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Une crise d'une ampleur supérieure à 2008

5 points pour comprendre la crise économique mondiale qui s’annonce

La crise économique, annoncée depuis plusieurs mois voire plusieurs années, est en train d'éclater. La crise sanitaire du Coronavirus aura ainsi été l'élément déclencheur, sans être la source même, d'un cataclysme économique d'une ampleur bien supérieure à 2008. Dans cet article, nous revenons sur cinq points importants pour comprendre la crise économique qui arrive.

Julian Vadis

21 mai 2020

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1. Coronavirus : le déclencheur et l’accélérateur d’une crise latente et déjà en germe

Alors que bien des économistes et éditorialistes ne cessent de mettre en avant la crise sanitaire comme étant la source d’une crise économique à venir, la réalité semble plus complexe. Certes, le Coronavirus, de part son impact sur l’économie, est bien le déclencheur et même un accélérateur de la crise économique, toutefois il est clair que cette dernière était déjà latente et en germe avant l’explosion de la crise sanitaire.

Comme nous l’écrivions sur Révolution Permanente le 11 octobre dernier, une série de signaux annonciateurs d’un krach boursier d’ampleur était déjà présente. A cette époque pas si lointaine, la crainte d’un événement extérieur venant perturber les marchés financiers et l’économie se focalisait sur une montée des tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine. D’une manière générale, même les économistes les plus libéraux et les plus optimistes tablaient sur une forme de stabilisation, avec des prévisions sur le court terme. En effet, depuis la crise de 2008, la croissance mondiale reste faible et cela malgré l’injection régulière de liquidités sur les marchés. Une situation qui a développé des effets pervers, épuisant les mécanismes habituels pour faire face à une crise économique tout en créant un mécanisme d’endettement généralisé rendu rentable pour les investisseurs en raison des faibles taux d’intérêts sur ces titres d’endettement.

Autrement dit, faute de rentabilité dans l’investissement productif, la majeure partie des liquidités déversées sur les marchés se retrouvent captées par la sphère financière, provoquant la formation de nouvelles bulles spéculatives. En effet, quand les marchés sont saturés ou « mûrs », les investissements productifs deviennent moins rentables et le capital en excédent tend vers les hauts rendements des produits financiers spéculatifs (et risqués). Or, comme l’expliquaient Olivier Klein et Eric Lombart dans l’article La crise financière qui vient publié le 4 octobre dernier dans Les Echos« un ralentissement fort de la croissance, dû au cycle de l’investissement ou à des crises géopolitiques, provoquerait une baisse des recettes, privées ou publiques, donc rendrait plus difficile le remboursement de la dette et compromettrait la valeur des placements ». C’est à ce titre que la crise sanitaire actuelle est l’élément déclencheur d’une crise qui s’est formée depuis celle de 2008, et ce alors que les conditions économiques sont encore plus critiques qu’à l’époque.

Concernant plus particulièrement la dette, la situation est elle aussi en train de s’exacerber avec la crise sanitaire alors que le montant total de la dette mondiale était déjà à un point inégalé depuis plus de 50 ans. Comme l’expliquait Richard Hiault dans Les Echos le 3 janvier 2019, soit un an avant le coronavirus, « le Fonds monétaire international (FMI) révèle que l’endettement global (public et privé) des 190 pays qu’il observe a atteint la somme de 184.000 milliards de dollars à la fin de l’année 2017. C’est l’équivalent de 225 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de ces quelque 200 pays […] Au total, les trois principaux emprunteurs dans le monde - les États-Unis, la Chine et le Japon - représentent plus de la moitié de la dette mondiale, dépassant leur part de la production mondiale ».

Si les pays centraux ont vu leur taux d’endettement grimper fortement, la situation est encore plus grave dans les pays semi-coloniaux et dépendants. D’après un rapport de la Banque Mondiale publié le 19 décembre dernier, « le poids de la dette par rapport au PIB dans les économies en développement a bondi de 54 points de pourcentage depuis le début de la hausse de l’endettement en 2010, pour atteindre 168 %. En moyenne, ce ratio a augmenté d’environ sept points par an, soit près de trois fois plus vite que pendant la crise de la dette en Amérique latine dans les années 1970. En outre, la progression a été exceptionnellement généralisée  : elle concerne aussi bien la dette publique que la dette privée, et s’observe dans pratiquement toutes les régions du monde ».

