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85% de la population ferait confiance à la police. Le ministère de l’intérieur publie une enquête douteuse pour calmer la gronde

Selon le ministère de l'Intérieur, 85% de la population a une image positive de la police. Les résultats d'une enquête à la méthodologie pour le moins douteuse, publiée alors que la remise en question du racisme et du rôle coercitif de la police est internationale.

Ariane Anemoyannis

8 juin 2020

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L’enquête a été publiée par la Place Beauvau et semble tomber à pic. Le hasard fait bien les choses, ou alors Christophe Castaner s’est empressé de mettre en avant des chiffres élogieux pour calmer la gronde. En effet, la dynamique inédite née aux Etats-Unis par le meurtre de George Floyd et qui a déferlé partout dans le monde a bien sûr eu un certain écho en France.

Après deux mois de confinement autoritaire durant lesquels douze personnes ont perdu la vie et des centaines d’autres ont été blessées, la contestation face au racisme et aux violences policières a particulièrement résonné auprès des populations des quartiers populaires.

Quoi de mieux pour calmer la colère que d’opter pour la méthode Coué : en publiant une enquête qui affirme que 85% de la population fait confiance à la police, le ministère de l’intérieur souhaite convaincre du non-lieu des rassemblements massifs qui ont pris place dans de nombreuses villes en France.

Mais voilà, il s’avère que les résultats font débat. À peine publiée, déjà critiquée : une rengaine qui ne manque pas de tourner en ridicule ce qui se voulait être un travail scientifique capable d’invisibiliser les centaines de vidéos qui témoignent de violences policières scandaleuses pendant le confinement.

La méthode employée par cette enquête EQP19 est douteuse en ce qu’elle se base sur les réponses de sondés ayant eu un contact avec la police. Seulement, l’enquête ne renseigne pas par quel biais est-ce que ce contact s’est opéré : les 12 822 personnes qui ont participé au questionnaire ont dû imprimer, remplir, et déposer un coupon dans un commissariat de police. Accostés dans les centres commerciaux ou par voies personnelles, les sondés ne seraient donc pas choisis au hasard, ce qui altère à la déontologie. Le directeur de recherche au CNRS Sebastian Roché estime ainsi que cela représente "un biais majeur".

Les problèmes méthodologiques que pointe le journal 20 minutes sont corroborées par de multiples éléments. D’une part, Sebastien Roché estime qu’en règle générale, "plus les gens sont en contact avec la police, moins ils sont satisfaits de la police". De nombreuses études sur le sujet vont dans le même sens : en janvier, 43% des français disaient avoir confiance en la police selon l’institut Ifop. Une défiance inédite, cultivée par la séquence des gilets jaunes et la répression des mouvements de grève. C’était en effet pendant la réforme des retraites que Macron avait dû se prononcer sur les violences policières après qu’ait été filmée la brutalisation d’une salariée de la RATP lors d’une manifestation.

Des données qui s’avèrent donc contradictoires avec les résultats particulièrement élogieux de l’enquête publiée par Castaner. Depuis la mort de George Floyd entre les mains de la police, c’est une impressionnante vague de dénonciation des méthodes et du rôle de cette institution qui a déferlé partout dans le monde, que veut cantonner à tout pris la classe politique. Si l’ensemble de la presse et des commentateurs s’empressent de fustiger le racisme systémique aux Etats-Unis, le message est cependant clair concernant la France : cela n’a rien à voir. Plusieurs stratégies semblent s’entremêler pour le meilleur et pour le pire. Christian Jacob, chef de file des Républicains scande que les « violences policières » et « une police raciste n’existent pas » en France. Muriel Pénicaud estime sur le micro de France Info que tout le monde a le droit à l’erreur, y compris la police. Christophe Castaner tente quant à lui de convaincre la population en colère qu’en réalité elle a toute confiance en la police.

En parallèle, l’IGPN déclare avoir observé un bond de 40% des plaintes pour violences volontaires à l’encontre de la police, entre 2018 et 2019, soit la même période que l’enquête made in Castaner. De son côté, Jacques Toubon fustige les atteintes aux droits fondamentaux et énonce qu’en 2017 les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes ont 20 fois plus de chance de se faire contrôler.

Une fébrilité certaine du pouvoir à l’heure où le voile se lève progressivement quant aux méthodes de maintien de l’ordre dans les quartiers populaires. Les vidéos qui en témoignent, les prises de position d’artistes de la scène française de Camélia Jordana à Omar Sy, les centaines de milliers de tweets qui racontent les violences subies et le racisme sont autant de preuves qui viennent écraser l’enquête que la Place Beauvau voulait apaisante.

Si Macron avait déjà avancé un tel discours lors du mouvement contre la réforme des retraites, il s’agit désormais pour le pouvoir de se confronter à un potentiel mouvement qui dénonce directement le racisme systémique de la police ainsi que son rôle coercitif. Et qui nait dans la chaleur d’un mouvement international.

C’est dans ce cadre que Macron a donné l’ordre au gouvernement de se pencher sur la question des violences policières, à l’heure où Castaner semble privilégier une méthode Coué au risque d’agacer davantage la population. C’est d’ailleurs par cette enquête que le ministre de l’intérieur a initié sa conférence de presse :

« Récemment, les chercheurs de l’université Savoie-Mont Blanc ont interrogé plus de 48 000 personnes de tous âges et de tous horizons ayant été en rapport avec la Police ou la Gendarmerie. 12 800 personnes ont répondu. Et les chercheurs avaient décidé, tout particulièrement, d’interroger les habitants des quartiers de reconquête républicaine : ils représentent 2% de la population française mais 10% des sondés.
Au total, les résultats sont clairs : 85% des personnes interrogées ont une image positive des forces de l’ordre. Et 80% estiment que policiers et gendarmes ont un comportement professionnel lors de leurs interventions.
Ces résultats, je pourrais m’en vanter. Je pourrais utiliser la reconnaissance et l’estime de la grande majorité pour éclipser le malaise d’une part de nos concitoyens.
Il n’en est pas question. Je ne serai satisfait que lorsque 100% des Français répondront favorablement à ces questions. »

C’est donc derrière cette manipulation grossière que Castaner a appuyé son argumentaire : nier le caractère systémique du racisme et des violences policières et rabâcher la rhétorique bien huilée des « brebis galeuses » et des « agissements isolés » au sein de la police. Mais les périodes récentes nous ont démontré, pendant les Gilets jaunes, la bataille contre la réforme des retraites et durant le confinement, le rôle de la police, réprimer les classes populaires, dans les mobilisations ou les quartiers, au service de l’intérêt des classes dominantes.


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