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« Tu as raison. Tu as raison, je crois qu'il faudrait une bonne révolution. »

A propos de « Qui a tué mon père » d’Edouard Louis

« L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique ». La politique : une question de vie ou de mort.

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Un court livre de 96 pages : « Qui a tué mon père ». Sans point d’interrogation, comme une accusation. Après « En finir avec Eddy Bellegueule » et « Histoire de la Violence », Edouard Louis retrace l’histoire politique des dernières années à travers l’histoire du corps de son père, meurtri par les réformes des gouvernements successifs. La politique : une question de vie ou de mort.

Dans la lignée de ses précédents ouvrages, Edouard Louis propose un récit à caractère autobiographique. Le livre s’ouvre sur une scène : le fils de retour chez lui, après le départ de son milieu rural déjà évoqué dans « En finir avec Eddy Bellegueule » et « Histoire de la violence », Edouard Louis ne reconnaît plus ce père, son père. Ce corps déformé, rendu infirme précocement par des conditions de travail inhumaines à l’usine.

A partir de là, de façon éparse, l’auteur convoque, presque au fil de la plume, ses souvenirs, pour déconstruire les rapports de violence et de domination qui imprègnent l’univers rural et populaire de son enfance. Les dates s’enchainent, en même temps que les anecdotes, conférant à ce court livre le caractère d’une récit intimiste, d’une confession – celle de l’amour porté par un père à son fils, et réciproquement.

Aux anecdotes familiales se superposent les accusation politiques, visant personnellement les responsables des réformes ayant assassiné le corps de son père : Valls, El-Khomri, Holland, Sarkozy ou Macron.

« Hollande, Valls, El Kohmri, Hirsch, Sarkozy, Macron, Macron, Bertrand, Chirac. L’histoire de ta souffrance porte des noms. L’histoire de ta vie est l’histoire des personnes qui se sont succédées pour t’abattre. L’histoire de ton corps est l’histoire de ces noms qui se sont succédés pour le détruire. L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. »

Le corps détruit de son père n’est pas ici exhibé comme une créature dans un freak show, par misérabilisme. C’est un corps politique. Un corps qui accuse l’histoire politique, comme l’écrit Edouard Louis : 5€ en moins d’APL et Macron « leur enlève le pain de la bouche », une prime scolaire de 100€ et c’est la possibilité « d’aller voir la mer », une loi qui facilite les licenciements et c’est le destin d’une famille qui est bouleversé. Autant d’armes pour assassiner, persécuter les classes populaires.

Faire entrer « par effraction » (c’est ainsi que Macron qualifie lui-même son entrée à l’Elysée), le corps, la voix – ou plutôt le silence – et la souffrance, mais aussi les joies et les peines des classes populaires dans l’antre respectable de la littérature. Lieu d’où ordinaire ces dernières sont exclus. Et puisque personne ne regarde, il faudra bien écrire, et se répéter, jusqu’à ce qu’ils daignent regarder : Edouard Louis a forgé son projet d’écriture sur ce qu’il nomme une « littérature de confrontation » : confrontation avec l’âpreté de la violence sociale sous toutes ses formes : sexuelle, raciale, de classe.

« ça aussi je l’ai déjà raconté – mais est-ce qu’il ne faudrait pas se répéter quand je parle de ta vie, puisque des vies comme la tienne personne n’a envie de les entendre ? Est-ce qu’il ne faudrait pas se répéter jusqu’à ce qu’ils nous écoutent ? Pour les forcer à nous écouter ? Est-ce qu’il ne faudrait pas crier ? »

Une effraction des classes populaires qui n’est désormais plus seulement littéraire, mais directement politique avec le mouvement des gilets jaunes. Un mouvement que l’auteur, d’une certaine manière, décrit, à travers la figure de son père, un père parmi d’autres, qui pourrait bien être celui de n’importe quel père présent sur un rond-point et endossant une gilet jaunes : un ouvrier littéralement tué par le travail, dont la vie entière a été volée par un monde fait d’exploitation et d’oppression. Ce père dont les paroles ont une résonance particulière avec l’actualité du mouvement des gilets jaunes – sur lequel a écrit l’auteur dans un post Facebook [1]
–, ces paroles qui concluent l’ouvrage d’Edouard Louis : « Tu as raison. Tu as raison, je crois qu’il faudrait une bonne révolution. »


[1Extrait : « La raison de mon bouleversement, écrit à ce titre Edouard Louis à propos des gilets jaunes dans un post Facebook, c’était bien-sûr ma détestation de la violence du monde social et des inégalités, mais aussi, et peut-être avant tout, parce que ces corps que je voyais sur les photos ressemblaient aux corps de mon père, de mon frère, de ma tante. ..
Ils ressemblaient aux corps de ma famille, des habitants du village où j’ai vécu pendant mon enfance, de ces gens à la santé dévastée par la misère et la pauvreté, et qui justement répétaient toujours, tous les jours de mon enfance « nous on ne compte pour personne, personne ne parle de nous »

  •  d’où le fait que je me sentais personnellement visé par le mépris et la violence de la bourgeoisie qui se sont immédiatement abattus sur ce mouvement. Parce que, en moi, pour moi, chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père. »


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