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Agression sexuelle à l’Internat d’Excellence de Montpellier (EPIDEM)

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Dom Thomas

Au milieu du mois d’octobre, une affaire de viol concernant potentiellement 28 élèves a éclaté à l’Internat d’Excellence de Montpellier (EPIDEM). Simple bizutage, ou réelle agression favorisée par la pression régnant dans une école destinée à sélectionner une élite ?

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C’est une jeune fille extérieure à l’établissement qui a donné l’alerte, après avoir découvert sur son téléphone, qu’elle avait prêté à son petit ami, une vidéo filmant l’agression sexuelle d’un élève à l’aide d’un stylo. La proviseure de l’établissement, Anne Mayard, contactée par la jeune fille, a prévenu la police. Les médias ont d’abord évoqué l’implication de six à sept élèves, entendus par la Brigade des Mineurs ; c’est au final de 28 élèves de classe de seconde qu’il serait question, tous concernés par l’agression selon la proviseure.

Un simple bizutage ?

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Au moins six élèves auraient été tour à tour auteur et victime d’un acte sexuel humiliant et effectué sous la pression du groupe. Si Anne Mayard préfère parler de « bizutage abusif » plutôt que de viol, sauvegardant ainsi la réputation de son établissement, les médias eux, insistent sur le fait qu’aucun élève impliqué n’envisage de porter plainte. Le quotidien régional Midi Libre va jusqu’à rapporter les propos du procureur de la République adjoint, Yves Micolet, selon qui la vidéo montre « un jeu » lors duquel « il n’y a eu aucun acte de pénétration sexuelle ». Tout en reconnaissant qu’ « on ne voit pas grand-chose » sur la vidéo, il affirme également qu’ « on n’a pas le sentiment d’avoir là une victime traumatisée ou apeurée. On est plutôt dans les rires gras d’adolescents. »

Comment M. Micolet peut-il laisser entendre qu’un élève de 2de vivant un bizutage d’intégration pourrait facilement exprimer son désaccord face à un groupe hilare ? Qu’aucune pression ne s’exercerait pour qu’il accepte de se plier à l’humiliation et d’en rire, au moins en façade, avec les autres, avant de faire subir à un autre la même chose ? De même, il est évident que les adolescents concernés, ayant été tour à tour bourreaux et victimes, liés par l’humiliation et le secret de la scène vécue, ne porteront pas plainte – et s’ils le faisaient, ils auraient alors affaire à des policiers traitant leur récit comme celui d’une simple blague de potache, à l’image de ce qu’essaie d’en dire la proviseure. Face à ces actes et même sous couvert d’humour, comme le fait régulièrement le célèbre montpelliérain Rémi Gaillard, aucune banalisation n’est possible : nous nous devons de les dénoncer, tout en respectant le choix des victimes de porter plainte ou non.

Les écoles d’élite : un climat favorable à toutes les humiliations

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Les internats d’excellence ont été créés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dans le cadre du Plan Espoir Banlieues. Le principe est de sélectionner des jeunes à « haut potentiel » et « méritants » issus de quartiers classés en zones urbaines sensibles (ZUS) ou en zones d’éducation prioritaire (ZEP), afin de leur permettre d’étudier dans « de meilleures conditions ». Douze mille élèves, de la 6e aux classes préparatoires, bénéficieraient de ce dispositif actuellement en France.

A Montpellier, le projet d’établissement met l’accent sur l’apprentissage de la rigueur par la prise de risque contrôlée, notamment dans le domaine sportif, mais également sur l’excellence en langues et dans le domaine numérique. Citoyenneté et devoir de mémoire y sont promus, au sein de bâtiments qui abritaient une caserne militaire jusqu’à il y a peu.

Depuis la médiatisation des affaires de viol survenues dans plusieurs écoles de commerce en 2010 (Nancy, Grenoble), ou encore la dénonciation de l’ambiance lourdement sexiste rue d’Ulm, on a pu constater que cette course au mérite favorise les mises en scène humiliantes et les agressions en tous genres – au prétexte du besoin de décompresser, et avec l’effet aggravant de l’enfermement de l’entre-soi vécu en internat ou sur un campus. De même, en 2013, différents collectifs féministes de grandes écoles pointaient du doigt le sexisme des soirées étudiantes ou des événements sportifs, et ce sous le regard complaisant des administrations. Enfin, tout récemment, le collectif féministe Garçes dénonçait les propos sexistes tenus lors du weekend d’intégration de Sciences Po. Mais tout cela n’est en rien une spécificité française : aux Etats-Unis, en mai 2014, au moins 55 universités étaient concernées par des viols survenus sur leur campus. Un film est récemment sorti sur le sujet, accompagné d’un clip vidéo de Lady Gaga évoquant des scènes de viol sur un campus.

Malgré les mises en garde de façade, le bizutage se maintient : tous les ans plusieurs cas sont recensés et, à chaque rentrée, des scandales refont surface. Si le bizutage n’est pas une particularité des grandes écoles ou des facs de médecine, selon la présidente du Comité National Contre le Bizutage, « les cas les plus graves se déroulent tout de même souvent en écoles d’ingénieurs ou en écoles de commerce », et « l’internat, de par son cadre, est un lieu favorable au bizutage, notamment à connotation sexuelle ».

Une chose semble être commune à tous ces cas : les directions de ces établissements (universités, internats, grandes écoles) ferment souvent les yeux, ou s’empressent de démentir, quand elles n’essaient pas directement de couvrir les faits – dans le but de protéger le prestige de leurs institutions. Dans une société où l’Ecole, et en particulier les écoles d’élite, jouent un rôle majeur dans la reproduction des classes et donc des privilèges de classe, comment pourrait-on admettre qu’« excellence » rime avec viol ? Pourtant, on sait depuis l’affaire DSK et ses suites que les crimes des dominants sont protégés par une justice de classe.

S’il est certain que les élèves et les enseignant.e.s de ZEP (désormais REP et REP+) sont largement laissé.e.s pour compte, et que la réforme des collèges actuelle est loin d’améliorer leur sort, ce sont des moyens pour l’éducation de toutes et tous qu’il nous faut réclamer – loin d’un dispositif sélectionnant les meilleur.e.s, laissant de côté les autres et faisant monter la pression parmi les « élu.e.s ».


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