Là encore, les taux d’intérêts extraordinairement bas sur ces titres de dettes en extension exacerbent les contradictions économiques et amplifient la profondeur de la crise à venir. Ainsi, « la persistance de taux d’intérêt historiquement bas à l’échelle mondiale limite pour le moment le risque de crise. Cependant, le bilan des 50 dernières années met en lumière les dangers potentiels. En effet, depuis 1970, environ la moitié des 521 épisodes nationaux de hausse rapide de la dette dans les pays en développement se sont accompagnés de crises financières qui ont considérablement réduit le revenu par habitant et les investissements ».

C’est ici que l’on voit l’effet accélérateur du Coronavirus sur l’exacerbation des contradictions économiques. En effet, le FMI table sur une récession globale de l’ordre de 3% à échelle mondiale pour 2020. Pour la zone euro, ce taux grimpe à 7,5% et 5,9% pour les États-Unis. Des prévisions à prendre avec des pincettes, et surtout a minima, le risque d’une seconde vague épidémique ne pouvant être écarté pour l’heure. En tout état de cause, cette récession pourrait bien faire éclater la bulle des dettes, et provoquer un cataclysme financier. Le tout, bien sûr, dans un contexte où les Etats creusent leur propre dette pour faire face, bien que de manière tout à fait insuffisante, à la crise sanitaire et économique.

2. Bulles spéculatives et « décalage » entre marché financier et économie « réelle » : une situation pire qu’en 2008

Avant même la crise du Coronavirus, le décalage entre les marchés financiers et l’économie dite réelle, c’est-à-dire le différentiel entre la valeur d’un titre sur les marchés financier et sa valeur réelle, était déjà deux fois supérieur au décalage de 2008. Ce phénomène, qui ne constitue pas en soi un problème si considérable, est néanmoins symptomatique des comportements spéculatifs des investisseurs. C’est ce qui laisse entendre que, avant même le Covid19, l’ampleur de la crise à venir aurait été démultipliée par rapport à celle des subprimes.

Le décalage entre la valeur des titres financiers et l’activité économique s’est fait brusquement sentir en mars lors de la chute cumulée de 30 à 40% des principaux indices boursiers du monde, avant leur remontée spectaculaire du mois d’avril. Dans une chronique publiée dans Le Monde ce 4 mai, Stéphane Lauer explique que « l’indice S&P 500, qui a connu en avril sa plus forte hausse depuis 1987, a retrouvé son niveau d’il y a un an, alors que les perspectives étaient autrement plus favorables. Le Dow Jones est encore supérieur de 25 % à ce qu’il était après l’élection de Donald Trump. Quant au ratio moyen entre la capitalisation et le bénéfice des entreprises américaines, il est équivalent à celui de la période d’euphorie qui a précédé la crise de 2008. Tout cela est-il bien raisonnable ? Evidemment non. Les mesures de déconfinement se révèlent d’une complexité extrême, le premier vaccin n’arrivera pas avant plusieurs mois et une deuxième vague d’épidémie n’est pas à exclure »

En d’autres termes, la récession qui touche l’économie réelle se combine à des soubresauts violents sur les marchés financiers, gonflant du même coup les bulles spéculatives en formations ces dernières années. Le contexte de rétractation globale des possibilités d’investissement et de croissance après la crise de 2008 a de toute évidence affecté durablement les comportements des acteurs financiers. La violence des « corrections » boursières (c’est-à-dire des baisses soudaines des cours) mais aussi des « paniques haussières » observées lors de ce mois d’avril témoigne de l’exacerbation des rivalités sur les marchés financiers, et présage de la violence potentielle que pourrait avoir un krach en cas de faillite majeure.

Dans ce contexte, il est important de noter que, contrairement à 2008, la Chine ne pourra en aucun cas porter la crise sur ses épaules. En effet, si le taux de croissance de la Chine était de 14,2% en 2007, les prévisions du FMI sur la croissance chinoise en 2020 table sur... 1% ! L’Inde, qui pouvait apparaître comme une potentielle alternative, est en ralentissement et devrait tourner autour des 5% pour l’exercice 2019-2020.

Alors qu’économistes et éditorialistes ne cessent de clamer que les banques sont aujourd’hui plus solides qu’en 2008, la situation est pourtant bien plus instable. Et là encore, l’injection de liquidités masque mal les difficultés réelles de ce secteur dont le rôle est systémique. Ainsi, un article des Echos de novembre dernier, « ce rouage essentiel de la finance - les repo sont des opérations de financement de court terme interbancaires garanties, principalement par des obligations d’État américaines -, s’était soudainement grippé au mois de septembre. Faute de participants, le taux auquel ces opérations sont rémunérées avait bondi de 2 % à 10 %. Obligeant la Fed à injecter des dizaines puis des centaines de milliards de dollars chaque jour pour remédier à cette crise de liquidité, une première depuis la crise financière de 2008 ». Une instabilité qui témoigne de la santé économique réelle des banques.

