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Droit à disposer de son corps

À Cannes, le tapis se teint en vert pour la légalisation de l’IVG en Argentine

La marée verte a atteint la Côte d’Azur. Samedi 18 mai, des féministes militantes munies de paillettes et de foulards verts ont monté les marches du Palais des Festivals à Cannes au cri d’« avortement légal ».

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Cette manifestation s’est déroulée dans le cadre de la présentation du documentaire Que sea ley de Juan Solanas en séance spéciale, qui met en lumière l’une des nombreuses réalités de l’avortement en Argentine, ainsi que la lutte qui a accompagné le débat sur la loi au Sénat en 2018.

Les militantes ont défilé derrière une banderole qui rendait hommage à Ana María Acevedo 12 ans après sa mort. La fille souffrait d’un cancer et avait demandé à avorter par voie chirurgicale, ce qui lui permettrait de traiter sa maladie, mais les médecins ont fait valoir « l’objection de conscience ». Elle est décédée le 17 mai 2007, liée par les mains et les pieds, quelques jours après un accouchement provoqué alors que le bébé avait 26 semaines de gestation. Le bébé est mort en quelques heures. Norma Cuevas, la mère d’Ana María Acevedo, est interviewée dans le documentaire et faisait partie de la délégation qui a manifesté sur le tapis rouge à Cannes.

Dans la salle de la projection, pendant que les gens s’installaient, les harangues ne cessaient pas : les militants prenaient les foulards qui étaient dans chaque siège pour les brandir en l’air, en chantant des slogans pour l’avortement légal, pour l’organisation des femmes, contre l’église et contre le patriarcat.

Le foulard vert qui envahit toutes les luttes féministes argentines porte l’inscription « l’éducation sexuelle pour décider, les contraceptifs pour ne pas avorter, l’avortement légal pour ne pas mourir », et est aujourd’hui présent dans toutes les rues, transports, écoles et lieux de travail en Argentine. Dans ce pays, le foulard a une charge symbolique puissante : il a été — et est encore — le symbole de la revendication des disparus à travers la lutte des mères et grands-mères de la Plaza de Mayo pendant la dernière dictature civile militaire (1976 - 1983). Aujourd’hui, perpétuant cette tradition de lutte pour les droits humains, le foulard vert est le symbole de ce que beaucoup appellent la révolution des filles.

Que sea Ley (que ça devienne loi)

Le film montre une façon de raconter une des nombreuses réalités de l’avortement en Argentine. Parce que, comme le disent inlassablement les militantes, pendant que les riches avortent, les pauvres meurent. En 85 minutes, nous voyons divers témoignages de proches de victimes d’avortements clandestins, ainsi que de femmes qui avortent et racontent leur expérience, parfois terrible, parfois moins grâce aux soins et à l’accompagnement des autres femmes. L’une des histoires les plus choquantes est celle d’une militante qui raconte comment une camarade féministe a été internée à cause d’un avortement et trouvée avec des tiges de persil dans son utérus. Ce sont les conséquences de la clandestinité.

Ces témoignages ont été faits dans les lieux les plus isolés, les plus pauvres et les plus oubliés de la République argentine. Dans ces maisons extrêmement précaires où le réalisateur faisait les interviews, on voit parfois l’image de la Vierge, ou un autre échantillon de la foi catholique. De cette façon, Solanas cherche à montrer une conciliation entre la religion et le militantisme pour le droit de décider. Une des personnes interrogées dit qu’elle était catholique avant d’avorter, et qu’elle l’est toujours après avoir avorté, parce qu’elle sait qu’il est nécessaire de séparer la foi, sa propre croyance, des impositions de l’Église. Ainsi, elle affirme sans hésitation que la séparation de l’Église de l’État est essentielle.

Parmi les témoignages, il y a un cas qui a été clé dans la lutte pour l’IVG en Argentine : celui de Belén, la jeune condamnée à 8 ans de prison pour une fausse couche. À contre-jour pour ne pas s’exposer, elle explique qu’après avoir subi un avortement spontané et sans trop savoir ce qui se passait, douloureuse et terrifiée, elle va à l’hôpital. Lorsqu’elle se réveille, elle se retrouve entourée de policiers qui la harcèlent de questions et la prennent déjà pour une criminelle. Belén a été emprisonnée pendant 900 jours parce qu’on lui a refusé le droit d’attendre son procès en liberté, et bien que le film n’en rende pas compte, c’est grâce à la lutte féministe qu’elle fut libérée et acquittée.

