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Les travailleurs de Belfort ne sont pas des pions !

Alstom : partie d’échec entre le gouvernement et le PDG Poupart-Lafarge.

Illustration - Samuel Bak, Intruder, huile sur toile, 61x122 cm Le 7 septembre dernier, la direction d’Alstom Transport annonçait la fermeture du site historique du groupe, à Belfort, et la suppression des emplois des 400 constructeurs de locomotives, dont les célèbres motrices TGV. Alors que le groupe se porte mieux au niveau mondial qu’il l’avait anticipé, il prévoit cependant une baisse de la charge de travail de l’ordre de 30% pour ses usines françaises pour les prochaines années. Dans ce contexte, comment comprendre l’annonce de la fermeture de Belfort ? Si l’épisode de lutte contre la loi-travail s’est éteint, le gouvernement cherche à tout prix à pacifier l’espace social, volonté que certains PDG comptent visiblement utiliser pour se remplir les poches, quitte à jouer avec les vies et la santé des travailleurs.

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George Waters

Un carnet de commande rempli pour le groupe mais une baisse de charge pour Alstom France

 
Comme nous le pointions à l’annonce des licenciements, la « crise » d’Alstom ne tient pas : le groupe, qui s’est séparé de la branche Alstom-Power, rachetée par General Electric, s’est également délesté de son ancienne dette et n’a actuellement aucune difficulté financière. Le 31 mars 2015, au dernier bilan d’exercice, les capitaux propres de l’entreprise étaient de 4,1 milliards d’euros ; pour le premier trimestre de 2016-2017, le chiffre d’affaire du groupe a augmenté de 7% tandis que son carnet de commande au 30 juin anticipe une rentrée d’argent correspondant au chiffre d’affaire des quatre dernières années. En outre, Alstom a remporté un contrat d’1,8 milliard d’euros aux Etats Unis récemment. Pourtant, le patron Henri Poupart-Lafarge s’acharne à dire que les usines devront faire face à une baisse de 30% de leur activité liée au manque de commandes.

Ces deux informations peuvent paraître contradictoires si l’on ne comprend que les règles commerciales des Etats Unis et de l’Union Européenne ne sont pas les mêmes : en effet, suivant une loi protectionniste appelée « Buy American Act », datant de 1933 et renforcée en 1982 aux marchés des transports, l’Etat fédéral se doit d’acheter « américain ». Alstom, en échange de la promesse de ce fameux contrat, prévoit de réaliser la production de la commande dans l’Etat de New York… produisant ainsi américain. Le problème auquel le groupe fait face est ainsi surtout un problème français : les carnets de commandes sont vides, mais uniquement concernant ce que le groupe déclare être en mesure de produire en France.

Et pourtant, là encore, les projets sont légions : outre les régulières modernisations des rames des trains de régions, tous les trains du Grand Paris sont autant de nouvelles lignes qui vont demander la production de nouveau matériel roulant. La SNCF est loin d’être le dernier commanditaire de motrices dans le monde ! D’ailleurs, pour Belfort, les idées ont fusé en une semaine : la commande de six rames de TGV Euroduplex pour la ligne Paris-Turin ; des locomotives de manœuvre pour la RATP ; des trains Regiolis… Arnaud Montebourg, dans une lettre à Michel Sapin, a même demandé que sur les 1600 locomotives que doit construire Alstom pour le réseau indien, 100 puisse être construit à Belfort avec un passe-droit douanier !

Au cœur de la chute des commandes d’Alstom, la politique ferroviaire française

 
Dans le dossier Alstom, la question n’est pas uniquement celle des commandes, mais aussi celle de la politique publique à l’égard du service public de transports, largement ébranlé par les mesures de privatisation et d’ouverture à la concurrence. Actuellement, la politique n’est pas de renforcer le ferroviaire. Seules sont privilégiées les lignes de luxe que sont les TGV, tandis que les Intercités, trains de nuit et autres offres moins « rentables » sont abandonnées progressivement dans une concurrence organisée entre les bus et le rail. Cette concurrence, permise largement par la récente loi Macron, est largement organisée à l’intérieur de la SNCF même, entre la branche SNCF-Mobilité et celle de Oui-Bus.

La proposition faite par certains représentants syndicaux d’Alstom remet aussi sur la table le « ferroutage », c’est à dire des mesures obligeant une partie du transit et du transport routier à prendre la voie des rails. Patrick de Cara, délégué CFDT d’Alstom, a ainsi plaidé en faveur de cette mesure, expliquant que les investissements très lourds qu’elle nécessite sont des « déficits positifs pour les générations à venir ». Ce dernier est largement soutenu par Laurent Berger. Résultat de la mise en faillite organisée du service public de transport, l’affaire Alstom révèle également l’inconsistance de la politique écologique du gouvernement avec la mise en concurrence du réseau ferré et du transport routier, principalement représenté par l’autre géant français, Géodis. Ainsi, entre 2000 et 2012, les trains sont passés de 55 milliards de tonnes kilomètres à 21,1 : soit une réduction de 60% de leur charge de transport ! Parallèlement, entre 2007 et 2012, la filiale route de Geodis a vu son chiffre d’affaire passer de 600 millions d’euros à 827 millions, soit plus de 30% d’augmentation !

