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Pseudo-scandale chez les amateurs de porno

A Playboy, on abandonne le nu intégral, mais sûrement pas la logique patriarcale

Camilla Ernst{} {} Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est aucunement en faveur de la cause des femmes et du respect de leur image que le fondateur du magazine Playboy a annoncé abandonner les photos de nu dans sa nouvelle édition, à paraître à partir du mois de mars prochain. Seules des motivations d'ordres économiques pouvaient sous-tendre de telles déclarations, à l'heure où l'industrie du porno fait fureur sur le net et menace la survie du magazine. Et si aujourd'hui comme dans les années cinquante, le magazine dit participer à la libération sexuelle, ce n'est malheureusement toujours pas en levant les oppressions patriarcales qui pèsent sur le corps féminin.

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Ouf ! Seule la full nudity est menacée !

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C’est par un scandale que tout a commencé, quand, en 1953, Hugh Hefner lançait son magazine grâce à une photo de Marylin Monroe dévêtue en couverture. Et c’est en créant à nouveau de l’agitation autour du journal, qu’il espère bien en relancer les ventes. Une information relayée par les plus grands médias traditionnels, et qui acquiert ainsi une importance capitale. C’est en effet le New York Times qui a annoncé ce lundi que le célèbre magazine au lapin à grandes oreilles allait abandonner les photos de nu. La nouvelle n’a pas tardé à faire réagir nos médias français, du Point qui criait au « Drame » à L’Obs qui titrait « Sortez-vos mouchoirs », tous sont nostalgiques de « cette époque où de nombreuses générations d’Américains lisait Playboy en cachette », où, pour le plus grand plaisir de ces messieurs, on pouvait admirer entre les pages du magazine des photos de femmes, parfois même de stars telles que Madonna ou Sharon Stone, intégralement nues, offrant leurs charmes au premier venu.

Mais, que tout le monde se rassure, ce n’est que la full nudity, le nu intégral, qui sera supprimée. « Petit lot de consolation » pour L’Obs, pourtant pas des moindres, resterons des clichés osés de femmes prenant des poses suggestives et susceptibles de séduire un public masculin. Et si le célèbre cahier central, offrant la photo dépliable d’une femme nue, sera proscrit, restera la « playmate du mois », en version adaptée pour un public de 13 ans et plus. L’information prend alors des allures de coup de pub et la réaction totalement exagérée des médias, qui n’hésitent pas à parler de « changement radical » de politique, ne vient que donner raison à la stratégie marketing de relance des ventes du magazine, à l’heure où la concurrence d’internet dans le domaine du porno est rude. « Vous êtes aujourd’hui à un clic de n’importe qu’elle image sexuelle gratuitement. Cela [les photos de nu] fait partie du passé », note Scott Flanders, directeur général de Playboy Enterprises. Où est le problème alors, puisqu’on pourra toujours avoir accès à ce genre de photos ? Ou est la radicalité quand les mêmes oppressions contre les femmes seront véhiculées, que celles-ci soient ou non intégralement nues ?

Des raisons économiques...

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C’est donc la rude concurrence d’internet sur le marché du porno, à l’origine d’une véritable crise économique pour les magazines du genre, qui explique ce changement « radical ». En effet, le titrage de Playboy est passé de 5,6 millions à 800.000 exemplaires en 40 ans, et le magazine enregistrait 2,6 millions d’euros de pertes l’an dernier, quand beaucoup de ses concurrents mettaient la clé sous la porte. L’objectif affiché serait donc de s’éloigner de la presse adulte qui limite la diffusion du magazine sur internet, notamment sur Facebook, Twitter ou Instagram qui en censurent le contenu, et s’affranchir de l’interdiction de vente aux mineurs, le tout pour rajeunir le lectorat du magazine, ciblant les « jeunes actifs » en leur proposant un contenu plus aguicheur et branché. Les premières expériences de suppression du « nu » sur internet ont en effet permis d’abaisser la moyenne d’âge des lecteurs de 47 à 30 ans, et de multiplier par 4 le nombre de lecteurs uniques par mois. Une ouverture de marché prometteuse donc, où l’on hésite pas à banaliser des représentations dégradantes des femmes dès le plus jeune âge des lecteurs masculins, afin de sauver un marché en berne.

… mais pas une once de revendications féministes

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Et à côté de ces justifications, pas une once de réflexion quant aux problèmes soulevés par ces photos au regard de l’image véhiculée des femmes et de leur corps. Au contraire, Scott Flanders se félicite d’avoir été avec Playboy l’icône de la révolution sexuelle américaine puis mondiale dans les années 50 : « Nous avons livré et gagné cette bataille ». Mais de quelle révolution sexuelle parle-t-on ? Si la libération sexuelle passe par la libération des corps, et donc par la possibilité pour les femmes de s’afficher et s’assumer dans le plus simple appareil, la mise en scène créée dans les photos des « magazines de charme » ne fait que participer à l’oppression patriarcale imposée au corps des femmes, supposé lieu de charmes. Ce sont des femmes objets de désir que l’on nous expose, jeunes, au corps sans défaut au regard de la norme, de la blonde à forte poitrine à la brune sauvage mais non pas moins bien pourvue, à la taille fine mais aux formes marquées, installées dans des positions qui mettent en valeur leurs atouts physiques, déhanchés et cambrure exagérés, afin d’attirer des lecteurs masculins, renvoyés à leurs seules « pulsions lubriques ». Une révolution qui ne permet pas l’émancipation du sujet, en l’occurence des femmes, mais les somme de répondre aux critères du désir masculin, en tout cas de celui que la société cherche à imposer. Et lier le lancement du magazine à la révolution sexuelle qui avait effectivement lieu à l’époque, c’est nier les luttes menées par les femmes pour le droit à assumer et revendiquer leur sexualité, accéder à la contraception, à l’IVG, etc...

D’un autre côté, ce n’est pas un hasard si un tel magazine a vu le jour au cœur de l’époque de la révolution sexuelle justement. Playboy c’est un « magazine sur un style de vie dont le sexe serait un des ingrédients » pour son fondateur, Hugh Hefner. Libérer la parole sur le sexe, un projet honorable. Mais Playboy ne le fait que dans le cadre d’une société hétéronormée, et ce n’est pas un hasard si le titre retenu pour le magazine signifie « divertissement pour hommes ». La ligne éditoriale définie ainsi le projet du magazine : « un mensuel avec des photos de femmes nues, des articles sur un mode de vie combinant divertissement, sophistication, sexualité et amusement ». L’amusement, la liberté sexuelle, ne se conçoivent dans les pages du magazine, que dans le cadre des normes imposées par la société, et pour répondre aux désirs des hommes hétéros. Difficile alors de sortir du tabou qui entoure le sexe, participant à la sphère d’angoisse et de mensonge qui lui est liée, et freinant toute possibilité d’assumer pleinement une activité sexuelle libérée, quand effectivement, le sexe est l’un des ingrédients d’une vie épanouie.

Quand les médias traditionnels crient au scandale de voir révolue l’époque de Playboy et ses nus, crions pour la véritable libération sexuelle des femmes, celle qui leur apportera une réelle émancipation vis-à-vis des normes de charme imposées par les magazines du même nom.


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