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élection de mitterrand

10 mai 1981 : tournant néo-libéral, Françafrique… retour sur la trahison Mitterrand

Ce lundi marquait les quarante ans de l’élection de François Mitterrand. Entre tournant de la rigueur, conversion de la gauche au néo-libéralisme, complicité dans le génocide des Tutsis au Rwanda, retour sur l’homme qui a incarné et préparé les grandes trahisons de la gauche… et qui reste pourtant vénéré par nombre de politiques.

Irène Karalis

10 mai 2021

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Crédits photo : AFP/Archives

Décoré par Pétain de l’ordre de la Francisque en 1943, François Mitterrand a longtemps milité dans des ligues d’extrême-droite avant de collaborer avec le régime de Vichy. Il rejoint finalement la résistance fin 1943 ainsi que l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, une organisation de centre-droit hostile aux communistes. Au début de la guerre d’Algérie, il est nommé ministre de l’Intérieur et déclare devant l’Assemblée nationale : « l’Algérie, c’est la France et la seule négociation c’est la guerre ». En 1956, en tant que Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet, socialiste qui mènera une politique ultra-répressive conduisant toute une génération de militants à quitter la SFIO, il défend le projet de loi qui vise à remettre les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie et couvre les actes de torture perpétrés par l’armée. Il autorise également 45 condamnations à mort de militants de l’indépendance algérienne entre 1956 et 1957, et le bourreau de l’époque aurait à ce sujet raconté qu’il n’avait jamais autant guillotiné que sous Mitterrand.

Près de 25 ans plus tard, Mitterrand devient Président de la République le 10 mai 1981. Un événement qui incarne alors le retour de la gauche au pouvoir et les espoirs de la population en une gauche réformiste, mais qui, 40 ans plus tard, ne peut être évoqué qu’au prisme de la succession de trahisons qu’opérera la gauche au pouvoir.

L’artisan de la construction du PS

Si le Parti Socialiste incarne l’espoir le 10 mai 1981 après plus de deux décennies de gouvernements de droite, c’est que Mitterrand a largement rougi son discours et son projet pour conquérir le pouvoir.

Après plusieurs années d’engagement à l’extrême-droite, François Mitterrand fait carrière dans la gauche. En 1971, il impulse la création du Parti Socialiste qui résulte de la fusion de la SFIO et de micro-partis, dont la Convention des institutions républicaines, le parti de Mitterrand. A la tête du parti refondé, il mène une politique offensive pour faire de l’organisation la force hégémonique à gauche, rougissant pour l’occasion son discours. François Mitterrand déclare ainsi au congrès de fondation du PS : « Celui qui n’accepte pas la rupture, celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste ». En 1972, le Programme commun marque l’ouverture d’un large front électoral autour d’un programme réformiste de mesures sociales, économiques et démocratiques, dont le but n’était pas de renverser le capitalisme mais de « régler » sa crise en relançant la consommation par des dépenses publiques.

Cette politique d’union de la gauche permet à Mitterrand de saper le PCF. Il déclare ainsi lors d’une séance à huis clos de l’Internationale socialiste : « notre objectif fondamental, c’est de refaire un grand Parti socialiste sur le terrain occupé par le PC, afin de faire la démonstration que, sur les cinq millions d’électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste. » Cette Union de la gauche se termine en 1977, quand le PCF prend conscience qu’elle profite principalement au PS. Lors des élections de 1981, le PCF se rangera cependant derrière Mitterrand au second tour. François Mitterrand remporte alors l’élection avec 51,76% des voix, mettant fin à 23 années continues de pouvoir de la droite.

Une élection qui s’inscrit dans un contexte de crise économique et de luttes ouvrières dans les hôpitaux, dans l’automobile, l’éducation, les PTT, la SNCF, contre l’austérité et la droite qui veut faire payer la crise aux travailleurs. De plus, malgré la grève générale de mai 1968 quelques années plus tôt – la plus importante de l’histoire moderne en Occident – le pouvoir reste détenu par la droite gaulliste autoritaire et conservatrice. Pour beaucoup de jeunes et de travailleurs, la perspective de voir la gauche accéder à la présidence de la République représente l’espoir de gagner une représentation politique. Mais son élection, loin de constituer une victoire pour les travailleurs, aura alors pour but de canaliser ces luttes sur le terrain institutionnel et était surtout une traduction de l’espoir des classes populaires d’obtenir dans les urnes un peu de ce qu’elles n’avaient pas pu gagner dans les luttes.