A ce titre, comme l’explique Eric Toussaint dans un article publié le site du CADTM ce 21 avril, « depuis le 15 mars, le nouveau taux d’intérêt directeur de la Fed se situe dans une fourchette de 0 à 0,25 %. Les banques sont encouragées à augmenter les dettes. La Fed ne s’est pas contentée de baisser les taux d’intérêt, elle a recommencé à injecter sur le marché interbancaire une masse énorme de dollars car les banques, une fois de plus, ne se font plus confiance et répugnent à se prêter de l’argent. Le président de la Fed a déclaré que son institution avait programmé d’injecter dans les semaines qui suivaient plus de 1 000 milliards de dollars de liquidités sur les marchés à court terme, notamment le marché des repo sur lequel elle est déjà intervenue massivement entre septembre et décembre 2019. Le marché des repo désigne le mécanisme par lequel les banques se financent pour une courte durée : elles mettent en pension (repo) des titres qu’elles possèdent et s’engagent à les racheter rapidement. Par exemple, elles déposent pour 24 heures en pension (c’est-à-dire en garantie ou en collatéral de l’emprunt qu’elles effectuent) des titres du trésor des États-Unis ou des obligations d’entreprises qui ont une note AAA (qui jouissent donc d’une confiance maximale). En échange de ces titres, elles obtiennent du cash à un taux d’intérêt proche ou égal au taux directeur fixé par la Fed ». Là encore, ces injections massives nourrissent, avant tout, les investissements financiers des banques et gonflent les bulles spéculatives.

En définitive, ce sont de nombreux secteurs qui sont touchés par ces phénomènes de bulles spéculatives. Les interactions boursières reliant ces différents secteurs pourraient, selon le secteur touché par l’éclatement d’une de ces bulles, conduire à un emballement mondial. Toutefois, ce sont les très méconnus ETF (pour Exchange-Traded Fund ou fonds négociés en bourses) qui pourraient jouer le rôle des subprimes dans la situation actuelle. Pour résumer, les ETF sont des fonds d’investissement composés d’actions ou d’obligations provenant de plusieurs centaines d’entreprises, voire de branches entières (ou des obligations de plusieurs États). Par exemple, une ETF peut être contractée sur l’ensemble des entreprises du CAC 40. Ainsi, les bénéfices pour les investisseurs se calculent directement sur les variations du marché en question. Un mécanisme qui a permis à BlackRock de réaliser de très juteux profits, comme l’explique le très bon documentaire d’Arte Ces financiers qui dirigent le Monde.

Dans des propos relayés par Bourse Direct le 5 septembre 2019, Michael Burry, le financier américain ayant été le premier à prévoir l’effondrement de 2008 et rendu célèbre par le livre The big short et le documentaire du même titre, estime que la prochaine bulle qui éclatera sera celle des ETF. Pour lui, « cela ressemble beaucoup à la bulle des CDO synthétiques adossés à des actifs avant la Grande Crise Financière, cette fixation des prix sur ce marché n’a pas été réalisée par une analyse fondamentale du niveau de sécurité, mais par des flux de capitaux massifs basés sur des modèles de risque approuvés par des Prix Nobel, qui se sont révélés être faux […] Au sein de l’indice S&P 500, plus de la moitié des composants, soit 266 actions, ont un volume d’échange inférieur à 150 millions de dollars par jour. Cela peut paraître beaucoup, mais ce sont des milliers de milliards de dollars qui sont déversés mondialement dans ces ETF […] La pièce est de plus en plus pleine, mais la porte de sortie a toujours la même dimension. Et c’est encore plus grave à mesure que la liquidité des marchés d’actions et d’obligations se réduit mondialement ». Des liquidités qui manqueraient sur les marchés financiers, c’est précisément ce qu’il risque d’arriver avec une crise économique majeure et ses conséquences sur l’échange des titres.

3. Des marges au centre : hypothèse sur l’évolution de la crise économique

Dans ce contexte de crise générale qui arrive, il serait tout de même faux de penser que l’ensemble des acteurs, économiques comme étatiques, vont être touchés de la même façon. Il semble alors important de tirer une hypothèse sur le déroulement même de la crise, hypothèse qui ne pourra être validée ou invalidée que par le cours de l’Histoire.

