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Crise économique

10 millions de salariés au chômage-partiel : l’annonce d’une vague de chômage historique ?

Le gouvernement, à travers la voix de Muriel Pénicaud, a annoncé le chiffre officiel de 10 millions de salariés au chômage partiel. Dans une ordonnance présentée hier, la ministre en facilite le recours. Mais l’avenir de ceux qui sont concernés par cette mesure temporaire reste flou, à l’heure où une crise d’ampleur se prépare.

Cécile Manchette

22 avril 2020

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Pour faciliter le recours au chômage partiel, la ministre a fait adopter en conseil des ministres ce mercredi une nouvelle ordonnance. Après un décret concernant les intermittents du spectacle, et vivement critiqué par ces derniers comme étant une « aberration », le conseil des ministres a adopté une ordonnance pour «  permettre l’indemnisation des heures travaillées par contrat ou convention au-delà de 35 heures (comme une assistante maternelle qui travaillait 45 heures par exemple)  » peut-on lire dans le Journal du Dimanche et dans Ouest France. « Cette ordonnance va aussi permettre aux entreprises de demander le chômage partiel pour un poste ciblé, et non plus obligatoirement à l’échelle d’un service ou d’un établissement. »

Une mesure qui va permettre d’utiliser le chômage-partiel de façon cibler, pour flexibiliser l’utilisation des salariés, en leur faisant alterner des périodes de travail et des périodes imposées de chômage-partiel, qui vont de paire avec des baisses de salaire. Une mesure d’autant plus profitable pour les entreprises qu’elle exonére les grandes entreprises de « payer de leur poche » en étant financée par l’Etat mais aussi par l’Unédic.

Le « chômage partiel », l’arbre qui cache la forêt

Le 24 mars dernier, le recours au chômage partiel, après quelques jours de mise en place du dispositif, concernait 730 000 salariés. Environ un mois plus tard, le chiffre a bondi pour atteindre 10 millions de personnes. Le procédé de ce chômage partiel est le suivant : « l’entreprise, qui en fait la demande auprès du ministère du Travail, peut faire chômer ses salariés si l’administration l’accepte, et les payer à 70 % du salaire brut. Dans ce cas, l’Etat et l’Unedic indemnisent la société à hauteur de 8,04 euros par heure chômée, c’est-à-dire le niveau du SMIC. » Pour les salariés en chômage partiel cela représente une perte de 16% de leur salaire.

Comparativement à d’autres pays comme les Etats-Unis, très peu de déclarations et d’informations circulent pour autant sur le nombre de chômeurs. Néanmoins, les demandes d’inscription à pôle emploi ont explosé entre le 29 mars et le 4 avril et s’élèvent à 104 860 demandes, soit une hausse de 7,3% par rapport à la semaine précédente. Un chiffre, tout comme celui du chômage partiel, qui risque de s’aggraver.

Selon Sébastien Laye, entrepreneur dans l’immobilier et économiste à l’Institut Thomas More « Pourtant, ce serait une fable de croire que le chômage partiel va être maintenu ad vitam aeternam, comme il serait tout autant vain de pointer le taux maximal de chômage qui sera atteint au plus fort de la crise (en mai-juin en France après le déconfinement) ; non, à dire le vrai, ce qui compte, c’est le taux de chômage en sortie de crise vers la fin de l’année ». La tendance vers laquelle on se dirige dans les mois à venir serait donc celle d’un accroissement du chômage avec notamment le basculement de chômeurs sous le régime du chômage partiel dans le chômage complet.

Une situation inquiétante pour les travailleurs et les classes populaires qui seront une variable d’ajustement pour les entreprises préoccupées de « redémarrer » ou d’éviter la faillite. D’autant plus que les « aides d’urgence » versées par le gouvernement en période de confinement aux familles bénéficiaires du RSA ou de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS), et au montant faible de 150 euros par mois auxquelles devraient s’ajouter une aide de 100 euros par enfant, pourraient ne pas perdurer dans le temps.

Quand chômage partiel va de pair avec des attaques contre les droits des travailleurs

L’état d’urgence sanitaire décrété au début du confinement qui permettait au gouvernement de légiférer par ordonnances a été, entre autres, accompagné de mesures portant directement atteintes aux droits des travailleurs semaine après semaine : imposition des congés payés, limitation des repos, augmentation du temps de travail... Cette dernière ordonnance sur le chômage partiel s’inscrit dans la suite de cette législation instaurée début mars. La crise sanitaire donne ainsi à la bourgeoisie l’occasion d’aller plus loin encore dans ses attaques contre le droit du travail, déjà mises en place par la loi Travail El Khomri puis la loi Travail XXL du gouvernement Macron. Cette bataille lui est d’autant plus cruciale qu’une crise économique majeure se dessine.

