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Aéronautique : vers une catastrophe sociale et écologique ?

Retour sur la situation dans l'industrie aéronautique qui vit aujourd'hui sans doute la plus grave crise de son histoire.

27 avril 2020

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© Christian Charisius / dpa / AFP

Leur « monde d’après » sera fait de casse sociale

Depuis le début de la crise, Airbus donne le ton à tout un secteur industriel complètement dépendant, en orchestrant les dates de fermeture et surtout de réouverture des usines. La semaine dernière a été annoncée la forte baisse de sa production pour l’aviation civile. Selon le communiqué de sa section syndicale CGT, les cadences passent à :

⁃ 40 avions pour la famille A320 au lieu des 60 actuels,
⁃ 2 pour l’A330 au lieu des 3,5 actuels,
⁃ 6 pour l’A350 au lieu des 10 actuels.

Cette baisse d’activité se répercute en chaîne sur toutes les entreprises sous-traitantes, elles-mêmes pour certaines déjà fragilisées par la crise du 737MAX de Boeing, dont la fabrication des moteurs LEAP-B conçus par Safran est stoppée depuis le crash de deux de ces appareils causant près de 300 morts.

Ainsi, aux États-Unis, ce sont aujourd’hui 7000 emplois qui pourraient être supprimés par Boeing.

L’ampleur de la crise laisse peu de place au doute, le trafic aérien n’est pas prêt de redémarrer sur le même rythme qu’auparavant, et les projections spéculatives sur un carnet de commandes qui ne ferait que se remplir de manière exponentielle sont aujourd’hui remises en question.

Ces spéculations étaient déjà incompatibles avec les inquiétudes face à l’urgence climatique, elles le sont d’autant plus maintenant. La baisse d’activité de ces géants industriels aura donc forcément un impact considérable sur des milliers d’emplois dans le monde. Ainsi, en France, Airbus a déjà commencé par mettre 3000 salariés en chômage partiel pour une durée minimum d’un mois.

Mais Guillaume Faury, son président exécutif, anticipe déjà un prochain plan de suppression d’emplois, dans une déclaration à Bloomberg TV : « Avant de prendre une décision plus difficile en ce qui concerne les employés, nous voulons avoir une meilleure évaluation de la façon dont la situation pourrait évoluer dans les prochains mois, à quoi ressemblera l’année 2021 »

Cela fait écho à l’annonce du groupe Daher, le premier a avoir annoncé un plan social de 3300 licenciements sur 10000 employés, alors que les résultats étaient en croissance constante, dégageant des millions de bénéfices. Une première attaque sociale de grande ampleur qui fait office d’avertissement à tous les travailleurs du secteur, en donnant une forme concrète à la menace de la perte d’emploi quelle que soit la taille, la force ou la capacité de résilience de son entreprise, telle une épée de Damoclès qui plane au dessus de la tête de chacun pour le contraindre à se joindre à « l’union sacrée » avec le patron, à être conciliant et à fournir tous les efforts imaginables pour sauver son emploi et ceux de ses collègues.

Ainsi, le patronat veut faire peser la responsabilité des crise économiques des entreprises sur les épaules de chacun de ses salariés, cherchant à tuer dans l’œuf toute possibilité de lutte collective. Le tout dans l’opacité la plus totale quant à l’état réel des comptes de l’entreprise... Et malheureusement, cette stratégie semble pour l’instant fonctionner chez Daher, puisque ses organisations syndicales CFDT et même CGT ne revendiquent pas le maintien de ces emplois, la CFDT préférant même parler, par jeu rhétorique, des 7000 emplois qui seront, peut-être, préservés.

Pendant ce temps, toutes les entreprises du secteur aéronautique commencent à évoquer leur pertes à venir, sans jamais parler des profits des années passées. La suspension des dividendes de l’année sont évoqués mais la question se pose de savoir s’ils seront utilisés pour la gestion de la crise sociale ou simplement mis de côté en attendant de pouvoir les redistribuer en d’autres temps.

Le lundi 20 avril dernier, Philippe Petitcolin, directeur général de Safran, s’exprimait sur Europe 1 mentionnant le fait que plus de la moitié des salariés du groupe sont actuellement en chômage partiel (18% sur site 28% en télétravail, 54% en chômage partiel). D’après lui et ses deux clients principaux que sont Airbus et Boeing, l’activité ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2022 voire 2024. Dans ces conditions, un plan de restructuration n’est « pas impossible » dit-il, le temps d’épuiser toutes les ressources gouvernementales... mais d’ici quelques mois, les licenciements massifs seraient inévitables

En attendant, les directions manœuvrent pour limiter les pertes sur le dos des travailleurs. Par exemple, l’entreprise Liebherr voudrait faire revenir sur site ses ingénieurs en télétravail sous prétexte qu’ils sont moins productifs à la maison ! L’entreprise Altran, qui est une SS2I (Société de Services en Ingénierie Informatique), leader mondial du conseil en ingénierie et des services de Recherche et Développement, joue avec le feu avec des ruptures de périodes d’essai illégales, misant sur des flous juridiques quant à la structure même de ce type de sociétés.