Dans sa chronique au Monde préalablement cité dans le point 2, Stéphane Lauer pose une réflexion intéressante : « La dépression qui vient risque d’accentuer deux effets pervers que sont le creusement des inégalités et la concentration de l’activité autour d’une poignée d’oligopoles. Thomas Philippon, économiste à la New York University, qui s’alarmait déjà, dans son livre The Great Reversal (Harvard University Press, 2019), du déclin progressif de la concurrence au sein de l’économie américaine, est persuadé que la tendance va s’amplifier avec le renforcement des plus forts, tandis que les plus faibles, à commencer par les PME, vont être laminés ». Ce constat peut être généralisé dans une hypothèse : celle d’un développement de la crise des marges vers le centre névralgique du système capitaliste.

Au niveau des États, l’hypothèse formulée signifie concrètement que les pays semi-coloniaux, sous domination impérialiste, seront les premiers à faire les frais de la crise. D’une part, ces pays, comme dit précédemment, sont proportionnellement plus endettés que les pays centraux (à l’exception notable des États-Unis, qui jouissent de leur statut de leadership à échelle mondiale), d’autre part que, taux d’endettement ou pas, ces pays, spoliés par les puissances impérialistes et avec des devises très faibles, se retrouvent limités dans leur marge de manœuvre pour faire face à la crise.

C’est déjà le cas de l’Argentine, mise sous pression par le FMI, et qui se retrouve en ce début du mois de mai au bord de la faillite. Autre exemple éclairant, qui va dans le sens de cette hypothèse, celui de la compagnie aérienne colombienne Avianca. Cette dernière, touchée comme les autres par la crise actuelle, a purement et simplement fait faillite ce dimanche 10 mai. En l’occurrence, la compagnie n’a pas pu bénéficier de l’aide de l’Etat colombien pour faire face à ses prochaines échéances de crédit. Preuve de la dépendance envers les pays impérialistes, Avianca « a demandé à être placée sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites des Etats-Unis auprès d’un tribunal à New York », selon Boursorama.

Le développement même du capitalisme a poussé jusqu’à l’extrême les tendances monopolistiques déjà observées par Lénine dans son ouvrage L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Un tel développement du pouvoir des grands trusts mondialisés et financiarisés, dont la prépondérance constitue la définition de ce que Lénine nomme le « stade impérialiste », a inévitablement des conséquences au niveau des branches industrielles elles-mêmes. La prolifération de la sous-traitance, et la production entièrement dépendante des « donneurs d’ordre » monopolisant l’énorme part des profits de la branche en question laisse présager que la crise va d’abord toucher de plein fouet ces entreprises sous-traitantes, forme de variable d’ajustement pour les entreprises en position de quasi-monopole. Le cas le plus explicite de cette tendance semble se développer dans le secteur aéronautique. Coup sur coup, les entreprises Daher et Derichebourg Aero, deux poids lourds de la sous-traitance aéronautique, ont annoncé des plans de licenciements. C’est le scénario d’un « Détroit à la française » qui guette le secteur aéronautique, particulièrement dans la région toulousaine. Une situation due à la volonté de maximisation des profits de la part du patronat, ainsi qu’à la guerre ouverte par Airbus contre son concurrent direct Boeing, actuellement en crise, et dont le géant européen rêve de grignoter des parts de marché.

Enfin, et comme le souligne Lauer, ce sont les TPE-PME, petits artisans, agriculteurs et commerçants qui vont subir de plein fouet l’impact de la crise, ne pouvant supporter dans ce contexte la concurrence de la grande industrie et de la grande distribution. Si le chiffon agité du risque de faillites par les grands patrons, type Airbus, est avant tout un argument fallacieux pour justifier des cures austéritaires, ces secteurs de la petite bourgeoisie, pour reprendre les catégories de Marx, voient le spectre de la faillite comme un horizon concret. Plus que l’impact dramatique du Coronavirus sur leur chiffre d’affaire, c’est avant tout la possibilité de se voir totalement étranglés par les dettes contractées à long terme qui constitue le danger majeur pour l’ensemble de ces entreprises et commerces. Bien entendu, ce ne sont pas les 1500€ par mois alloués par l’Etat, pour prendre l’exemple français, qui vont changer la donne. D’autant plus que, loin d’avoir une prise sur les grands marchés, ces entreprises dépendent du tissu industriel et économique local. A ce titre, la seule solution sérieuse consiste en une nationalisation, sous contrôle des travailleurs, de toutes banques et la constitution d’une institution bancaire unique d’État, capable d’octroyer à ces entreprises des prêts bon marché. Toute autre solution ne peut conduire qu’à une saignée dramatique et à une paupérisation totale de ce secteur social.

