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NON, CE N’EST PAS UNE BLAGUE !

Après l’avoir utilisé 6 fois, Valls découvre « les limites et la brutalité » du 49.3

Maintenant qu’il a troqué le costume de Premier ministre contre celui de candidat aux primaires de la gauche, Valls devient véritablement un autre homme. Interrogé au micro de France inter jeudi, il a déclaré son intention de supprimer purement et simplement l’article 49.3. C’est pourtant bien cette procédure qui lui a permis de faire passer en force la loi Macron, puis la loi El Khomri ? Comment expliquer ce revirement soudain si ce n’est par la nécessité de mieux se placer en vue des primaires, en caracolant dans la course « antisystème » aux côtés des Macron, Le Pen et Mélenchon, tout en se présentant comme le rassembleur des « démocrates » ? Claire Manor

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Le 49.3, une vieille histoire de la droite et de la gauche


Le 49.3 et les institutions de la Vème République sont le fruit de la volonté d’un célèbre homme de droite, le général de Gaulle qui, en 58, rompant avec la tradition parlementariste de la IVème République, a voulu mettre en place un régime fort, organisé autour de l’exécutif et particulièrement du pouvoir présidentiel.

Pour les démocrates de gauche, il est donc de tradition de décrier le recours au 49.3, instrument présenté à juste titre comme un « déni de démocratie ». Mitterrand allait même jusqu’à le qualifier de « coup d’état permanent ». En faisant soudain la critique de ce moyen politique « brutal », Manuel Valls exprimerait-il son repentir et renouerait-il avec une tradition « socialiste » ? L’histoire mérite que l’on y regarde de plus près.

Depuis 1981, date de l’élection de Mitterrand à la présidence de la République, la responsabilité du gouvernement a été engagée 68 fois par les premiers ministres successifs. Le record est détenu par Michel Rocard qui, faute de pouvoir obtenir une majorité au parlement, voit dans le 49.3 un des seuls moyens pour faire passer ses textes. Il l’a ainsi utilisé 28 fois en l’espace de trois ans de 88 à 91.

Au total, en 35 ans, l’article a été utilisé 14 fois par des chefs de gouvernement de droite contre 54 fois par des premiers ministres de gauche, le dernier en date étant Manuel Valls lui-même. Paradoxe dont on peut trouver l’explication dans l’écart croissant entre un programme et une base électorale se réclamant du « socialisme » et une politique réelle, de plus en plus ouvertement en faveur de la bourgeoisie et du patronat, nécessitant donc la méthode forte.

Volte-face, oui mais encore ?


En ces temps de primaires, les politiciens en lice n’en sont pas à une volte-face près. Cela n’a pas gêné Fillon d’affirmer qu’il allait faire la peau à la sécu et, quelques jours après, de la remettre au cœur du dispositif social. Alors un Valls qui veut supprimer le 49.3, son arme de choc quand il était premier ministre, c’est un guignol de plus tout simplement.

Mais au-delà du caractère grotesque, voire immoral, de ce comportement de girouette, le pari politique est sérieux et suscite des réactions dans le camp du PS comme ailleurs.
Les « frondeurs » qui sont montés au créneau contre Valls, au moment de l’utilisation du 49.3 pour faire passer la Loi El Khomri au parlement, n’ont pas oublié la bagarre. Sur BFMTV, le député PS d’Indre-et-Loire Laurent Baumel, soutien d’Arnaud Montebourg, a jugé "gonflée" et "culottée" la proposition de Manuel Valls. Quant à Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, fidèle de Hollande, il se déclare « surpris ». Pour toute réponse, et sans plus d’explication sur ce qui lui fait rejeter aujourd’hui ce qu’il utilisait hier, l’ancien premier ministre se contente de pointer les limites et la « brutalité » du 49.3 et de déclarer son « utilisation dépassée ».

Mais même s’il ne l’explicite pas, l’intention politique est claire : pour conforter la posture de « rassembleur » qu’il a adoptée alors que les frondeurs partent en ordre dispersé, Valls doit retirer ses bottes de Bonaparte et obtenir sa réhabilitation en offrant un visage plus démocratique. En jouant sur le terrain constitutionnel et en redonnant aux « citoyens » et au parlement une place plus forte, il concurrence en même temps Mélenchon et son projet de VIème République. Retournant au passé et au compromis à la Jospin, il tente de jeter un pont vers la base sociale qu’il a perdue aux côtés de Hollande. Autant de bonnes raisons pour ne pas hésiter à retourner sa veste.

A mort le 49.3 ! Vive la démocratie selon Valls !


C’est donc avec autant de détermination que lorsqu’il l’avait défendu à l’assemblée nationale que Valls liquide aujourd’hui ce 49.3 dont il juge désormais l’utilisation « dépassée ». La mort de l’article incriminé étant ainsi annoncée, Valls exprime « en positif » ce qu’il compte faire de sa dépouille.

D’abord prudent, il rappelle que la procédure reste valable pour les textes budgétaires, « la nation [ayant] besoin d’un budget ». Exception non négligeable quand on sait que le budget est l’exact reflet des orientations et des choix politiques du gouvernement en faveur, ou surtout en défaveur, des travailleurs.

Ensuite, agitant le hochet démocratique, il précise qu’il inscrit cette proposition dans la perspective plus large d’une "renaissance démocratique", qui permettrait aux « citoyens » d’être mieux associés à l’élaboration des lois. Il laisse ainsi entendre que les textes de loi pourraient se construire sur la base de compromis, et les recours à la force devenir moins nécessaires.

Il s’y voit tellement, du moins pour la « com », qu’il annonce une révision constitutionnelle qui s’imposera s’il vient à être élu Président de la République. Il a même déjà prévu le calendrier : ce serait « à la rentrée 2017 », après les élections législatives et la trêve estivale. Et pour faire bonne mesure en termes de théâtre démocratique, il estime que la ratification devrait se faire par voie de référendum...

Ce n’est pas d’une Vème République sans 49.3 dont les travailleurs ont besoin


Peu importe qu’il y croit vraiment ou que ce soit du bluff de candidat, ce qui est sûr c’est qu’une Vème République sans un 49.3 ou son équivalent n’est pas possible, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que le 49.3 est une pièce maîtresse de la Vème République et que sans lui, tout l’édifice s’effondre. La Vème république sans le 49.3, c’est la IVème République. Ensuite parce que l’utilisation répétée du 49.3 pendant l’instauration des lois Macron et El Khomri n’est pas une convulsion temporaire du système mais l’une des expressions de l’affrontement entre les classes dans le cadre du capitalisme en crise. Enfin parce que, seul un pouvoir fort peut encore être choisi par la bourgeoisie, comme dernier rempart avant une solution fasciste.

Le choix que semble faire Valls d’un parlementarisme de compromis à la Jospin plutôt que d’une gouvernance à coup de 49.3 à la Rocard, est peut-être une tactique électorale séduisante, à défaut d’être crédible. Elle n’est en aucun cas un mode de gouvernance possible au lendemain des élections présidentielles.

Mais laissons Valls à ses choix et à ses coups de théâtre. Il est sûr qu’avec ou sans 49.3, ceux qui vont nous gouverner après les élections et tenter de mettre au pas les travailleurs et les opprimés devront affronter leur colère et leur résistance. L


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