Rappelons que Altran n’en est pas à sa première tentative de fraude : en janvier 2018, la société était condamnée a verser 10 millions d’euros d’heures supplémentaires non payées.

Et avec la casse sociale, la casse écologique

La crise sanitaire, en plus d’amplifier la crise sociale de façon incontrôlée, remet au devant des préoccupations la crise écologique. En effet, la destruction des écosystèmes naturels et le rapprochement des espèces qui ne sont pas en contact habituellement serait un facteur déterminant dans l’apparition de cette nouvelle maladie chez l’humain. De ce fait, il n’est pas déraisonnable de penser que d’autres épidémies possiblement bien plus mortelles se propageront par la suite si rien n’est fait pour réduire notre capacité de destruction de la planète.

Rappelons ce simple fait que l’on a beaucoup trop tendance à occulter : la pollution cause largement plus de décès que le COVID-19. Une étude parue mardi 12 mars 2019 dans la revue European Heart Journal démontrait que la pollution de l’air serait la cause de 8,8 millions de morts chaque année sur l’ensemble de la planète et près de 800 000 en Europe (dont 67 000 en France).

En ce sens, plusieurs organisations écologistes et humanitaires, telles que Greenpeace, Oxfam, Les Amis de la Terre, Youth for Climate, mais aussi Attac, font pression pour que les aides d’État aux entreprises soient soumises à des conditions d’objectifs climatiques. Les compagnies aériennes sont particulièrement concernées par ce plan d’aide. Air France – KLM recevrait donc sa part du gâteau de 20 milliard d’euros annoncé par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Mais ce dernier assurait alors, le vendredi 17 avril, que ce ne serait pas un « chèque en blanc » : « Il faut que ces grandes entreprises industrielles s’engagent totalement pour une économie décarbonée », déclarait-il.

Or, dans la nuit de vendredi à samedi 18 avril, le gouvernement et les députés de la majorité refusaient de soumettre à condition l’aide financière en cas de recapitalisation d’entreprises polluantes.

Dans le même ordre d’idée, jeudi 23 avril sur France Info, dans le cadre de l’examen au Sénat du projet de loi de finance rectificative, Bruno Le Maire, encore, affirmait avec force conviction : « Il va de soi que si une entreprise a son siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal, je veux le dire avec beaucoup de force, elle ne pourra pas bénéficier des aides de trésorerie de l’État. ». Mais là aussi, dans l’après-midi du même jour, le gouvernement faisait marche arrière.

Ainsi, tous ces égarements contradictoires du gouvernement français montre bien que tous les beaux discours sur le « monde d’après » ne sont que du vent. Leur « monde d’après » sera le même qu’avant : celui des entreprises et des profits. Tant pis, si l’environnement devient invivable pour les populations...
Face à la crise, que sacrifie en premier Airbus ? Ses salariés et la planète !
L’exemple le plus frappant de ce mépris des questions d’urgence environnementale est peut-être cette annonce d’Airbus, qui par souci d’économie va stopper son projet de recherche sur l’avion décarboné, celui-ci étant jugé non-essentiel ! Sa section syndicale CGT juge cette décision incompréhensible : « Pour la CGT, les investissements dans la recherche restent primordiaux pour satisfaire les besoins de la transition écologique. La crise sanitaire actuelle ne mettra pas un terme au dérèglement climatique. Il faut pouvoir concilier l’activité économique et la protection de la planète. ».

Greenpeace souligne que les émissions de gaz à effet de serre du trafic aérien sont celles qui ont le plus augmenté en Europe au cours des dernières décennies, et qu’il est inconcevable de renflouer ce secteur d’activité sans conditions alors que ces dirigeants et actionnaires se sont rempli les poches pendant des années, profitant de la croissance continue du trafic aérien, de l’injection permanente d’argent public dans le secteur (tout en voulant privatiser ADP), d’avantages fiscaux (absence de taxation sur le kérosène ou de TVA sur les vols internationaux, TVA réduite sur les vols domestiques alors qu’on sait bien qui sont ceux qui peuvent se permettre de prendre l’avion fréquemment...) L’objectif de rester sous la barre des 1,5°C d’augmentation des températures ne pourra se faire que par une réduction du trafic aérien.

C’est pourquoi, face à la crise sociale et écologique qui nous attend, nous devons nous battre à la fois pour l’interdiction des licenciements (quitte à l’imposer nous-même en occupant toute usine annonçant sa fermeture ou des licenciements massifs), et en même temps pour une réorientation de la production aéronautique, passant notamment par l’investissement massif dans la recherche d’alternatives de transports aériens moins polluantes.

Infographie : l’accroissement exponentiel du trafic aérien

Image : Tax Justice


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