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La Izquierda Diario
3 de novembre de 2017 Twitter Faceboock

Mouvement démocratique catalan
A propos du dernier article de Lutte Ouvrière sur la situation en Catalogne
Philippe Alcoy

Les semaines passent, la répression de l’Etat central s’accentue contre le mouvement démocratique pour l’indépendance de la Catalogne, et Lutte Ouvrière continue à tenir une position politique inconsistante et intenable, se couvrant derrière un discours abstrait et incantatoire sur « l’unité de la classe ouvrière » mais, de fait, défendant le statu quo.

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Dans le dernier numéro de son hebdomadaire Lutte Ouvrière (LO), reprend le court édito du bulletin d’entreprise de son organisation sœur dans l’Etat Espagnol, Voz Obrera. Celui-ci devait actualiser la position de LO depuis la semaine dernière. Quand le Gouvernement catalan déclarait l’indépendance, Madrid répondait avec l’application de l’article 155 et la suspension de l’autonomie catalane. Ensuite, ce fut « l’exil » de Puigdemont et de quelques-uns de ses « conseillers » à Bruxelles et la capitulation totale de la direction bourgeoise catalane.

L’article commence avec une déclaration juste face à l’offensive de Madrid : « En tant que Voz Obrera, nous sommes solidaires des secteurs populaires qui luttent pour leur droit de choisir leur avenir politique et solidaires de ceux qui sont ou vont être victimes de la répression du gouvernement de Rajoy. Il faut exiger la libération immédiate des détenus quel que soit leur parti. Qu’ils soient de l’ANC, d’Omnium ou d’autres partis ou organisations ».

Cependant, on voit déjà un premier « paradoxe » ou inconséquence de la position de LO. Car on affirme être solidaires « des secteurs populaires qui luttent pour leur droit de choisir leur avenir politique  », or pour le moment, après que le référendum du 1 octobre ait exprimé le souhait de la population catalane de vivre dans un nouvel Etat indépendant, jamais LO n’a exprimé le respect de ce choix.

Au contraire, sur la question de l’indépendance, LO s’est concentré à marteler le « danger du piège nationaliste », que la direction du « procés » était bourgeoise, ce qui, pour le moment, est tout à fait vrai. On lit ainsi : « Les nationalismes sont des courants politiques au service des intérêts des classes bourgeoises qui ont besoin d’un État pour conduire leurs affaires et exploiter les travailleurs  ».

Cette petite phrase qui se veut une ode à l’engagement internationaliste supposé de LO est en réalité une expression de son économicisme et de son mépris vis-à-vis des revendications démocratiques. LO confond les courants nationalistes, bourgeois et petit-bourgeois, avec la revendication démocratique de l’auto-détermination et le droit à la séparation. Ces revendications peuvent effectivement être manipulées et utilisées par des secteurs bourgeois pour tromper les travailleurs et les classes populaires. Cependant, cela ne peut pas servir pour masquer qu’il existe un sentiment indépendantiste parmi les travailleurs et les masses en Catalogne, même si cela est très loin d’être unanime, et que les révolutionnaires doivent aussi avoir une politique vis-à-vis de ces revendications démocratiques.

Dans un texte de 1931 sur la situation en Espagne, Léon Trotsky établissait clairement la distinction entre le séparatisme bourgeois et le séparatisme ouvrier et populaire : « tandis que le séparatisme de la bourgeoisie catalane n’est qu’un moyen pour elle de jouer avec le gouvernement madrilène contre le peuple catalan et espagnol, le séparatisme des ouvriers et paysans n’est que l’enveloppe d’une révolte intime, d’ordre social. Il faut établir une rigoureuse distinction entre ces deux genres de séparatisme  ».

Cela nous amène à une autre inconsistance de la position de LO, peut-être la plus claire, peut-être la pire. On lit dans l’article : « Si par exemple en Catalogne, devant la fuite des entreprises, les travailleurs entraient en lutte pour prendre le contrôle des entreprises, nous serions à leurs côtés. Comme nous le serions si cela se produisait dans d’autres régions, car cela correspond aux intérêts du monde ouvrier dans l’ensemble du pays  ».