Mitterrand au pouvoir : la conversion de la gauche aux règles de l’économie de marché et le tournant de la rigueur

Juste après son élection, François Mitterrand fait passer quelques mesures sociales. Ainsi en est-il de la hausse du SMIC - qui compense de peu l’inflation et ne concerne que les 5% des salariés payés au salaire minimum - ou encore de l’abaissement de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, un progrès incontestable mais financé par les salaires. Une des plus grandes mesures de son mandat, la nationalisation d’entreprise, se fait de son côté en indemnisant largement les actionnaires - ce qui leur a permis de spéculer en Bourse, marquant « la réconciliation du socialisme avec la Bourse » selon les dires du ministre Bérégovoy – et en garantissant une « autonomie de gestion » imposant un fonctionnement dicté par les règles du marché. Des indemnisations qui concernent d’ailleurs principalement des entreprises en difficulté, répondant à la logique de nationaliser les pertes mais de laisser les profits privés. Enfin, pour financer toutes ces mesures, Mitterrand augmente de plus de 20% les prix pour l’électricité, le gaz, la SNCF, ainsi que les taxes sur le tabac, les assurances automobiles et l’essence.

Dès l’année suivante, trêve de plaisanteries : en juin 1982, Mitterrand annonce une « pause » dans les réformes. La même année, les salaires sont bloqués et c’est la fin de leur indexation sur les prix, une attaque très violente contre les travailleurs. En 1983, le gouvernement annonce officiellement le « tournant de la rigueur » et instaure un forfait hospitalier, sur fond d’explosion du chômage et de licenciements en masse, notamment dans les secteurs de l’automobile et de la sidérurgie. Dans le même temps, Mitterrand et son premier ministre Mauroy offrent plus de dix milliards de francs aux patrons de la sidérurgie. Les entreprises récemment nationalisées sont revendues, et le gouvernement privatise Suez, Saint-Gobain, Havas, ou encore Paribas. C’est également l’époque des nouveaux reculs sociaux, avec l’obligation d’avoir cotisé 40 ans au lieu de 37,5 pour pouvoir partir à la retraite dans le privé, ainsi que la création d’un nouvel impôt injuste, la CSG. Pour ce qui est de la classe ouvrière, le gouvernement n’hésite pas à réprimer les tentatives de résistance, comme en 1983 où il envoie les CRS pour réprimer la grève à Peugeot contre 1900 licenciements à Poissy. Mitterrand, un ami des travailleurs, vraiment ?

Par ailleurs, les deux mandats consécutifs de Mitterrand s’accompagnent d’une montée du Front National, qui était jusqu’alors un groupuscule rassemblant des nostalgiques de l’Algérie française et qui passe de 1,4% en 1981 à 14,8% en 1988. Une ascension instrumentalisée par le pouvoir socialiste qui n’hésitera pas, avec la création de SOS Racisme, à se jeter dans la bataille de l’anti-racisme à des fins électoralistes en marginalisant et asphyxiant au passage les collectifs militants de quartiers qui avaient émergé dans le cadre de la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

François Mitterrand, fidèle représentant de l’impérialisme français et de la corruption de la Vème République