Ainsi, nous écrivions le 18 mars dernier au moment de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire : « ce sont les droits des employeurs que le gouvernement entend clairement étendre, en phase avec sa gestion pro-patronale de la crise sanitaire. Ainsi, si le texte permet de « limiter les ruptures des contrats de travail, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle » c’est en « réduisant le reste à charge pour l’employeur », tandis que le gouvernement entend laisser la possibilité « aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger de droit aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical » et, plus généralement, aux employeurs de « modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à l’employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié.  »

En avril, de nouvelles ordonnances étaient promulguées rythmées par la volonté du gouvernement de faire reprendre « à marche forcée » l’économie. Il s’agissait de la mise en place d’une prime défiscalisée de 1000 euros ou encore d’une ordonnance autorisant la médecine du travail à prescrire des arrêts de travail et à effectuer des tests de dépistages au Covid-19.

La semaine dernière encore, le « plan d’urgence économique » présenté au Conseil Des Ministres et à la commission des finances de l’Assemblée Nationale, et voté ce mardi au Sénat, a fait passer à 110 milliards les 45 milliards d’euros prévus initialement pour « sauver l’économie ». Un plan qui comprenait notamment l’augmentation du financement du chômage partiel à 24 milliards d’euros, tout en promettant une aide de 20 milliards destinée au financement des « entreprises stratégiques ». Une aide considérable donc pour les grandes entreprises, exonérées de contribuer plus fortement, sur la base de leurs bénéfices souvent faramineux, au paiement des salaires de leurs employés.

Chaque élément mis bout à bout permet d’affirmer que, malgré les discours du gouvernement sur le fait de ne « laisser personne au bord du chemin », leur porte-monnaie et leur cœur balancent clairement du côté du patronat et des grandes entreprises. Dernière preuve en date : l’interdiction d’aller contrôler les employeurs sur leurs obligations en matière de sécurité adressée aux inspecteurs par Pénicaud.

Dans un article d’Izquierda Diario, Fernando Rosso écrivait le 19 avril : « Les perspectives sont catastrophiques, ce qui n’est pas synonyme d’un effondrement du capitalisme en soi. En réalité, les patrons et les classes dominantes du monde entier ont un plan pour restructurer le système en leur faveur après la pandémie : profiter de la terreur - réelle ou exagérée - du virus ou de l’économie pour approfondir l’"uberisation" du travail, avec des employés "prêts à agir" à tout moment de la journée sans droits du travail, la mode du télétravail pour augmenter la productivité ; des systèmes d’"échange" de travailleurs précaires entre différentes entreprises sont même à l’étude dans certains pays. Une contre-révolution dans le domaine du travail est envisagée, qui asservira davantage la classe ouvrière comme moyen de sortir de la crise »

Les classes dominantes en France, et à l’échelle internationale, ont donc un plan ou du moins des ébauches de plan, pour anticiper les effets de la crise économique et les moyens légaux, institutionnels et idéologiques pour en faire porter les coûts sur les travailleurs et travailleuses. Les ordonnances passées ces dernières semaines et la musique selon laquelle le télétravail « va changer le rapport au travail » est une façon d’essayer de continuer à avancer sur leur projet néolibéral de transformation du rapport capital-travail.

La seule réponse possible : la lutte

Face à de tels plans des classes dominantes, la classe ouvrière envoie depuis le début de la crise différents signaux pour exprimer sa colère face à l’incompétence criante du gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire, ceci allant des droits de retraits massifs et des débrayages dans les entreprises à des manifestations organisées par des soignants aux abords de leurs hôpitaux.

Si le gouvernement promet des primes « coronavirus » aux travailleurs en « première ligne », tout en en oubliant certains comme ces salariés de Casino, reste à savoir si ces primes suffiront à calmer les esprits face à une gestion de la crise catastrophique et des années d’attaques contre les services publics et le code du travail qui, en France, ont fait descendre ces quatre dernières années des centaines de milliers de personnes dans la rue.

Dans l’équation, les directions syndicales comme nous le dénoncions la semaine dernière face aux attaques préparées par les classes dominantes, et aux réponses de la classe ouvrière sur le terrain de la lutte des classes « ne dessinent toujours aucune perspective claire, quand elles ne trahissent pas carrément les travailleurs en assumant une ligne de conciliation totale, main dans la main avec le patronat ». Une attitude conciliatrice qui est, une fois de plus, criminelle quand la vie de millions de travailleurs est en jeu. A l’inverse, seul un véritable programme de lutte qui assume la lutte ouverte et en rupture avec la bourgeoisie, l’Etat et le patronat, peut offrir une issue à la classe ouvrière et à la majorité de la population.

Dans ce sens, Fernando Rosso concluait ainsi son article « Comprendre qu’il s’agit d’un plan global est un premier pas dans la réflexion sur les formes de résistance. Car tant contre les prophètes de malheur de la fin du monde que contre ceux qui prévoient déjà une nouvelle normalité, nous préférons penser comme Antonio Gramsci qui disait que la seule prédiction vraiment "scientifique" est celle de la lutte". »


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