Mais qu’est-ce qui est en train de faire fuir les entreprises et les banques (même si ce n’est pas de façon massive) de la Catalogne si ce n’est le risque que l’on déclare l’indépendance ? Qu’est-ce que ces capitalistes fuient si ce n’est le risque que cette indépendance remette en cause le Régime de 1978 ? Qu’est-ce que ces capitalistes fuient si ce n’est le risque que cette indépendance ouvre la boite de Pandore des revendications sociales d’une population durement touchée par la crise économique ? Voilà le sens pour les révolutionnaires d’intervenir avec un programme de classe, révolutionnaire, socialiste, dans cette crise majeure.

En effet, un parti révolutionnaire avec une certaine influence dans la classe ouvrière et les secteurs populaires devrait affirmer son engagement à respecter le souhait, déjà largement exprimé, de la population catalane d’avoir son propre Etat. Il devrait affirmer qu’il se battra à ses côtés contre les attaques de Madrid pour garantir ce droit démocratique fondamental. Mais en même temps il devrait expliquer patiemment qu’une vraie indépendance ne peut avoir lieu que de la main de la classe ouvrière en alliance avec les secteurs populaires, avec la jeunesse précarisée, donc en lutte pour une Catalogne ouvrière et socialiste au service des intérêts des travailleurs et des masses populaires. Ce n’est que comme cela que, face aux délocalisations, les travailleurs catalans ou d’autres nationalités, pourraient se battre ensemble pour le contrôle de leurs entreprises contre les patrons espagnols ou catalans. Ce n’est que comme cela que l’on pourrait aider à l’unité de la classe ouvrière en Catalogne, mais aussi dans le reste de l’Etat Espagnol.

Sur cette base, l’expérience de lutte pour le droit à l’indépendance de la Catalogne pourrait accélérer la prise de conscience, parmi les travailleurs, que les capitalistes espagnols ou catalans, dans le cadre de l’Etat Espagnol ou de celui d’une Catalogne indépendante capitaliste n’ont pas les mêmes intérêts qu’eux. Avec l’expérience de la répression de la part de l’Etat central d’une part et de la lâcheté de la direction bourgeoise catalane de l’autre, les travailleurs et les classes populaires pourraient rompre avec ces directions politiques capitalistes.

Mais, si on comprend bien, la logique de Voz Obrera/LO est la suivante : « ouvriers catalans (et d’autres nationalités), d’abord faites la démonstration que vous défendez vos intérêts, par exemple, en prenant le contrôle des usines qui délocalisent et là on vous soutiendra , peut-être même si vous êtes pour l’indépendance ! »

Cette logique est totalement contraire à celle d’un parti d’avant-garde pour lequel se sont toujours battus les marxistes-révolutionnaires. Dans le même texte, cité plus haut, Trotsky affirmait : « pour disjoindre de leur bourgeoisie les ouvriers et les paysans qui sont opprimés dans leur sentiment national, l’avant-garde prolétarienne doit prendre, sur cette question du droit des nationalités à disposer d’elles-mêmes, la position la plus hardie, la plus sincère. Les ouvriers défendront intégralement et sans réserve le droit des Catalans et des Basques à vivre en Etats indépendants, dans le cas où la majorité des nationaux se prononcerait pour une complète séparation. Ce qui ne veut nullement dire que l’élite ouvrière doive pousser les Catalans et les Basques dans la voie du séparatisme. Bien au contraire : l’unité économique du pays, comportant une large autonomie des nationalités, offrirait aux ouvriers et aux paysans de grands avantages du point de vue de l’économie et de la culture générales ».

En plus de tout cela, dans le court article de LO après des événements majeurs en Catalogne, il n’y a pas une ligne sur la monarchie et on ne sait pas quelle attitude il faudrait avoir face aux élections illégitimes et imposées par Rajoy le 21 décembre prochain. Leur dénonciation de l’article 155 se limite pratiquement uniquement aux actions les plus violentes et offensives de la part de Madrid comme l’arrestation des leaders catalanistes.

Nous espérons cependant, qu’au moins sur la base de la condamnation des arrestations et de la répression, LO appellera et participera aux actions de solidarité et pour la libération des prisonniers politiques catalans qui s’organiseront dans les prochains jours en France.

 
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