Pour ce qui est de la politique étrangère, François Mitterrand, loin de condamner les puissances impérialistes et d’arrêter les interventions de la France à l’étranger, renforce au contraire l’intégration de la France aux institutions capitalistes internationales, que ce soit l’OTAN ou la Communauté européenne. En ce qui concerne la politique Mitterrand en Afrique, l’association Survie rappelle : « dès son arrivée à la Présidence, en 1981, il charge son conseiller spécial François de Grossouvre de rassembler les éléments d’un réseau mitterrandien sur le continent. Il évince très vite, à la demande des dictateurs africains, le ministre de la coopération Jean-Pierre Cot. Sa cellule élyséenne est chargée d’exhiber une capacité de nuisance envers la Françafrique chiraquienne, qui octroie du coup à la Mitterrandie une part du gâteau. L’affaire du Carrefour du développement, qui compromet le ministre Christian Nucci, montre l’étendue de la corruption. Monté rapidement en puissance, le fils Jean-Christophe s’inscrit dans le sillage des choix et des réseaux pasquaiens. Ainsi, les Mitterrand père et fils apporteront un soutien indéfectible aux dictateurs Mobutu, Sassou (que son proche, Jacques Attali, défendra à la moindre occasion), Eyadéma, Biya, Déby, Gouled Aptidon… Les membres de la garde élyséenne se recyclent rapidement en créateurs de firmes de sécurité (viviers à mercenaires) ».

Mitterrand assume ainsi la responsabilité de l’impérialisme français, et joue auprès de dictateurs africains un rôle souvent mêlé à des scandales de corruption, comme celui du Carrefour du développement. François Mitterrand avait alors choisi le Burundi pour organiser un sommet franco-africain, mais l’Etat était incapable d’accueillir une rencontre internationale. Christian Nucci, ministre de la Coopération, crée alors une association fictive pour recueillir des fonds de l’Etat. L’association du Carrefour du développement reçoit plus de 80 millions de francs, dont 20 qui vont disparaître dans des réseaux de corruption. L’affaire du Rainbow Warrior, est elle aussi une incarnation de la fusion entre le mitterrandisme et les pires rouages de l’Etat impérialiste : les services secrets français avaient saboté en 1985 le navire amiral de l’organisation écologiste Greenpeace, sur ordre du ministre de la Défense Charles Hernu et avec l’autorisation explicite de François Mitterrand, faisant un mort.

Enfin, c’est pendant le mandat Mitterrand que s’est déroulé le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, qui fait de 800 000 à 1 million de morts, et qui s’inscrit dans la continuité de la politique du président en Afrique. A ce sujet Mitterrand déclarera « dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas trop important », selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry. Une manière cynique de justifier la complicité et le soutien militaire, financier et diplomatique de l’État français qu’il dirige au gouvernement génocidaire hutu. Et pour cause, malgré l’indépendance acquise en 1962, l’impérialisme français n’a pas cessé d’accroître sa domination au Rwanda, pays fortement prisé pour ses sols riches en uranium et en cobalt, et qui reste à ce jour sous la houlette de la Françafrique.

Un précurseur des trahisons de la gauche

En définitive, François Mitterrand fait partie de ceux qui ont préparé les trahisons de la gauche et sa conversion définitive au néolibéralisme, une œuvre complétée quelques années plus tard par François Hollande. Après s’être opposé à partir de 1958 à la remise des pleins pouvoirs à de Gaulle et critiqué le « coup d’Etat permanent » que représenterait le bonapartisme présidentiel de la Vème République, Mitterrand n’aura aucun problème à se couler dans les institutions de cette même République et à utiliser ses mécanismes les plus antidémocratiques, à l’image du 49.3, utilisé 28 fois entre 1988 et 1991 par son premier ministre Michel Rocard.

Du tournant de la rigueur au génocide des Tutsis, François Mitterrand aura ainsi bien été le fidèle représentant des intérêts de la bourgeoisie impérialiste française, « menant des politiques conservatrices que même les conservateurs eux-mêmes s’étaient refusé » selon les mots de Serge Halimi. Un palmarès qui n’empêche pas la gauche réformiste de célébrer aujourd’hui l’anniversaire d’une prétendue « victoire », à commencer par Jean-Luc Mélenchon qui n’a jamais renié son mentor. De notre côté, nous préférons faire de cette date l’occasion de rappeler où mènent les promesses électorales de la gauche institutionnelle : dans les bras des intérêts des classes dominantes face auxquelles seule une perspective révolutionnaire, qui mise sur la mobilisation des travailleurs et des classes populaires en toute indépendance des institutions anti-démocratique de la Vème République, offre une issue viable pour en finir avec ce système.


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