4. Comment la crise va impacter les chaînes mondiales de la production

L’avènement de l’impérialisme a exacerbé à l’extrême l’une des tendances intrinsèques du système, soit l’internationalisation des chaînes de production. Aujourd’hui, la Chine est considérée comme « l’usine du monde », bien que l’émergence du gouvernement protectionniste de Trump, avec son discours sur les relocalisations industrielles ait été le premier symptôme profond de la remise en cause du modèle actuel de la division internationale du travail. Même si ce discours était surtout un outil électoral qui s’est concrétisé de manière parcellaire et « non-systémique » dans les faits, la remise en cause du modèle international anticipé par Trump trouve aujourd’hui son écho dans les gouvernements d’autres pays comme la France. Il faut tout de même constater que, loin d’être une remise en cause de la mondialisation, ces politiques protectionnistes ne questionnent pas les fondements même de l’impérialisme, en particulier la tendance à la monopolisation de branches entières de l’économie à échelle mondiale et l’emprise de pays centraux sur les États coloniaux ou semi-coloniaux.

Toutefois, la crise du Coronavirus a mis en exergue les aspects les plus absurdes de la mondialisation des chaînes de production en régime capitaliste. Les bourgeoisies des pays centraux ont bien compris que la concentration de l’appareil productif en Chine et, plus généralement, en Asie, n’est pas sans inconvénients. A ce titre, ce sont deux scénarios qui pourraient se détacher dans la perspective d’une réorganisation des chaînes mondiales de production. Deux scénarios qui, par ailleurs, ne s’excluent pas l’un et l’autre, et qui pourraient au contraire se combiner.

Le premier, qui est le plus largement médiatisé, est celui d’une forme de relocalisation de certains secteurs de la production. Précision importante, relocalisation ne signifie pas forcément rapatriement de l’appareil productif sur le territoire national. Concernant les puissances européennes, ces relocalisations pourraient très bien intervenir, au moins partiellement, au sein de l’Union Européenne, et surtout dans l’Europe de l’Est. Concernant les Etats-Unis, outre le territoire national, une partie de ces relocalisations pourraient très bien avoir lieu dans le pré-carré étatsunien qu’est l’Amérique Latine. Concernant ces relocalisations, il est plus que probable que les productions concernées se concentrent autour des questions sanitaires, énergétiques voire agroalimentaires.

Le second scénario serait celui d’une multiplication des « usines du monde » au delà de l’Asie. Ainsi, c’est avant tout dans les territoires coloniaux des puissances impérialistes que cette réorganisation pourrait avoir lieu. On pense notamment à l’Afrique, pillée au niveau de ses ressources naturelles, mais ou la sous-traitance est encore relativement peu développée en comparaison de l’Asie. Le but, ici, serait de sortir de la dépendance chinoise en termes de manufacture, notamment dans l’industrie lourde (aéronautique, automobile etc.) mais aussi de l’industrie textile.

Les deux scénarios répondent au besoin des principaux pays impérialistes d’assurer leur mainmise sur les secteurs industriels stratégiques dans un contexte de contraction du marché mondial, d’accentuation de la concurrence entre puissances, et d’exacerbation à moyen terme des tensions militaires. Les deux options impliquent une ingérence majeure des puissances impérialistes dans les pays dépendants et l’exploitation d’une main d’œuvre disciplinée et bon marché afin de rendre les investissements rentables.

5. Similarités et différences avec la crise de 1929

Si la crise économique à venir découle d’une combinaison de la gestion post-crise 2008 et de la crise sanitaire actuelle, le comparatif avec la crise des subprimes semble un mauvais étalon. Ceci est principalement dû à l’ampleur de la crise à venir, qui semble à un niveau incomparablement supérieur à 2008. A ce titre, la Grande Dépression de 1929 semble plus adéquate en termes de comparaison, avec des similitudes et des différences.

Plus adéquate en effet, car les conséquences en termes d’impact, notamment sur le chômage, semblent être d’un rapport plus ou moins équivalent. C’est le cas, en particulier, de l’explosion du nombre de chômeurs aux États-Unis, qui dépasse déjà les 30 millions . A terme, c’est également en proportion que les taux de chômage devraient être équivalents. Une situation qui ne se limitera pas, bien entendu, au seul cas des Etats-Unis.

