×

Nouvelle manœuvre

Algérie. Malgré les frictions, l’armée et le clan Bouteflika tentent de sauver le régime

Un nouveau gouvernement a été constitué et Bouteflika affirme qu’il démissionnera avant le 28 avril. Nouvelle manœuvre du régime pour désarticuler la contestation.

Facebook Twitter

La semaine dernière le chef de l’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd-Salah, avait prôné le recours à l’article 102 de la constitution algérienne pour exiger le départ du président Abdelaziz Bouteflika pour « incapacité » à remplir ses fonctions. C’était un retournement important et un coup dur pour le « clan Bouteflika » au pouvoir qui se voyait privé d’un allié de taille.

Du côté de l’opposition libérale certains dénonçaient également une « tentative de coup d’Etat » militaire, cherchant ainsi à se repositionner alors que le chef de l’armée leur avait coupé le pied sur la voie constitutionnelle. Car le recours à l’article 102 avait déjà été envisagé par l’opposition ainsi que par le clan au pouvoir lui-même, comme une manière de sauver le régime en se débarrassant de la figure désormais gênante de Bouteflika. En agissant ainsi, Gaïd Salah se donnait les moyens d’apparaître comme un interlocuteur politique incontournable dans les recompositions du régime à venir. Ce que les masses populaires algériennes n’avaient pas manqué de comprendre, manifestant leur rejet de la manœuvre en descendant encore massivement dans les rues vendredi dernier.

C’est dans la foulée que ce dimanche le nouveau premier ministre Noureddine Bedoui, nommé le 11 mars dernier en pleine contestation du régime, annonçait la formation d’un nouveau gouvernement avec 27 ministres dont 8 de l’ancien gouvernement. Parmi eux on retrouve Gaïd-Salah qui conserve ses deux casquettes en tant que chef de l’armée et vice-ministre de la Défense Nationale. Au-delà de la médiocrité des personnages débauchés en urgence pour jouer le rôle des nouveaux ministres, la principale information est que le chef de l’état-major de l’armée devient le numéro 2 du nouveau gouvernement.

Lundi après-midi, ce qui devait arriver arriva, et le président Bouteflika annonçait par voie de presse qu’il démissionnerait avant le 28 avril, quand son mandat arriverait officiellement à son terme. Le changement de gouvernement apparaît donc comme une manœuvre du régime pour assurer la mise en place d’une transition en sa faveur, et ne surtout pas laisser un vide de pouvoir.

Car après la démission du président, le nouveau gouvernement aura 90 jours pour organiser de nouvelles élections. Beaucoup d’analystes prévoyaient d’ailleurs le départ de Bouteflika avant même l’annonce officielle et estimaient ainsi que ce nouveau gouvernement était justement mis en place pour mener une « transition ordonnée ».

En effet, même si la composition du gouvernement semble être un « compromis » entre les différentes factions du régime (l’armée et le clan Bouteflika), c’est le plan du chef de l’armée qui semble commencer à se mettre en place : sacrifier Bouteflika pour tenter de calmer la contestation et surtout sauver le régime (ou au moins sauver l’essentiel du régime).

Evidemment, cela pose la question de savoir qui (ou quoi) remplacera Bouteflika, un grand « casse-tête » pour les classes dominantes algériennes. Cependant, cette « solution » en forme de compromis devenait urgente. Car le conflit entre l’état-major de l’armée et le clan Bouteflika ouvrait une brèche importante dans un contexte explosif, qui pourrait profiter non seulement à l’opposition libérale, mais aussi aux masses populaires mobilisées.

La première incarnée par la fraction patronale d’un Issad Rebrab – première fortune du Maghreb, patron entre autre de CEVITAL – lui-même soutenu par le général Toufik (ex-DRS), a déjà obtenu un certain nombre de concessions : l’arrestation du rival et ancien chef du FCE Ali Haddad, et l’interdiction de sortie du territoire à l’égard de Mahieddine Tahkout qui avait bénéficié des faveurs du « clan Bouteflika » pour ouvrir des usines d’assemblages en Algérie et remettre en cause le monopole du patron de CEVITAL sur l’importation des voitures Hyundai. Cependant la faiblesse structurelle de la bourgeoisie nationale étouffée au berceau par l’impérialisme, et incapable à ce titre de reconstruire un bloc hégémonique dominant sans l’appui d’un homme providentiel qui saura donner l’illusion de s’élever au-dessus des classes en apaisant la colère sociale à travers la redistribution des miettes des profits colossaux engendrés par la rente pétrolière, l’empêche de prétendre à prendre elle-même le pouvoir durablement.

