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Souffrance au travail

A la Poste, le procès de la sous-traitance après la mort d’un livreur en 2012

Parallèlement à ceux de France Télécom s'ouvrait le procès (le premier) de la sous-traitance à la Poste. Cas à maint égard similaire, emblématique d'un système qui, sous un langage managérial fleuri (« modernisation », « agilité », « libération des énergies », « responsabilité »), maque mal la brutalité de l'exploitation qui règne dans le « despotisme » d'entreprise.

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A Nanterre est jugé ce lundi le recours trop systématique de la Poste aux sous-traitants, salariés littéralement de seconde zone, suite à une enquête ouverte après la mort par noyade d’un livreur, Seydou Bagaga, en 2012. Comme le rapporte Médiapart, les conditions de travail de Seydou Bagaga sont représentatives de la réalité du secteur de la sous-traitance, aux conditions de travail quasi-esclavagistes : « Le 15 décembre 2012, Seydou Bagaga, 34 ans, tombe dans la Seine alors qu’il livre des colis sur une péniche amarrée à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Transporté à l’hôpital dans le coma, le jeune homme décède trois semaines plus tard sans avoir repris connaissance. Il travaillait pour la société sous-traitante DNC Transport (dissoute aujourd’hui) depuis 15 jours, sans contrat de travail ni salaire, au motif qu’il était encore « en formation ». Sa déclaration d’embauche à l’Urssaf a été effectuée en catastrophe après l’accident, par un cadre de La Poste. La famille de Seydou Bagaga a porté plainte, accompagnée des syndicats Sud, CGT et Unsa. »

Des conditions de travail au rabais, une sécurité et une formation plus que minimum qui permet une économie maximale des coûts, pour une livraison à « flux tendu », pressurisant à l’extrême les salariés. Ainsi, rapidement l’enquête s’est étendue à l’ampleur du recours à la sous-traitance au sein de la Poste, certains bureaux étant entièrement sous-traités. Comme le précise Mediapart, rapportant les paroles d’un manager : « Sur certains centres, comme à Pantin, il peut y avoir 100 % de sous-traitants, alors que la livraison de colis est la première activité de ce centre, s’offusque-t-il. On sous-traite l’intégralité de notre activité principale. On sait bien que ce n’est pas légal ! (...) Certains responsables sont procéduriers, ils vérifient tout et appliquent les règles. D’autres, non. On entend régulièrement des phrases expliquant que les procédures qualité, c’est bien, mais que ça ne fait pas “sortir les colis”. »

Ainsi, les procès autour de la vague de suicides ayant touché France Télécom a contribué à médiatiser un phénomène largement répandu, relevant, en un certain sens, d’un état d’exception généralisé. Plus encore, exposant au grand jour l’ampleur des dégâts humains produits par une politique de « modernisation des ressources humaines », attirant l’attention sur l’ensemble d’un système, ces procès mettent un coup d’arrêt à la « modernisation » qui touche des entreprises comme la SNCF ou la Poste. Une politisation de la souffrance au travail que ne manque pas de relever la bourgeoisie, inquiète d’une exposition trop large des méthodes peu ragoutantes des coulisses de ces entreprises, faisant porter la responsabilité juridique des suicides aux patrons de France Telecom de l’époque : « Or, jusqu’alors, le principe en droit pénal voulait qu’un lien direct existe entre la victime et l’auteur du dommage, note les Echos. Ici il est clair que ni Didier Lombard ni les six hauts responsables n’ont « directement » harcelé moralement les victimes. Les juges Brigitte Jolivet et Emmanuelle Robin qui ont mené l’instruction le savent. (…) On imagine sans mal les sérieuses conséquences que cette logique pénale nouvelle pourrait avoir sur nombre d’entreprises. C’est, dès lors, toutes les transformations d’entreprises à statut, comme la SNCF ou La Poste, ou qui évoluent dans un environnement concurrentiel tendu, comme Air France et aux mutations technologiques rapides, comme Renault - qui a déjà connu une vague de suicides en 2006 - ou Technip - confronté aussi au même drame et dont les syndicats ont d’ores et déjà saisi la justice - qui vont se retrouver concernées directement. »

La démocratie s’arrête aux portes de l’entreprise. Si ces pratiques brutales de management sont largement documentées, la nouveauté réside dans leur médiatisation à grande échelle et, dans une certaine mesure, l’incrimination d’un « système » à part entière. La sous-traitance se compose de salariés de seconde zone, exploitées dans des conditions semi-esclavagistes , y règne une concurrence terrible entre salariés dans une course effrénée à la maximisation du profit qui passe, principalement, par la baisse drastique des coûts du personnel, et donc de sécurité, de formation, comme le démontre le cas tragique de Seydou Bagaga. Les méthodes d’harcèlement, littéralement tyranniques, sont le lot commun des salariés, le management mobilisant toutes les méthodes, des plus « égales » aux plus « illégales » pour faire plier une main-d’œuvre docile.

Un gigantesque « état d’exception ». Des méthodes propres à un domaine, telles que l’ont exposées les grévistes d’ONET, victorieuses après 45 jours de grève, ayant obtenu gain de cause contre le géant de la sous-traitance qui les « louait » à la SNCF. A ce véritable « état d’exception » que constitue l’entreprise, les grévistes de Gare du Nord ont opposé leur détermination et leur solidarité. Si, comme l’écrit le philosophe Alain Deneault pour le Monde Diplomatique : « Le milieu professionnel et le droit du travail constituent une gigantesque situation d’exception dans l’ordre de la souveraineté politique », alors c’est en opposant un « droit » à un autre, celui des travailleurs, par la grève principalement, que ceux-ci pourront imposer leurs revendications. De la SCNF à la Poste en passant par France Telecom, la souffrance au travail en France lamine, broie et tue. Une souffrance sociale, dont les causes sont directement politiques : par la précarisation à marche forcée imposée par les gouvernements successifs jusqu’à Macron.

Comme le symbole d’une résistance que la bourgeoisie cherche à écraser, s’ouvre bientôt le conseil de discipline d’Eric, cheminot menacé de licenciement pour s’être agenouillé devant sa direction. Comme une preuve, pour paraphraser la Boétie, que de Mantes-la-Jolie à Eric, du monde du travail aux quartiers populaires, s’ils sont grands, c’est parce qu’ils veulent nous mettre à genoux.


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