Pareillement, si la crise de 2008 a été globale, un certain nombre de secteurs ont été épargnés par la crise. C’est le cas, par exemple, du secteur aéronautique, qui est aujourd’hui une des pointes avancées de la crise économique à venir. La cuvée 2020 devrait ainsi se rapprocher de celle de 1929, avec une crise touchant l’ensemble des secteurs et virant à la dépression économique, ce qui n’a pas été le cas en 2008. A ce titre, c’est l’illusion d’une possibilité de rebondir, pour les travailleurs, et de trouver d’autres emplois qui va rapidement s’estomper. Une donnée qui pourrait avoir des conséquences importantes sur le terrain de la lutte des classes.

Toutefois, si dans les grandes lignes, le comparatif 1929/2020 est opérant, une série d’éléments diffèrent largement, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur la suite des événements.

D’abord, il est important de signaler que la crise de 1929, si elle s’est généralisée, a touché les différentes puissances de manière différée. Initiée en 1929 aux États-Unis, la crise ne touchera l’Europe qu’au début des années 30. Mais un siècle de mondialisation est passé par là depuis, impliquant un degré jamais atteint d’internationalisation des chaînes de productions. La principale conséquence de ce développement est une dépendance mondiale des pays centraux, en terme de production, envers la Chine, devenue l’usine du monde. Ainsi, contrairement à 1929, on ne devrait pas voir d’effet différé de la crise économique, mais au contraire une forme de simultanéité, avec une crise touchant l’ensemble des pays du globe et, plus encore, l’ensemble des différentes branches économiques sur toute la planète, dans le sens, comme dit plus haut, des marges vers le centre.

Ensuite, la crise de 1929 s’est inscrite à la suite de la première guerre mondiale, qui a largement chamboulé l’échiquier géopolitique avec l’avènement des États-Unis comme potentielle puissance hégémonique et, bien sûr, une destruction massive de capital en Europe. Une situation qui, inéluctablement, a amené à la seconde guerre mondiale, en réponse aux tendances révolutionnaires et visant à achever le « partage du monde » entre les différentes puissances impérialistes. Si le scénario de conflits entre grandes puissances n’est évidemment pas à balayer, la situation est tout de même très différente. En effet, le leadership américain ne semble pas, pour l’heure, en danger immédiat. La Chine n’étant pas encore en mesure de contester ce leadership, en particulier avec le ralentissement de sa croissance. A ce titre, les risques d’affrontement semblent plus probables entre puissances intermédiaires et régionales, impliquant les puissances impérialistes de manière plus indirecte. Sur ce terrain, la région la plus sensible semble être le Moyen-Orient, traversé par les volontés expansives de l’Iran ou bien encore de l’Arabie Saoudite qui pourrait déboucher sur des conflits sanglants dans la région.

Enfin, dans les années 30, le mouvement ouvrier, tout juste auréolé de la victoire de la Révolution russe de 1917, se trouvait dans une position incomparablement plus favorable qu’aujourd’hui. La vague d’insurrections ouvrières et de phénomènes de lutte des classes aigus partout dans le monde constituaient autant de points d’appui pour l’émergence d’une alternative de classe à la catastrophe capitaliste. Ainsi, la classe ouvrière disposait-elle alors d’organisations politiques et syndicales d’un niveau incomparablement supérieur à celui d’aujourd’hui. Toutefois, ce manque d’emprise sur des secteurs entiers de la classe par des organisations réformistes et staliniennes, capables d’assurer la déviation des processus révolutionnaires pour le maintien de la société capitaliste sont aussi, d’une certaine manière, un problème pour les différentes bourgeoisies. Le retour de la lutte des classes à échelle internationale, dans le sillage du mouvement des Gilets jaunes en France, démontre une forme de radicalisation de pans entiers des masses ces derniers mois et années.

La détérioration de la situation sur le terrain économique ne peut mener qu’à un approfondissement de cette radicalisation, même si ses débouchés sont encore très incertains. Mais les différents mouvements de ces derniers mois ont aussi mis en avant le fait que la spontanéité ne suffit pas, et que la question de la construction d’un parti révolutionnaire à l’échelle internationale est plus que jamais une question centrale. A ce titre, le constat dressé par Trotsky dans son Programme de transition en 1938 est toujours d’actualité : La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire.


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