obtenir une approbation bien plus large. Mais d’où vient un tel changement d’opinion ?

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Manifestation du 10 décembre 1986 à Paris en hommage à Malik Oussekine. Crédits photo : Archive AFP

Une majorité d’opinion favorable à la sélection

Alors que la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, doit rendre lundi prochain ses décisions finales quant aux réformes qui seront appliquées aux universités, un récent sondage Ipsos établissait que 66 % des 2 180 personnes sondées se déclaraient favorables à « une forme de sélection des étudiants à l’inscription à l’université ». Y compris parmi les plus concernés, puisque 65 % des 16-24 ans seraient en accord. Des interrogés dont 18 % se disent favorables par « idéologie », et 48 % par « pragmatisme ».

Une opinion qui fait directement suite aux résultats catastrophiques de la dernière session APB, à l’issue de laquelle seuls 6 bacheliers ou étudiants en réorientation sur 10 avaient réussi à s’inscrire dans la formation de leur choix. On est là bien loin de l’année 1986, où les 16-24 ans étaient majoritairement défavorables à la sélection aux portes des universités et s’étaient mobilisés massivement pour obtenir le retrait du projet de réforme.

1986 ou la victoire contre la sélection

Si aujourd’hui (et ces dernières années déjà) le sujet revient sur la table, c’est bien parce qu’en 1986, le projet du Ministre Alain Devaquet de sélection ouverte à l’entrée des universités n’étaient pas passé. Entre le 21 novembre et le 12 décembre de cette année, c’est 3 semaines de mobilisation massive des étudiants, qui mettent en place les outils nécessaires à l’auto-organisation de leur mouvement, assemblées générales, coordinations étudiantes, manifestations. La mobilisation étudiante la plus forte depuis 68 et qui parviendra à imposer au gouvernement de cohabitation Mitterrand-Chirac l’abandon du projet. Et ce malgré la répression très dure qui sera employée pour tenter d’intimider et démobiliser.

Ainsi, sous les ordres du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, c’est entre autres ses pelotons de « voltigeurs », binômes d’agents de répression dont l’un conduit, l’autre frappe, qui sont employés pour matraquer les étudiants et lycéens, ces déjà fameux « casseurs », défilant par centaine de milliers pour que l’université reste accessible à toutes et à tous. Au milieu des nombreux blessés, l’on se souvient surtout de Malik Oussékine, étudiant à Dauphine, manifestant, mais aussi Français d’origine algérienne, qui pour cet ensemble de raisons sera tabassé à mort dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 par ces « voltigeurs ».

Démontrant cette année-là que la détermination et l’action auto-organisée sont en capacité de surmonter toute répression brutale, le mouvement sort victorieux.

Trois décennies plus tard : la misère orchestrée

Entre le souvenir éloquent de la mobilisation massive et victorieuse du mouvement étudiant de 1986, et l’opinion à majorité favorable à la sélection en 2017, l’écart est de taille. Les anciens étaient-ils seulement de doux rêveurs ? Il s’agit plutôt de comprendre comment la sélection peut apparaitre aujourd’hui comme une solution, pour cause de « pragmatisme » comme le déclaraient une grosse partie des sondés d’Ipsos.

Frédérique Vidal le rappelait à l’Obs : « Une fois entrés à l’université, sur neuf étudiants, en moyenne, trois seulement réussissent à passer en deuxième année. » Ça, ajouté à nos amphithéâtres bondés dans lesquels il est impossible d’être attentif et de participer au cours dans de bonnes conditions : c’est ce tableau qui semble justifier le recours à la sélection, pour que ceux et celles qui sont inscrits puissent avoir des chances correctes de réussite, autant que pour éviter aux potentiels étudiants mal orientés de perdre une année.

Mais cette apparente solution part d’un postulat à questionner : le nombre d’étudiants serait la source du problème, incluant par ailleurs un certain nombre de jeunes mal orientés, que ce soit par méconnaissance de la filière choisie ou par manque de formation préalable.

Pourtant, s’il est vrai que le nombre de demandes d’inscription à l’université augmente d’année en année, la difficulté à tous les loger à bonne enseigne vient surtout d’une absence de prévision, puisque le nombre de lycéens avait logiquement augmenté préalablement.

Les gouvernements successifs ainsi que les classes dominantes ont voulu restreindre l’accès à l’université dès les années 80. Si elles ont été forcées de reculer en 1986, elles n’ont de toute évidence pas abandonné le projet. Ainsi elles ont employé les trois décennies qui ont suivi pour orchestrer la situation actuelle qui règne dans les universités : laisser augmenter le nombre d’inscrits sans augmenter les budgets des universités en conséquence, sans prévoir de travaux d’agrandissement des locaux pour adapter ces derniers, sans faciliter et appuyer l’accès aux bourses et autres aides pour les plus en difficulté, sans augmenter le nombre de travailleurs (enseignants et personnels) des universités.

Bien au contraire, ces dernières années ont été le fruit de « l’autonomisation des universités », autonomie non pas pour que les étudiants et travailleurs de la fac décident eux-mêmes du contenu de leurs enseignements et de la gestion de leur lieu de travail, mais autonomie en termes financiers d’abord. Les universités, dont le budget par étudiant alloué par le gouvernement n’a cessé de chuter, doivent aujourd’hui de plus en plus trouver leurs propres financements, faisant ainsi entrer les personnalités politiques et chefs d’entreprises dans leurs instances de direction. En parallèle, la réduction du nombre de postes d’enseignants et d’administratifs rend nos profs et secrétaires de plus en plus précaires et surchargés de travail, puisque moins nombreux.

Ajoutons l’augmentation du coût de la vie (alimentation, loyer, transports) couplée aux diminutions des bourses et APL, amenant ainsi plus de la moitié des étudiants à devoir travailler pendant leurs études, favorisant ainsi leur échec. Et l’on peut penser également au nombre d’abandons liés aux cas de harcèlement moral ou sexuel vécu par bon nombre d’étudiantes. Bref une liste non exhaustive des éléments qui amènent une grande partie des étudiants à échouer ou abandonner dans leurs premières années.

Ainsi la boucle est bouclée : plus d’étudiants, moins de personnels pour les accompagner, l’échec favorisé. Voilà comment les apparences semblent aujourd’hui justifier la mise en place de la sélection à l’université, alors que nos parents l’avaient fermement refusée : en ayant savamment utilisé les 30 dernières années à orchestrer la surpopulation à l’université, et la mise en échec des étudiants. Ce pour parvenir finalement aux plans initiaux : réduire le nombre de travailleurs qualifiés, pour leur préférer une main d’œuvre jeune, peu ou pas formée, précaire, et donc plus exploitable.

Hier, aujourd’hui ou demain, les mouvements étudiants et lycéens ne peuvent abandonner les revendications centrales qui les ont toujours poussés du côté des travailleurs : « facs ouvertes aux enfants d’ouvriers et d’immigrés, facs fermées aux intérêts privés ! »

 
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