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répression des journalistes

A qui sert la liberté d’expression ? Des journalistes couvrant des mobilisations réprimés par la police

Ce matin, plusieurs journalistes couvrant les mobilisations lycéennes ont été réprimés par des policiers en roue libre. Alors que le gouvernement se présente en champion de la « liberté d’expression » ces évènements sont révélateurs du deux poids deux mesures de l’exécutif

Mica Torres

3 novembre 2020

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Ce matin, plusieurs lycées de région parisienne étaient bloqués par leurs élèves pour dénoncer la gestion catastrophique de la crise sanitaire par le gouvernement et leur propre mise en danger devant l’inconsistance du protocole sanitaire. La réponse qu’ils ont reçu a été brutale notamment devant le lycée Colbert en région parisienne et à Toulouse devant le lycée Saint Sernin. Des dizaines de CRS se sont chargés de les disperser violemment et à coups de gaz lacrymogène.

Devant le lycée Colbert, plusieurs journalistes étaient présents et ceci n’a pas plu aux forces de l’ordre qui ne pouvaient en toute discrétion violenter des jeunes se révoltant contre leur mise en danger.

Ils ont d’abord été sortis du périmètre de la nasse créée autour de l’entrée de l’établissement, puis empêchés de filmer. Clément Lanot, journaliste en Freelance et titulaire d’une carte de presse, s’est fait gazer à bout portant en tentant de se rapprocher du regroupement de lycéen pour couvrir l’évènement, ceci après avoir reçu des coups de coude et des menaces de se faire écraser par le camion de la police. Taha Bouhafs, son confrère, s’est également fait gazer à bout portant parce qu’il a osé demander au policier la raison du gazage de son collègue.

Renforcement toujours plus fort des libertés de la police

La volonté de l’exécutif de donner un pouvoir toujours renforcé aux forces de l’ordre a des effets directs et immédiats puisqu’on a vu ce matin des actes de leurs part témoignant de leur sentiment de toute puissance. Le schéma national de maintien de l’ordre présenté en septembre par Gérald Darmanin, consacrant une doctrine de dissuasion par l’épuisement des manifestants (nasses, gazages, fouilles au corps, interdiction de filmer les policiers, absence d’immunité des journalistes après ordre de dispersion) est à l’œuvre. Le schéma énonçait d’ailleurs la chose suivante : « le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. » Ainsi, des journalistes peuvent être poursuivis pour avoir tenté de couvrir les moments les plus tendus d’une mobilisation, et donc lorsque les policiers sont le plus susceptible d’exercer des violences.

Or cette doctrine, qui permet à l’exécutif, désavoué par de larges secteurs de la population et dans un moment de crise inédite de se maintenir par la force est en voie d’être largement renforcée. Le 20 octobre, les élus de la majorités ont déposé un projet de loi intitulé « loi de sécurité globale » qui sera débattue demain à l’Assemblée Nationale. Son article 24 menace particulièrement le travail des journalistes. L’article 24 énonce Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. » Il ne fait nul doute que le terme « porter atteinte à son intégrité physique ou psychique » sera instrumentalisé par les policiers pour empêcher les journalistes de couvrir leurs violences.

Si ces dispositions sont prévues, il est évident que l’exécutif compte se servir de la police de manière décomplexée dans le cas contraire il n’aurait pas peur que des vidéos et images de leurs actions soient diffusées.

Bientôt, une absence totale d’images des violences policières sur la toile ?

Parallèlement la majorité mène une offensive quant à la question du contrôle du contenu sur internet, et tente d’imposer l’obligation pour les plateformes de retirer les vidéos de violences policières sur signalement des forces de l’ordre. En effet, la majorité a quelques ambitions concernant l’extension du contrôle du contenu sur internet. Depuis la lois de 2004, on impose aux plateformes le retrait relatif à la provocation ou l’apologie au terrorisme ou encore au contenu pédo pornographique, ceci dans les plus brefs délais sur demande l’autorité administrative.
En juin dernier le Conseil Constitutionnel avait très largement censuré une loi votée à l’Assemblée Nationale dite loi Avia, qui sous prétexte de lutter contre les discriminations, les insultes et la violence sur internet obligeait les plateformes à retirer tout « contenu délictueux » signalé par un internaute dans un délais de 24h sous la menace de lourde amendes. Elle mettait aussi en place l’obligation pour tous les sites Internet -c’est-à-dire les réseaux sociaux mais aussi les moteurs de recherche par exemple- de retirer en une heure, sur simple demande de la police, des contenus dits terroristes ou pédo pornographiques. En cas de non-réactivité dans les temps impartis, la police pouvait exiger un blocage administratif des contenus litigieux sur tout le territoire. Or cela aurait pu permettre de bloquer un contenu durablement, comme l’indique Arthur Mesaud, juriste à la Quadrature du Net puisque la procédure judiciaire permettant de remettre un contenu un ligne pourrait durer un an.

Depuis les attentats de Conflans et de Nice, il semblerait que plusieurs membres de l’exécutif aient la volonté de réhabiliter la très controversée loi Avia sous des formes alternatives. Le 23 novembre, Marlène Schiappa a convoqué les représentants de plusieurs plateformes de réseaux sociaux : twitter, facebook, instagram, tik tok, le pot commun, pinterest, pour lutter contre ce qu’elle appelle le cyber islamisme. Elle a appelé à la responsabilité de ces plateformes pour renforcer leur coopération avec la police et la gendarmerie, et qu’il s’agissait pour ces plateformes de faire remonter de manière proactive les contenus “d’apologie au terrorisme”. Aux vues de la censure des dispositions de la première loi, Laetitia Avia, affirme travailler à une solution alternative à l’obligation du retrait en 24h du contenu jugé illicite. Elle laisse entendre que ce sont les plateformes “qui devront les fournir” le service de censure en “y mettant les moyens nécessaires”. Dans tous les cas, le gouvernement semble émettre la volonté de renforcer l’obligation des acteurs privées et surtout des grandes plateformes de retrait de toujours plus de contenu dans les contours sont très peu définis.

Leur liberté d’expression et la nôtre

Il est particulièrement marquant de constater le deux poids deux mesures quand il s’agit de mobiliser la défense des libertés fondamentales telles que la liberté de la presse et la liberté d’expression pour l’exécutif. Il semblerait dans le contexte actuel que l’exécutif ne s’en serve que quand elle va dans le sens de son projet sociétal, n’hésitant pas le cas échéant à limiter la liberté d’informer et d’être informé. Cela montre leur conception du journalisme comme un organe de relais du pouvoir et des intérêts de la bourgeoisie. Il semblerait que le droit également quand il ne va dans ce sens soit considéré comme un obstacle qu’il convient de modifier ou de contourner. Il sera l’outil de la bourgeoisie ou rien.


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