L’Etat, par ces politiques, est en partie responsable de la chute des commandes chez Alstom : moins de trains intercités, moins de motrices de fret… pour plus de bus et de camions ! Il se pose donc ici une grave question démocratique, car il n’est évidemment pas de l’intérêt des travailleurs de voir toujours plus de camions sur les routes, toujours plus de CO2 dans l’atmosphère, et toujours moins d’emplois dans le ferroviaire. Là où les patrons voient plus de profits, en tout cas du profit plus rapide et plus facile, les employés voient plus de précarité et des conditions de vie sans cesse dégradées.

Au lancement des présidentielles, Henri Poupart-Lafarge se fait le Kasparov de l’industrie

 
Dans ce contexte industriel national et international très tendu, Alstom voit ses commandes réduites. Refusant d’utiliser les bénéfices de ses filiales outre-Atlantique pour maintenir à flot l’usine de Belfort, il tente de faire pression sur l’Etat français et la SNCF pour obtenir de nouvelles commandes. Or, la politique européenne en matière de concurrence, à laquelle l’Etat français a largement souscrite et qu’il a encouragé interdit de favoriser une entreprise en particulier dans le cas de commandes publiques et instaure des règles strictes sur la mise en place d’appels d’offre. La direction de l’entreprise tente donc un coup de poker en amenant le plus possible l’Etat français à remplir les cahiers de commande d’Alstom, quitte à délocaliser ensuite.

En effet, le scénario catastrophe pour le gouvernement serait un plan de licenciement à la Florange ou à la PSA-Aulnay au début de la campagne présidentielle. D’autant plus que l’Etat est actionnaire majoritaire chez Alstom, que le gouvernement avait déjà promis « zéro licenciements » dans cette entreprise, avec la visite officielle d’Emmanuel Macron sur le site de Belfort. Après les réveils de lutte de classe au printemps, avec des combats particulièrement intenses dans des secteurs clés comme les Ports et Docks, ou les raffineries, Alstom ne doit pas être pour le gouvernement le dossier social de cette fin de quinquennat. C’est pourquoi les ministres se mettent en branle. Le nouveau secrétaire d’Etat à l’industrie, Christophe Syrugue cherche toutes les solutions pour éviter de voir, lors des débats des présidentielles, un Mélenchon, un Poutou ou une Arthaud demander à Hollande « pourquoi avez-vous abandonné Alsom-Belfort ? ». Ces solutions « miracles » devront être présentées d’ici le 3 ou le 4 octobre. Mais on a du mal à croire qu’elles puissent garantir des solutions pérennes pour les salariés du site de Belfort, au-delà de l’échéance présidentielle.

Henri Poupart-Lafarge a joué un « très bon coup » : l’enjeu pour lui est bien de remplir son carnet de commande, et ce en tentant d’aller à l’encontre des directives européennes. Bien entendu, son objectif n’est absolument pas de sauver l’emploi de ses salariés mais bien de saisir l’occasion pour exiger davantage pour les actionnaires : nouveaux contrats, un « accord sur l’emploi », des préférences financières et autres CICE sur le court terme… qui sait ce que le gouvernement lui réserve. Mais rien qui présage de bon pour le sort des salariés d’Altsom à long terme.

Comment reprendre en main le contrôle de notre industrie ? Nationalisation, sous contrôle ouvrier !

 
Loin de répondre à des objectifs de service public et d’emploi, les politiques menées par les Poupart-Lafarge, les Pépy, les Hollande et les Macron ne servent pas les intérêts des travailleurs, de la population mais bien ceux des actionnaires, des possédants et du capital. Face à l’impasse dans laquelle Alstom laisse ses salariés, la solution consiste en une nationalisation d’Alstom. Ce dernier est incapable de maintenir l’emploi tout en profitant des cadeaux fiscaux et des aides de l’Etat ? Sa récupération ne doit comporter aucune indemnité, ni rachat de l’entreprise ! Alstom c’est notre appareil productif et ce sont nos emplois ! Seuls les salariés d’Alstom sont en mesure de décider des mesures à suivre pour les préserver l’un et l’autre, et de faire de ce formidable outil productif un instrument majeur de la transition écologique et d’un service de transport de qualité.

Mais pour cela, il faudrait imposer un autre mode de contrôle de la production, sans les patrons d’Alstom et sans l’Etat qui n’a jusque là fait que les soutenir. Ce mode de contrôle de l’entreprise par les ouvriers eux mêmes n’est pas une chimère. Les exemples de l’histoire et du présent nous montrent à quel point le contrôle ouvrier des usines est la seule solution contre les licenciements qui fasse disparaître l’épée de Damoclès au dessus de la tête des travailleurs.


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