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Le point de vue d’un cheminot

7 blessés dans un déraillement spectaculaire du RER B. La faute au climat : vraiment ?

Trois voitures du RER B « tiennent dans le vide » en ce moment-même, suite à l’accident survenu ce mardi matin à Courcelles-sur-Yvette (Essonne) peu après 5 heures, faisant 7 blessés légers. Alors que cet accident aurait pu être dramatique, la question que tout le monde se pose est de savoir s’il aurait pu être évité. En tant que cheminot, je le dis tout net : le climat aussi capricieux soit-il ne peut être tenu pour responsable du manque d’entretien des voies.

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Par chance cette fois-ci, le RER n’avait à son bord que 7 passagers en plus des 2 conducteurs. Parmi les 7 blessés, 3 ont été pris en charge quelques heures à l’hôpital, notamment sur le plan psychologique. D’après Stéphane Beaudet, vice-président de la Région Ile-de-France, le déraillement serait « lié à un orage il y a deux jours qui, avec du ravinage et du sable, a bouché des évacuateurs d’eau ». Certes pour cette fois le déraillement n’a pas eu lieu sur le réseau SNCF mais RATP. Mais le mal est le même : un réseau de moins en moins entretenu, la faute à la diminution continue des effectifs.

Je vais donc parler de ce que je connais le mieux, en tant que conducteur de trains sur le secteur de Trappes dans les Yvelines : la SNCF. Alors qu’à chaque incident, la direction met en cause le climat et qu’on a l’impression que la direction de l’entreprise découvre chaque année les saisons, qu’en est-il exactement ? Est-ce nouveau que l’été il fait chaud, l’automne les feuilles tombent, l’hiver il fait froid et il neige, et au printemps il y a du redoux ? N’est-ce pas ainsi depuis l’aube des temps ? Les trains ne subissaient-ils pas ces mêmes contraintes climatiques il y a 50 ans ? Certes mais ils les supportaient mieux. En effet, les voies étaient beaucoup mieux entretenues et nous sommes progressivement passés du préventif au curatif. Il faut dire qu’on est passé de plus de 500.000 cheminots après la seconde guerre mondiale à moins de 150.000 aujourd’hui. Les effectifs ne sont plus suffisants pour entretenir les voies pour y faire rouler les trains en toute sécurité. On est dans le risque calculé. Les incidents se multiplient, et en arrivent parfois à des accidents ferroviaires, comme ce matin à Courcelles-sur-Yvette sur le réseau RATP ou ces dernières années à Brétigny-sur-Orge ou encore à Denguin. Ces accidents ont en commun qu’ils auraient dû être évités.

Alors c’est vrai, les pluies de ces dernières semaines sont exceptionnelles. Mais les cours d’eau, qu’ils soient souterrains ou en surface, sont connus et les voies devraient être correctement remblayées pour pouvoir résister à n’importe quelle pluie, fut-elle torrentielle. Il en va de la sécurité des trains, et surtout des voyageurs et des travailleurs du rail. Des milliers de tonnes roulent sur les voies à des vitesses dépassant pour la plupart les 100 km/h et il y a encore quelques décennies, les affaissements de voie étaient du domaine de l’exceptionnel. Ces dernières années ils se sont multipliés. De même, dès qu’il y a des conditions climatiques qui s’approchent de l’extrême, il y a forcément des incidents. Citons également que la baisse des effectifs de l’infra pourrait être responsable de l’accident de Denguin en 2014 (40 blessés dont 3 graves). En effet, l’enquête arrive à la conclusion que des rats ont rongé les fils électriques d’une armoire de signalisation (là où une multitude d’appareils électriques font qu’un signal va être rouge, jaune ou vert et donc que le conducteur d’un train va pouvoir rouler à vitesse normale, ou au contraire freiner ou s’arrêter, pour faire simple), faisant passer au vert un signal qui aurait dû être rouge. Or, habituellement, ce sont les équipes de l’infra qui, lors de leurs tournées, mettaient du poison à rat dans ces armoires afin qu’ils ne viennent pas ronger les fils. Alors évidemment, quand la fréquence des visites a diminué, le poison n’a plus été assez efficace pour empêcher les rongeurs de proliférer.