Le film laisse trop de place aux législateurs et trop peu de place aux luttes des femmes. Outre les interventions de différents députés et sénateurs lors du débat de la loi au Parlement, Solanas a décidé de réaliser plusieurs interviews personnelles, où malheureusement les législateurs mentionnent très peu le travail qu’ils ont fait aux côtés des militantes toutes ces années.

L’avortement légal, une dette de la démocratie

Ce slogan se lit, depuis des années en Argentine, sur les murs des rues, sur les pancartes des manifestations, dans les différents communiqués de lutte pour la légalisation de l’avortement. En Argentine, la lutte pour l’IVG remonte à plusieurs décennies. Si la dernière dictature militaire a dévasté les mouvements sociaux, la résistance s’est consolidée autour des groupes d’étude.

Depuis 1986, trois ans après le retour de la démocratie, une Rencontre Nationale des Femmes se tient chaque année en Argentine. Il s’agit de trois jours d’ateliers et de débats sur les réalités, les revendications et les formes d’organisation par et pour les femmes. La crise de 2001 en Argentine, qui a entraîné la démission et la fuite en hélicoptère de l’ancien président De La Rúa, a déclenché la création de nombreuses assemblées populaires et l’organisation des femmes a fait un grand bond en avant. Ainsi, à la XVIIIe Rencontre nationale des femmes qui s’est tenue en 2003, la question de l’avortement est devenue fondamentale. Les débats « moraux » sur l’avortement sont remplacés par un atelier intitulé « Stratégies pour obtenir le droit à l’avortement ».

Cette rencontre a servi de base à la création de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risque et gratuit, lancée le 28 mai 2005, Journée internationale d’action pour la santé des femmes. Elle a depuis lors la capacité et la force de coordonner simultanément des activités, ateliers et débats dans différentes régions du pays. En même temps, elles sont chargées, avec des avocats et les législateurs, de rédiger chaque projet de loi IVG présenté au Parlement durant ces 14 années.

Le débat pour l’IVG aujourd’hui

Le projet de loi pour la décriminalisation et la légalisation de l’avortement n’a été discuté pour la première fois au Parlement qu’en 2018, 13 ans après sa première présentation. Il a été traité à la [Chambre des députés le 14 juin 2018-https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Grande-victoire-pour-les-pro-IVG], où elle a été approuvée par 129 voix pour et 125 contre. Ce traitement a été précédé de deux mois de débats, invitant politiciens, militants, médecins et intellectuels qui étaient pour et contre l’avortement. Après avoir été adoptée par les députés, la loi a été examinée dans les premières heures du 9 août 2018 par les sénateurs et sénatrices, et rejetée par 38 voix contre 31.

La particularité de la présentation du projet de loi en 2018 est qu’il a été accompagné d’une énorme couverture médiatique qui a ouvert le débat public. Ainsi, la discussion s’est établie dans les familles, les écoles, les lieux de travail et dans tous les médias grand public. Contre le foulard vert, le foulard bleu ciel pour défendre « les deux vies » a été créé. Les gens utilisaient le foulard d’une manière visible, généralement en l’attachant dans leur sac à dos ou au poignet, de sorte que des discussions sont apparues même dans les transports publics. Et avec cette lutte, une autre particularité était l’énorme et puissante participation des jeunes filles, qui exigeaient aussi l’application de la loi de l’éducation sexuelle dans les écoles. Les adolescentes ont tenu des assemblées dans les lycées et les ont même bloquées pendant la journée du vote au Sénat, demandant l’approbation de la loi.

Ce mardi 28 mai, le projet de loi sera présenté pour la 8e fois au Parlement argentin. Dans le cadre d’une campagne politique en vue des élections législatives et présidentielles d’octobre, la seule liste qui se positionne entièrement pour la légalisation de l’avortement dans son programme c’est le Front de Gauche et des Travailleurs. Tous les autres, malgré la lutte féministe, gardent le silence ou même affirment qu’il « n’est pas nécessaire d’avancer si vite dans la légalisation de l’avortement », comme l’a fait le candidat kirchneriste Alberto Fernandez.

À Paris, un pañuelazo accompagnera la présentation du projet de loi en Argentine. Il aura lieu le mardi 28 mai à 18 h 30 à la Place de la République. Le collectif féministe lutte des classes Du Pain et des Roses sera présent et appelle à soutenir la lutte des argentines et de toutes les femmes du monde qui se battent pour ce droit fondamental.


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