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Histoire

24 octobre 1975 : Comment s’est déroulée la grève des femmes islandaises ?

Le 24 octobre 1975 avait lieu la mobilisation historique des femmes islandaises, connue sous le nom de « vendredi islandais ». Cette journée a inspiré des mobilisations, de la Pologne jusqu'en Argentine. Mais que s'est-il passé ce jour-là en Islande ?

Celeste Murillo

27 octobre 2022

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Cet article est une traduction d’un article paru dans La Izquierda Diario, journal frère de Révolution Permanente.

Les femmes polonaises ont été les premières à faire revivre l’imaginaire de la journée de 1975 connue sous le nom de « long vendredi » en Islande . En 2016, en Pologne, les femmes ont imité la « grève » islandaise en s’absentant du travail et en organisant une marche massive contre le décret réactionnaire qui tentait d’interdire le droit à l’avortement sans exception. Bien que la grève polonaise n’ait pas eu de fort impact économique, son impact politique a été indiscutable : la loi devait être retirée. Les femmes ont reproduit des mobilisations similaires dans d’autres pays, comme l’Argentine, où la grève des femmes s’est imposée comme un moyen de rendre visibles les revendications du mouvement féministe

Le « vendredi » islandais

L’année 1975 avait été déclarée "Année de la femme" par l’ONU. Cette décision, purement formelle, marquait en quelque sorte la reconnaissance du féminisme de la deuxième vague, qui se répandait dans les principales villes d’Europe et des États-Unis. Dans ce contexte, des événements ont été organisés dans le monde entier.

En Islande, certaines organisations féministes ont eu l’idée d’une « grève des femmes » dans le but de rendre visible leur rôle dans la société, notamment le travail domestique non rémunéré, et de demander une plus grande représentation politique. Comme il n’y avait pas de grève ou de processus de mobilisation dans le pays, les organisations féministes ont décidé de le promouvoir comme un « jour de congé », afin de garantir l’absence massive des femmes sans qu’elles risquent de perdre leur emploi (en utilisant les arrêts maladie et autres types de congés). Elles ont également fait campagne pour l’arrêt de toutes les tâches domestiques non rémunérées, y compris la garde des enfants.

La « grève » a été massive : 90% des Islandaises ont participé d’une manière ou d’une autre à la mobilisation. Bien qu’il ne s’agissait pas d’une grève traditionnelle, menée par des organisations syndicales ou depuis le lieu de travail, les femmes ont montré une grande détermination à affirmer leur rôle dans la société. De nombreux hommes se sont alors vus obligés de s’occuper de leurs enfants, restant à la maison ou les emmenant au travail ; les restaurants travaillaient à plein régime ce jour-là et tous les bureaux étaient remplis de crayons, de jouets et de couches.

L’impact économique a été notoire : les journaux n’ont pas été imprimés parce que les dactylos étaient des femmes, le service téléphonique n’a pas fonctionné, les vols ont été annulés parce que les hôtesses de l’air ne se sont pas présentées, les écoles n’ont pas été ouvertes et les usines de poisson ont fermé parce que leur main-d’œuvre était presque exclusivement féminine. Une manifestation a eu lieu dans la capitale Reykjavik avec plus de 25 000 personnes (un nombre très important si l’on considère la population de l’Islande à l’époque : 213 000 habitants).

L’impact politique a été considérable. En 1976, le Parlement islandais a adopté une loi garantissant l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, bien que cela ne se traduise pas par de meilleurs emplois ou une compensation salariale pour les femmes. Quatre ans plus tard, la première femme présidente de l’Islande a été élue, de justesse. Bien que le poste ait peu d’impact politique puisque c’est le Premier ministre qui dirige le gouvernement, l’élection de Vigdís Finnbogadóttir a été perçue comme une « avancée » pour les femmes. Il faudra attendre 2009 pour qu’une femme soit à la tête du gouvernement : Jóhanna Sigurðardóttir, qui a pris ses fonctions après une crise politique et économique majeure, et qui est également la première cheffe d’État lesbienne.

La question économique demeure

L’Islande est un modèle de démocratie capitaliste : elle est en tête de l’indice pour l’égalité des sexes, la représentation politique, l’accès à l’éducation et au travail, l’égalité des congés parentaux et des gardes d’enfants ainsi que la garantie d’une réintégration rapide dans le travail et les études après une maternité. 85% des femmes islandaises travaillent en dehors du foyer, elles sont 65 % à l’université et 41 % au Parlement.

Mais sur le plan économique, la situation reste très inégalitaire : l’écart salarial est toujours de 14%. Et, la persistance de la mobilisation des femmes, est la preuve que même dans ces petits « paradis égalitaires » (l’Islande ne compte que 330 000 habitants) que possède le capitalisme dans un monde violemment inégalitaire, la lutte contre l’oppression et la discrimination est permanente. Les femmes se sont mobilisées à nouveau, année après année, pour réclamer l’égalité pour laquelle elles avaient manifesté ce vendredi de 1975.

Le « vendredi islandais » a montré le pouvoir de la mobilisation des femmes pour visibiliser leur rôle économique à l’intérieur et à l’extérieur du foyer. Mais la persistance de l’écart salarial a montré, dans le même temps, une limite au fait de revendiquer « l’égalité » sans remettre en cause le système dans son ensemble. En réalité, le capitalisme islandais a su intégrer et « graduer » la revendication à tel point qu’aujourd’hui, 40 ans plus tard, les femmes se mobilisent toujours pour la même raison.

Les Islandaises sont les premières à souligner cette limite lors du « long vendredi » de 2016 : « Nous savons qu’aucun autre pays au monde n’a atteint l’égalité des salaires, mais aujourd’hui, je me rappelle que dans le pays qui est censé avoir le plus d’égalité des droits, les femmes sont moins payées que les hommes ». Pourquoi ? Ne serait-il pas plus facile pour les capitalistes de payer des salaires égaux aux hommes et aux femmes et de mettre fin à ce problème qui leur donne une si mauvaise réputation ? Parce que le capitalisme dans son ensemble ne peut fonctionner sans ces hiérarchies et inégalités.

Organisé·es, et ensemble

L’inégalité et la discrimination ordonnent la société d’une manière fonctionnelle pour les classes dirigeantes, et les sociétés capitalistes - y compris les sociétés modernes - ne font pas figure d’exception mais de confirmation. Maintenir et reproduire les divisions entre les opprimés contribue à perpétuer l’ordre fondé sur l’exploitation (capitaliste) et l’oppression (patriarcale). La précarité de la vie et du travail de la majorité pauvre et ouvrière de la population et les profits toujours plus importants d’une minorité capitaliste exposent jour après jour la fonctionnalité de ces divisions. Les travailleurs et travailleuses sont de plus en plus nombreux à se mobiliser pour lutter ensemble contre les inégalités et pour la défense des secteurs les plus opprimés.

C’est pourquoi à chaque « grève des femmes », à chaque mobilisation contre la violence et dans les luttes quotidiennes, il y a chaque fois plus de travailleuses et d’étudiantes qui non seulement défient le machisme mais appellent aussi leurs collègues masculins à rejoindre la lutte contre un système social qui maintient et alimente les hiérarchies et les préjugés patriarcaux, et exploite les hommes et les femmes à son leur profit.


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