Mais le pire dans tout ça, c’est que la direction de la SNCF a adapté les règlements de la traction pour pouvoir faire rouler les trains coûte que coûte sans ralentissement malgré le manque d’entretien du réseau, rendant la réglementation de l’infra et celle de la traction discordantes. Les deux exemples les plus frappants sont les suivants :

  •   Sur tous les appareils de voie (aiguilles) du même type que celui où a eu lieu l’accident de Brétigny en 2013, l’infra préconise de limiter la vitesse à 100 km/h, et ce, bien avant cet accident. Or, nombre de ces appareils de voie ont des dérogations allant jusqu’à 60 km/h au-dessus de la vitesse préconisée. Ces dérogations, risquées si des mesures complémentaires ne sont pas prises, auraient dû induire un meilleur suivi (des visites plus fréquentes) de ces appareils de voie par l’infra, ce qui n’a pas été fait car c’est incompatible avec la politique de baisse des effectifs qui au contraire espace les visites et allonge la distance de voie ferrée dont les agents de l’infra ont la responsabilité. Pour la petite histoire, pour faire croire qu’il n’y avait aucun rapport avec l’accident, la SNCF a attendu un an pour abaisser la vitesse sous les 100 km/h préconisés à l’endroit où il y a eu l’accident à Brétigny.
  •   Du fait d’un conflit entre les ondes du réseau de téléphonie mobile et les ondes utilisées par la SNCF pour les communications entre et avec les trains (appelé GSM-R pour GSM-Rail), alors que tout le réseau SNCF aurait dû normalement être couvert par le GSM-R, il subsiste des zones non couvertes, plus ou moins longues (de quelques mètres à 500 mètres pour la plupart). Or, d’après les règlements de l’infra, en cas d’absence prolongée (8h pour l’Île de France) du réseau GSM-R, quelle que soit la distance concernée, toutes les circulations doivent se faire soit avec 2 conducteurs en tête du train, soit à une vitesse limitée à 70 km/h. Pourtant, tout conducteur de train pourra confirmer que la direction de la SNCF s’affranchit allégrement de ces règles.

    Toutes les fois où la direction de la SNCF s’affranchit des règles de sécurité à des seules fins de rentabilité (suppression d’effectifs) font courir des risques inconsidérés aux usagers et aux travailleurs du rail. Seule la chance évite des catastrophes avec des bilans humains très lourds. Même Brétigny, malgré 7 morts et 70 blessés, aurait été beaucoup plus meurtrier si au lieu d’avoir eu lieu en juillet, il avait eu lieu un mois plus tôt, ce train passant moins de 5 minutes avant un train de banlieue à destination de Saint Martin d’Etampes et embarquant une centaine de collégiens rentrant chez eux qui auraient été balayés par les voitures corail déraillées. De même, avec 11 morts sur 53 personnes à bord du TGV lors de l’accident ferroviaire d’Eckwersheim, le bilan humain aurait pu être beaucoup plus lourd, quand on sait la vitesse à laquelle ce train a déraillé et quand on voit l’état de la rame accidentée.

    C’est vrai, il faut réformer la SNCF. Mais pas comme ils le font. La question à se poser, c’est comment on fait un meilleur service public ? Comment on fait pour transporter des usagers et des marchandises en toute sécurité ? Comment on tire des enseignements des accidents et incidents passés afin qu’ils ne se reproduisent plus ? Car si c’est vrai que la SNCF n’a rien fait pour éviter que les accidents cités dans cet article ne se reproduisent, cette réforme ne va rien arranger, bien au contraire. Ce n’est pas en continuant de casser la SNCF et d’éparpiller les morceaux qu’on va mieux servir les intérêts des usagers. La seule façon de rendre sûr et efficace le train est que tous les travailleurs du rail, des agents sur les voies aux conducteurs en passant par les contrôleurs, le personnel de nettoyage, les agents d’accueil et au guichet, les agents de maintenance des trains, et tous les autres dont la liste serait trop longue à déployer ici, intègrent une grande entreprise publique unifiée avec un statut leur permettant d’effectuer leur métier dans les meilleures conditions.


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