A l’autre extrémité de par la misère et la répression qu’elles vivent au quotidien, et qui contraste avec l’opulence et le luxe des riches hommes d’affaires qui se disputent le gâteau, c’est aux masses populaires que revient le mérite d’avoir su mettre en crise le régime de Bouteflika par leur mobilisation. Mais elles restent orphelines de direction politique en mesure de les immuniser contre les nombreuses manœuvres que tentera le clan au pouvoir pour assurer sa survie, et de projeter une alternative à l’exploitation et l’oppression que leur promet le régime. Ce dernier, fort de son expérience et ayant tiré les bilans de la révolution de 2011 en Egypte, similaire de par le rôle prépondérant de l’armée sur la scène politique, tente donc à travers ce nouveau gouvernement de colmater les brèches et d’orchestrer une transition ordonnée, sans toucher aux fondamentaux du régime.

Mais rien ne dit si cette nouvelle manœuvre du régime réussira à désamorcer la contestation qui dure depuis plus de six semaines. Comme on peut lire dans un article de l’agence TSA : « Gaid Salah a obtenu l’accord de la présidence, mais il n’a fait que la moitié du chemin. Le plus dur sera de convaincre la rue qui, jusque-là, s’est montrée intransigeante sur une transition non contrôlée par le pouvoir. La première réponse est venue des réseaux sociaux où l’annonce du nouveau gouvernement semble avoir déçu. Des ministres sont déjà moqués. Mais la vraie réponse viendra comme à chaque fois de la rue : ce sera vendredi prochain ». Car si Gaïd Salah sort temporairement gagnant du bras de fer avec le clan Bouteflika, la rue ne semble pas dupe à juste titre de ce général qui a été au service du régime pendant plus de quinze années.

Mais pour renverser le régime politique actuel, le mouvement massif et formidable du peuple algérien devra aller plus loin. La revendication ne peut pas rester à un confus « système dégage ». Car le régime utilisera tout type de manigances pour faire passer ses manœuvres pour du « changement », et profitera du manque de perspective politique pour jouer la carte de l’essouflement.

Et ce ne sont pas seulement les tenants actuels du régime qui essayeront de détourner la contestation. Les différents partis de l’’opposition libérale essayeront aussi de canaliser la mobilisation vers leurs « alternatives » qui mèneront vers des impasses, c’est-à-dire à la restauration du régime Bouteflika sans Bouteflika.

C’est en ce sens que le mouvement devrait se donner comme tâche de lutter pour imposer une Assemblée Constituante Révolutionnaire où les travailleurs, la jeunesse, les femmes et l’ensemble des classes opprimées puissent discuter de tous les problèmes qui les affectent au quotidien. Et cela sur les ruines de l’actuel régime construit par le FLN, qui s’appuie sur le pillier fondamental de l’armée, et qui est constitué de capitalistes « amis » des puissances étrangères et soumis aux intérêts impérialistes. Pour cela les travailleurs et la jeunesse doivent construire des cadres d’auto-organisation dans les lieux de travail, dans les universités, dans les lycées et les quartiers populaires pour diriger eux-mêmes leur mobilisation. C’est ce qui permettra de construire la grève générale pour mettre fin à ce régime réactionnaire.


Facebook Twitter
Frappes iraniennes : le soutien des pays arabes à Israël marque un nouveau rapprochement

Frappes iraniennes : le soutien des pays arabes à Israël marque un nouveau rapprochement

Génocide à Gaza : des armes, des affaires et des complices

Génocide à Gaza : des armes, des affaires et des complices

Attaque contre l'Iran : Israël limite sa riposte mais les tensions persistent

Attaque contre l’Iran : Israël limite sa riposte mais les tensions persistent

Etats-Unis. A l'université de Columbia, la répression du soutien à la Palestine s'intensifie

Etats-Unis. A l’université de Columbia, la répression du soutien à la Palestine s’intensifie

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

Veto à l'adhésion de la Palestine à l'ONU, ou l'hypocrisie des Etats-Unis sur les « deux États »

Veto à l’adhésion de la Palestine à l’ONU, ou l’hypocrisie des Etats-Unis sur les « deux États »

Argentine : Les sénateurs augmentent leurs salaires de 170% en pleine crise économique

Argentine : Les sénateurs augmentent leurs salaires de 170% en pleine crise économique

Invasion de Rafah : comment la bourgeoisie égyptienne tire profit des menaces d'Israël

Invasion de Rafah : comment la bourgeoisie égyptienne tire profit des menaces d’Israël